Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

causalité et déterminisme (suite)

Une telle « reformulation » de la causalité atteste d’une nouvelle théorie de l’être. Gilles Deleuze l’a résumée dans la formule renverser le platonisme, c’est-à-dire en finir avec la pensée centrée sur l’idée de modèle et d’identique. Jacques Derrida propose le principe de la différance, le a marquant son caractère producteur. Et Michel Foucault, commentant les analyses de Deleuze, fait culminer ce mouvement : « Imaginons une ontologie où l’être se dirait, de la même façon, de toutes les différences, mais ne se dirait que des différences. »

Le déterminisme « vectoriel » de Laplace

Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si, d’ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule le mouvement des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

A. S.

➙ Science / Structuralisme.

 G. Bachelard, le Nouvel Esprit scientifique (Alcan, 1934 ; nouv. éd., P. U. F., 1963). / L. Althusser, Pour Marx (Maspéro, 1965). / L. Althusser et coll., Lire « le Capital » (Maspéro, 1965 ; 2 vol.). / R. Blanche, la Science actuelle et le rationalisme (P. U. F., 1967). / J. Derrida, l’Écriture et la différence (Éd. du Seuil, 1967). / J. A. Miller, « Généalogie des sciences » dans Cahiers pour l’analyse no 9 (Éd. du Seuil, 1968). / G. Deleuze, Logique du sens (Éd. de Minuit, 1969) ; Différence et répétition (P. U. F., 1969). / M. Serres, Hermès ou la Communication (Éd. de Minuit, 1969). / J. Ullmo, la Pensée scientifique moderne (Flammarion, 1969). / J. Piaget et R. Garcia, les Explications causales (P. U. F., 1971). / J. Piaget, M. Bunge et coll., les Théories de la causalité (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1971).

Cavalcanti (Guido)

Poète italien (Florence v. 1255 - id. 1300).


Succédant à leur amicale émulation poétique, la rupture idéologique advenue entre Dante et Cavalcanti à la fin du xiiie s. eut une portée décisive dans l’évolution de la naissante poésie italienne en langue vulgaire. Leur amitié coïncida avec l’élaboration de ce que Dante lui-même (le Purgatoire, XXIV) appela le dolce stil nuovo : école (ou avant-garde) poétique essentiellement florentine, même si son promoteur, Guido Guinizelli, fut Bolonais, et qui, à la suite des écoles provençale et sicilienne, définit la poésie à la fois comme exégèse et comme célébration de l’amour. Les raisons de leur rupture sont évoquées dans quelques vers elliptiques du chant X de l’Enfer, qui ont donné lieu à d’infinies controverses entre les commentateurs de la Divine Comédie. La responsabilité du différend idéologique y est entièrement rejetée sur Cavalcanti et sur son « dédain » à l’égard de « qui conduit » Dante à travers son voyage d’outre-tombe. Or, comme l’a établi la critique dantesque la plus récente, ce « dédain » ne concerne ni Dieu (athéisme présumé de Cavalcanti), ni Virgile (la rhétorique et la philosophie de l’Antiquité gréco-latine), mais bien Béatrice, autrement dit la sublimation théologique des conflits psychologiques de l’expérience amoureuse. À l’ascension dialectique de la « comédie » dantesque — de l’amour de Béatrice à l’amour de Dieu —, Cavalcanti oppose une « tragédie » statique de l’angoisse amoureuse, fondée sur une phénoménologie du désir.

Si les témoignages littéraires abondent qui évoquent la personnalité de Cavalcanti, des Chroniques de Compagni et Villani au Décaméron (vi, 9) de Boccace et aux nouvelles de Sacchetti, les archives officielles le concernant présentent de nombreuses lacunes. C’est ainsi que seul un contrat de mariage de 1267, le liant à Béatrice, fille de Farinata degli Uberti, nous permet de situer approximativement sa naissance aux alentours de 1255. D’autre part, les sources les plus précieuses pour une biographie de Cavalcanti demeurent ses propres textes et ceux de ses amis du dolce stil nuovo (en particulier la Vita nuova de Dante), à condition, toutefois, de ne pas méconnaître la perpétuelle transposition rhétorique qui y mue aussitôt l’anecdote en symbole. Issu d’une riche famille guelfe de très ancienne noblesse, Cavalcanti participa activement à la vie politique de la Commune de Florence jusqu’à l’instauration, en 1293, du gouvernement démocratique de Giano Della Bella. Refusant, à l’encontre de Dante, de se plier aux nouvelles procédures démocratiques qui visaient à écarter l’aristocratie des charges publiques, il préféra désormais se lancer dans les luttes privées qui opposaient les grandes familles florentines. Pour des motifs sans doute moins politiques que personnels, il prit parti pour les Cerchi contre les Donati, dont le chef, Corso, tenta de le faire assassiner au cours d’un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle (interrompu à Nîmes par cet attentat). À la suite de violents conflits, les meneurs des deux factions, et Cavalcanti avec eux, furent exilés en juin 1300 par le Conseil des prieurs, dont Dante faisait alors partie. Exilé à Sarzana, en Lunigiane, Cavalcanti fut frappé de malaria et obtint de revenir mourir à Florence à la fin d’août 1300.

Sa réelle prédilection pour la philosophie matérialiste de l’Antiquité, jointe à son goût de la solitude et à un caractère ombrageux et hautain, frappa l’imagination de ses contemporains, qui le soupçonnèrent d’épicurisme et d’averroïsme. Cavalcanti n’en reçut pas moins une sépulture religieuse, mais Dante lui-même favorisa cette légende suspecte en ne mentionnant son ami, dans toute la Divine Comédie, qu’au chant X de l’Enfer, le chant des hérétiques. Les cinquante-deux pièces attribuées avec certitude à Cavalcanti (36 sonnets, 12 ballades, 2 chansons et 2 stances) sont toutes consacrées à l’amour : exégèse, célébration et analyse psychologique. La chanson Donna me prega est le texte théorique le plus important non seulement de l’œuvre de Cavalcanti, mais de tout le dolce stil nuovo. Une fois affirmée la double vocation aristocratique et amoureuse de la poésie, l’amour y est défini dans son origine, sa cause, ses vertus, sa force, son essence, ses manifestations et ses effets. « Accident qui souvent est cruel », l’amour a l’opacité, l’« obscurité » d’un phénomène naturel et résiste à toute transcendance morale et religieuse. Loin d’être le gage d’une élucidation spirituelle ou d’une rédemption, la « clarté » de la femme aimée qu’invoque le poète-amant est la substance même des fantasmes qui aliènent le désir. Enfer psychologique et paradis contemplatif, indissolublement liés comme l’envers et l’endroit, inspirent tour à tour à Cavalcanti des visions d’horreur ou d’extase.

J.-M. G.