Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Catalogne (suite)

Le second âge roman manque d’originalité en architecture, car il se borne fréquemment à reprendre des formules mises au point à l’époque antérieure dans les abbatiales ou collégiales : San Vicente de Cardona, San Jaime de Frontanyà, San Pons de Corbera, etc. L’église de San Juan de las Abadesas, avec ses voûtes maladroitement lancées sur un déambulatoire à chapelles rayonnantes, montre que les maçons locaux n’étaient pas en mesure de réaliser convenablement un parti quelque peu complexe imaginé par un maître étranger de passage. Cependant, les rapides progrès de la stéréotomie favorisèrent un remarquable développement de la sculpture romane.

On dira de la Catalogne que c’est le pays des cloîtres, tant les communautés religieuses rivalisèrent de zèle pour se doter de ces agréables galeries à portiques. Rarement, il est vrai, les artistes dépassèrent le plan purement décoratif pour aborder la réalisation de programmes iconographiques ambitieux. Les suites de chapiteaux historiés des cloîtres de la cathédrale de Gérone et du monastère de San Cugat del Vallés demeurent exceptionnelles. Toutes les préférences catalanes allèrent à une faune d’animaux fantastiques de nette ascendance orientale, et nulle part plus qu’en Roussillon. Dans cette province, des artistes installés à proximité des carrières de marbre de Villefranche-de-Conflent ont produit, l’espace d’une génération, non seulement chapiteaux, arcatures et colonnes de cloîtres, mais aussi des éléments décoratifs destinés à des portails, à des fenêtres, ainsi qu’aux étranges tribunes de Saint-Michel-de-Cuxa (celle-ci détruite) et de Serrabone.

Le caractère artisanal et facilement routinier de la production n’a pas favorisé l’apparition de portails importants, à l’exception de celui de Ripoll. Il y a là une grande page sculptée dont les frises historiées s’inspirent du décor de la bible enluminée du monastère (conservée aujourd’hui à la Bibliothèque vaticane, lat. 5729).

La peinture romane, sous ses divers aspects, entretient des rapports étroits avec l’architecture et son décor sculpté. Ce fait est évident pour la peinture murale, qui était presque partout présente dans les absides et dont les compositions pouvaient, comme à Santa María de Tahull, s’étendre à l’ensemble de l’église. Patiemment, l’érudition catalane et étrangère s’est appliquée à préciser les caractères de cette production, à déterminer ses rapports avec les autres écoles, et elle a pu, dans quelques cas privilégiés, suivre des déplacements d’artistes. Plusieurs de ces peintres ambulants paraissent être venus d’Italie, et notamment le Maître de Pedret, dont l’activité se situe à la fin du xie et au début du xiie s., des deux côtés des Pyrénées. Il contraste, par sa connaissance de l’art byzantin et ses goûts antiquisants, avec les Maîtres de San Clemente et de Santa María de Tahull, davantage portés vers la stylisation romane et les couleurs vibrantes.

Plus aisément sédentaires devaient être les peintres sur panneaux, auteurs de devants d’autel et de baldaquins conservés en grand nombre (musées de Barcelone et de Vich). Peut-être intervenaient-ils aussi dans la polychromie des sculptures sur bois : statues de la Vierge à l’Enfant, Christs dénudés ou représentés vêtus, à l’instar de celui de Lucques, Descentes de Croix enfin, elles aussi imitées de l’Italie. Ces peintures s’inspiraient des décors d’absides, ou empruntaient certains de leurs procédés aux scriptoria monastiques ; parfois, ils s’essayaient à reproduire, à l’aide de leurs techniques, des effets propres à l’orfèvrerie.

Probablement parce qu’il correspondait au goût des habitants, le style roman se maintint très longtemps en Catalogne. Il s’attarda durant le xiiie s. dans des entreprises remarquables comme celles des cathédrales de Tarragone et de Lérida, ou encore dans les grands monastères cisterciens de Poblet et de Santas Creus, alors que simultanément s’implantaient un certain nombre de techniques gothiques.

Cet impressionnant développement artistique ne fit que s’accélérer dans la période proprement gothique, profitant des conditions éminemment favorables que procurait l’expansion catalane dans le Bassin méditerranéen. On a parlé d’une école catalane dans le domaine de l’architecture. Le terme n’est pas tout à fait exact, si l’on considère que cette modalité du style gothique couvre une grande partie du Levant espagnol et partage quelques-uns de ses caractères avec le Languedoc méditerranéen. Mais elle a trouvé en Catalogne sa zone de prédilection. À la différence de l’époque romane, c’est dans le cadre urbain que se produisit cette expansion, et Barcelone* en fut le principal moteur jusqu’à la déchéance du principat, dans la seconde moitié du xve s.

On aura davantage le droit de parler d’une école catalane en ce qui concerne la peinture, puisque, deux siècles durant, les ateliers catalans ont traduit avec la sensibilité qui leur était propre les divers langages artistiques que se donna successivement l’Europe occidentale. À la modalité linéaire d’origine française succéda une manière italienne, généralement empruntée à Sienne, avant que ne s’imposent le « style international » des environs de 1400 et finalement les leçons de la Flandre. L’évolution que l’on peut suivre à Barcelone s’observerait identique dans les autres centres vivants du pays : Perpignan, Gérone, Vich et Tarragone.

La Renaissance ne fit qu’une entrée timide, avec des artistes étrangers ou tout au moins originaires d’autres régions d’Espagne, comme le peintre cordouan Bartolomé Bermejo* et le sculpteur castillan Bartolomé Ordóñez († 1520). Elle fut brève, car la Catalogne inaugurait une période de repliement sur soi et d’atonie qui dura pratiquement jusqu’à la fin du xviiie s. C’est alors seulement, grâce à des phénomènes de récupération économique, que s’opère le réveil des énergies. De nouveau la Catalogne est traversée par des courants artistiques de caractère international.