Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Catalogne (suite)

De tout temps, les idées européennes ont pénétré en Espagne par la Catalogne, terre propice au commerce et aux échanges. Ainsi, au xiie s., la lyrique des troubadours y fait son entrée. En héritant du comté de Provence en 1166, Alphonse II d’Aragon, roi poète, ouvre une longue période où l’influence provençale se maintiendra bien après sa décadence en France : en 1393, par exemple, Jean Ier crée à Barcelone un Consistoire du Gai Savoir sur le modèle des jeux Floraux de Toulouse. Mais c’est en prose, avec la haute figure de Ramon Llull (Raymond Lulle*), que la littérature catalane proprement dite fait ses débuts, Llull qui le premier en Europe choisira sa langue maternelle de préférence au latin pour exprimer sa pensée philosophique et scientifique. Aux xiiie et xive s., la vitalité de la confédération catalano-aragonaise la place au rang des principales puissances européennes : quatre grandes chroniques témoignent de cette époque, dont la plus vivante est sans doute celle de Ramon Muntaner (1265-1336), qui, après avoir guerroyé en Sicile et en Orient, laisse parler ses souvenirs. Sous Jean Ier, l’humanisme commence à se manifester, notamment dans les chancelleries royales, où le beau langage est de mise. Secrétaire de ce roi et de Martin l’Humain, Bernat Metge (v. 1340-1413), remarquable prosateur (Lo Somni, 1399), est le premier à traduire Pétrarque. Le xve siècle est un âge d’or pour les lettres catalanes, qui s’enrichissent d’un grand roman de chevalerie, Tirant lo Blanch de Joanot Martorell (v. 1410-1468), tandis qu’en poésie l’influence provençale toujours vivace cède peu à peu la place à celle de l’Italie chez le pétrarquiste Jordi de Sant Jordi, mais surtout chez Ausiàs March (v. 1397-1459), le plus éminent lyrique du temps (Cant espiritual), surnommé le Pétrarque valencien. Valencien également, Jacme Roig († 1478) illustre la veine satirique. Puis, après le rattachement de la Catalogne à la Castille et devant l’épanouissement des lettres castillanes, c’est la décadence. Cette période de silence dure trois siècles, jusqu’à ce qu’en 1833 Buenaventura Carlos Aribau (1798-1862) vienne sonner le réveil en publiant sa célèbre ode la Patrie. On assiste alors à une véritable renaissance, la Renaixença, marquée par la restauration des jeux Floraux l’année même de la Mireille de Mistral (1859). Aux jeux de 1877, Jacint Verdaguer (1845-1902) voit couronner son Atlàntida, un des plus beaux poèmes épiques d’expression catalane, bientôt admiré au-delà des frontières comme va l’être le drame rural Terre basse (Terra baixa, 1897) d’Àngel Guimerà (1845-1924), le créateur du théâtre catalan. En effet, en cette fin du xixe s., les lettres catalanes commencent à se tourner vers l’Europe, et le poète Joan Maragall (1860-1911) est l’astre majeur de cette époque. Après lui, la poésie est illustrée par de nombreux talents : Josep Maria de Sagarra (1894-1961), Josep Carner (1884-1970), Josep Vicenç Foix (né en 1894), Carles Riba (1893-1959), également humaniste et peut-être le plus brillant de tous. La fin de la guerre civile, en 1939, ouvre une période de vingt ans de silence, dû en partie à l’exil de nombreux écrivains, silence suivi d’un renouveau qu’attestent l’extraordinaire essor de l’édition et la floraison de traductions et d’essais en tous genres. Le roman, longtemps inscrit dans la tradition du naturalisme depuis Solitude (1905), de la romancière Víctor Català (1873-1966), témoigne aujourd’hui d’une volonté d’engagement. Saisie d’une profonde angoisse devant le monde, la nouvelle génération, qui a vécu le drame de la guerre civile, peint en couleurs sombres la réalité présente : ainsi Manuel de Pedrolo (Bilan jusqu’à l’aube, 1962) et Josep M. Espinàs (né en 1909), tandis que Josep Pla (né en 1897) dresse un tableau de la vie catalane depuis le début du siècle. Quant à la poésie, elle est volontiers politique. Souvent mise en musique par quelques bons chanteurs populaires qui lui gagnent ainsi un vaste public, elle trouve en Pere Quart (né en 1899) et en Salvador Espriu (né en 1913) deux de ses voix les plus riches. Également prosateur, Espriu se penche sur le destin douloureux de sa patrie (la Peau de taureau, 1960) et réclame justice et liberté : c’est à ce prix en effet que les lettres catalanes pourront poursuivre leur marche ascendante.

J.-P. V.


L’art catalan

La situation bien spéciale qu’occupe la Catalogne dans la péninsule Ibérique tient certes à des causes géographiques et historiques précises, mais peut-être résulte-t-elle davantage encore de l’existence du particularisme catalan, c’est-à-dire du sentiment d’appartenir à une communauté dotée d’une langue, d’une culture et d’un art d’une incontestable originalité. Dans ce dernier domaine surtout, la solidarité des générations s’est exprimée à travers des manières communes d’expression.

Le phénomène apparaît pour la première fois dans toute sa netteté avec la naissance du premier art roman méridional. Certes, il s’agit là d’un style de caractère « international », couvrant une partie importante des terres de la Méditerranée occidentale et poussant des pointes profondes au cœur des Alpes et jusqu’en Bourgogne. Les monuments bâtis dans cette zone au cours des trois premiers quarts du xie s. ont en commun un petit appareil fait de pierres éclatées au marteau et un décor mural à base de festons de petites arcatures appuyés sur de minces pilastres. On retrouve de même en Catalogne les campaniles élancés et ajourés si fréquents dans la région des lacs italiens. Cependant, le style prend ici une physionomie un peu particulière. D’une part, on observe une volonté délibérée de voûter la totalité des édifices sacrés et, par ailleurs, on assiste à des expériences très précoces dans le domaine de la sculpture monumentale.

Peut-être expliquera-t-on ces recherches plastiques par le contact entre des cultures diverses. Le Roussillon*, partie méridionale de la Vieille Catalogne, se hisse alors au rang des pays novateurs, comme en témoignent la stylisation des linteaux de Saint-Génis-des-Fontaines et de Saint-André-de-Sorède et la composition déjà élaborée du portail d’Arles-sur-Tech. Il convient de joindre à ces décors de façades la série des chapiteaux d’une rare qualité composant, avec leurs colonnes, une manière d’ordre architectural à l’intérieur de la grande église de San Pedro de Roda.