Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Castille (suite)

En 1177, avec l’aide de l’Aragon, Alphonse VIII s’empare de Cuenca, mais, lorsqu’il se retrouve seul devant les Almohades à Alarcos, il est vaincu (1195). Les dissensions s’étant estompées, Castillans, Léonais, Aragonais, Navarrais et Portugais s’unissent et remportent la grande victoire de Las Navas de Tolosa (1212), qui ébranle la puissance almohade. La prise postérieure d’Úbeda, de Baeza et d’autres villes au sud de la sierra Morena ouvre la voie aux grandes conquêtes que Ferdinand III va pouvoir réaliser par la suite en Andalousie.

Du mariage d’Alphonse IX et de Bérengère de Castille (1197) naît Ferdinand III, qui monte sur le trône de Castille en 1217. Il occupe Andújar (1224), Cordoue (1236), Murcie (1243), Jaén (1246), Séville (1248) et d’autres villes encore jusqu’à Cadix. Dorénavant, le centre du royaume de Castille va se trouver paradoxalement à Séville, et les régions côtières seront repeuplées de marins chargés de leur défense. Les Génois jouent un grand rôle dans le développement économique ; ils introduisent l’élevage du mérinos, qui fait de la Castille l’un des principaux producteurs européens de laine.

À la mort d’Alphonse IX (1230), Ferdinand III unit définitivement le León et la Castille en 1230.


Le royaume de Castille et de León

Dorénavant, le destin de ces deux royaumes ira de pair. Alphonse* X (1252-1284) doit résoudre de graves problèmes tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Il essaie, mais en vain, de se rendre maître de la Navarre (car il se heurte à l’opposition de Jacques Ier d’Aragon [1213-1276]). Ses prétentions au duché de Gascogne sont sur le point d’entraîner une guerre avec Henri III d’Angleterre, qui n’est évitée que par le mariage d’une demi-sœur du roi de Castille avec le prince Édouard, héritier de la couronne d’Angleterre (1254). Pour le Portugal, les différends sont réglés grâce à l’union d’une des filles naturelles d’Alphonse X avec Alphonse III du Portugal. Le roi tente de se faire élire empereur germanique, s’appuyant sur le fait que Ferdinand III avait épousé Béatrice de Souabe, fille du duc de Souabe, reconnu empereur germanique ; mais, là aussi, il essuie un échec, et c’est Rodolphe de Habsbourg qui est élu en 1273. À l’intérieur, Alphonse X reprend quelques villes aux Arabes et signe un pacte avec les Grenadins. Il protège la culture et s’adonne lui-même aux lettres, au droit et aux sciences. Il introduit les principes du droit ancien absolutiste, qui vont être une arme excellente pour mater la noblesse, toujours hostile et agitée, et pour exalter le rôle de l’État. Mais, au point de vue économique, il prend plusieurs mesures néfastes, en dévaluant la monnaie par exemple.

À sa mort, le royaume est divisé entre les partisans de son fils Sanche IV et ceux de ses petits-fils, les infants de la Cerda. Finalement c’est le premier qui l’emporte et qui règne de 1284 à 1295. Après une longue campagne et avec l’aide de Jacques II d’Aragon et de Muḥammad II de Grenade, Sanche IV réussit à faire tomber la place de Tarifa, ce qui donne à la Castille la domination du détroit de Gibraltar et la possibilité de parer ainsi à une invasion ultérieure des Maures. Son refus de livrer au souverain de Grenade les villes qu’il lui avait promises en récompense engendre le siège de Tarifa, pendant lequel s’illustre Alonso Pérez de Guzmán, dit El Bueno (1256-1309), qui préfère voir mourir son fils que de livrer la cité. Au cours de cette entreprise se manifeste l’union profonde des Aragonais et des Castillans, qui préfigure les efforts qui seront faits en vue de la création de la nation espagnole. Sanche IV meurt en 1295, alors qu’il prépare la prise d’Algésiras.

Son fils Ferdinand IV (1295-1312) n’ayant pas dix ans, c’est Marie de Molina qui assume la régence : elle se trouve aux prises avec l’anarchie fomentée par les nobles et avec les prétentions au trône d’Alphonse de la Cerda, de don Juan, frère de Sanche IV, et de Jacques II d’Aragon. L’agitation se poursuit pendant le règne d’Alphonse XI (1312-1350). Celui-ci veut soumettre totalement Grenade et exterminer les musulmans. Bien qu’il soit tout d’abord mis en déroute, il défait les Marīnides à la bataille du Salado (1340), puis entre en triomphateur à Algésiras en 1344. Il fait donc faire un grand pas en avant à la Reconquête, qu’il aurait probablement terminée s’il n’avait été terrassé par la peste noire en 1350 devant Gibraltar. Il faudra maintenant attendre les « Rois Catholiques » pour que cet objectif soit atteint.

Pierre Ier le Cruel (1350-1369), descendant direct du précédent, est aux prises avec de multiples difficultés nées des ambitions de ses frères bâtards et de l’extrême indiscipline des nobles, irrités, d’un côté, par les faveurs accordées à la famille Padilla (María de Padilla étant la nouvelle épouse du souverain) et, de l’autre, par la puissance économique et politique croissante de la bourgeoisie. En effet, le roi choisit de s’appuyer sur cette classe sociale, à laquelle il garantit la sécurité aux dépens de l’aristocratie, qui n’est que source de troubles. Fait prisonnier à Toro, il s’en échappe en 1354 et châtie impitoyablement les rebelles. L’année 1363 marque le point de départ des guerres civiles qui mettent en présence Pierre Ier le Cruel et son demi-frère Henri de Trastamare ; ce dernier profite de l’appui du roi d’Aragon, des nobles mécontents et de mercenaires étrangers (Gascons, Allemands, Anglais, Français, Espagnols) réunis en « compagnies » sous le commandement de Bertrand du Guesclin. Il se proclame roi en 1366. Pierre Ier, réfugié à Bayonne, sollicite l’aide de l’Angleterre et, avec l’intervention du prince de Galles (le « Prince Noir »), l’emporte sur Henri à Nájera. Néanmoins, les désaccords qui surgissent bien vite entre les Anglais et les Castillans redonnent l’avantage à Henri, qui bat Pierre Ier à Montiel et l’assassine en 1369. Henri de Trastamare gouverne sous le nom d’Henri II (1369-1379) et s’entoure, non pas de l’aristocratie, à laquelle il ne donne que des terres, mais de ses anciens compagnons d’armes et des collaborateurs de Pierre Ier. Son fils et successeur Jean Ier (1379-1390) tente d’occuper le trône du Portugal, auquel il estime avoir droit, puisque sa femme Béatrice en est l’héritière, mais il le perd au désastre d’Aljubarrota (1385) au profit du grand maître de l’ordre d’Aviz*. Les désordres internes se poursuivent pendant la minorité d’Henri III le Maladif (1390-1406), qui, par son mariage avec Catherine de Lancastre, petite-fille de Pierre Ier le Cruel, met fin aux rivalités entre les deux familles. Dès que sa majorité est proclamée (à l’âge de quatorze ans), Henri III montre une grande aptitude à commander : il réprime la noblesse, pacifie presque tout le pays et se lance dans une politique d’expansion castillane. La ville de Tétouan, véritable nid de pirates en Afrique, est détruite, et la conquête des Canaries* est entreprise (1402) sous la direction de deux chevaliers français : Jean de Béthencourt et Gadifer de La Salle.