Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carolingiens (suite)

Le phénomène s’observe notamment dans la chapelle palatine de Charlemagne, à Aix*, et dans l’oratoire privé que Théodulf, l’un des plus cultivés parmi les familiers de l’empereur, éleva à Germigny-des-Prés. Ces deux constructions diffèrent sensiblement des édifices à plan centré qui ont pu les inspirer. Mais l’originalité de l’art carolingien apparaît surtout dans les savantes constructions voûtées qui se développent alors à l’est et à l’ouest des vieilles structures basilicales. Les cryptes de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, de Saint-Médard de Soissons et de Saint-Germain d’Auxerre, le massif occidental de Corvey, pour nous en tenir à des monuments conservés, montrent, avec l’usage judicieux et réfléchi de procédés de construction savants, qu’un grand art occidental était en train de voir le jour.

L’effort fut tragiquement interrompu et en grande partie annihilé par les invasions normandes. Il ne devait être repris qu’à l’époque romane, dans un contexte démographique, social et politique tout différent.

M. D.

➙ Moyen Âge (art du haut).

Carpaccio (Vittore)

Peintre italien (Venise entre 1455 et 1465 - ? 1525 ou 1526).


C’est avant tout son talent narratif qui assure à Carpaccio une place privilégiée dans l’école vénitienne de la première Renaissance. Il doit la célébrité à des suites de toiles peintes au cours de sa carrière pour les scuole, ces associations de piété et de bienfaisance dont on connaît le rôle important dans l’histoire de Venise.

En 1488, après une formation à laquelle avaient contribué Antonello* da Messina, Alvise Vivarini, Giovanni et surtout Gentile Bellini*, sans oublier les Flamands, il obtint de la Scuola di Sant’Orsola la commande de huit tableaux illustrant la Légende de sainte Ursule et des onze mille vierges. Ce cycle, exécuté de 1490 à 1500 (aujourd’hui à la galerie de l’Accademia de Venise), le montre déjà en possession d’un style très personnel. Carpaccio a pris plaisir à conter cette histoire, avec un luxe de détails qui prouve sa sympathie pour les êtres et les choses, sans nuire cependant à l’effet de la mise en scène. Les personnages forment des groupes ou des foules qui séduisent non seulement par l’éclat des costumes, mais aussi par leur disposition pleine de souplesse et de clarté. De même, les architectures qui les accueillent, et dont les éléments sont souvent empruntés au cadre vénitien, composent avec les vaisseaux un monde à la fois réel et féerique, mais ordonné par la perspective. L’annonce à sainte Ursule de son martyre se distingue des autres scènes par l’intimité de la chambre qui en est le décor. Ce qui fait aussi l’originalité de Carpaccio, c’est le dessin nerveux des figures, le modelé aigu des visages, la touche volontiers apparente, le coloris chatoyant, la lumière vive : une manière moins fondue que celle de la plupart de ses contemporains.

Ces qualités allaient encore mûrir. La Guérison d’un possédé, toile peinte en 1496, est la part de Carpaccio dans le cycle de la Scuola di San Giovanni, auquel collaborèrent en outre Gentile Bellini, Lazzaro Bastiani et Giovanni Mansuèti ; le monde imaginaire de la vie de sainte Ursule fait ici place à une transcription fidèle de Venise. C’est entre 1502 et 1507 qu’il exécuta, pour la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, celle des Dalmates de Venise, neuf toiles (encore en place) dont l’ensemble est sans doute ce qu’il y a de plus accompli dans son œuvre : deux épisodes du Nouveau Testament et des scènes relatives aux trois patrons de la scuola, saint Georges, saint Jérôme et saint Tryphon. Si le Miracle du lion blessé ou le Saint Georges combattant font la part belle à l’expression du mouvement, c’est une vision paisible que procure, décrit avec la minutie d’un maître flamand, le cabinet d’humaniste où saint Augustin reçoit l’annonce de la mort de saint Jérôme. Le caractère souvent oriental de l’architecture et des costumes semble accréditer la thèse d’un voyage du peintre au Levant, mais peut-être lui a-t-il suffi de regarder les dessins de Gentile Bellini ou les quais de Venise.

Vers 1505, Carpaccio fit pour la Scuola degli Albanesi un cycle de la Vie de Marie, aujourd’hui partagé entre quatre musées (Correr et Ca’d’Oro à Venise, Brera à Milan, Accademia Carrara à Bergame) ; on y relève des faiblesses qui trahissent l’intervention d’un atelier. La belle suite de la Vie de saint Étienne, peinte entre 1510 et 1515 environ pour la Scuola dei Laneri, est elle aussi dispersée (Brera, Louvre, musées de Berlin et de Stuttgart).

Le renom de Carpaccio comme auteur de suites ne doit pas faire oublier ses tableaux isolés. La pathétique Méditation sur la Passion, de 1500 environ (Metropolitan Museum de New York), rappelle la première manière de Giovanni Bellini. C’est vers la fin de sa carrière que Carpaccio multiplia, dans un style qui apparaît souvent celui d’un attardé, de tels ouvrages aux qualités cependant indéniables : les Deux Dames vénitiennes, dites « les Courtisanes » (musée Correr à Venise), d’une veine réaliste qui l’apparente à ceux des scuole ; le Portrait d’un chevalier (collection particulière, Suisse), à l’accent romantique ; la Présentation de Jésus au temple (Accademia de Venise), grande et belle « conversation sacrée » dans le goût de Giovanni Bellini ; ou encore l’âpre Méditation sur le Christ mort (Berlin). Mais Giorgione* et Titien* avaient déjà changé le cours de la peinture vénitienne ; Carpaccio ne dut ses dernières commandes qu’à des églises provinciales.

B. de M.

 G. Fiocco, Vittore Carpaccio (Rome, 1932 ; 2e éd., 1942). / T. Pignatti, Vittore Carpaccio (Milan, 1955) ; Carpaccio (Skira, Genève, 1958). / J. Lauts, Carpaccio, Paintings and Drawings (Londres, 1962). / M. Serres, Esthètiques sur Carpaccio (Hermann, 1975).