Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carolingiens (suite)

Variables dans leur montant, irréguliers dans leur versement, ces impôts directs ont un rendement presque inexistant et en tout cas beaucoup plus faible que celui des tonlieux, qui représentent le résidu rentable dont les Carolingiens ont hérité de la fiscalité romaine. Perçus uniquement sur les marchandises vendues, ces tonlieux sont constitués d’une part par les taxes frappant les transactions dans les foires et les marchés et payables sans doute moitié par le vendeur et moitié par l’acheteur, et d’autre part par les taxes sur les transports routiers et fluviaux levées en des points de passage obligés (cols, ponts) ou dans les lieux de chargement ou de déchargement des marchandises.

Malheureusement, les exactions des agents du pouvoir de même que les exemptions dont bénéficient églises, collèges et parfois grands seigneurs laïcs diminuent considérablement la rentabilité de ces ressources, réduites en outre par l’atonie des échanges.

• Les droits régaliens offrent à la monarchie carolingienne une source de revenus plus substantiels. Ceux-ci comprennent d’abord les produits de la justice, c’est-à-dire le neuvième des amendes et les deux tiers du bannum royal de 60 sous qui frappe les infractions à la volonté du souverain ; il faut y ajouter les droits de chancellerie ainsi que les bénéfices du monnayage, d’un rendement très faible, et d’ailleurs amputés plus ou moins largement, comme les profits de justice, par la fraude.

• Les revenus de la guerre constituent une troisième source de revenus, autrement importante que les précédentes, tout au moins tant que les Carolingiens poursuivirent leur politique d’expansion militaire, qui leur permit d’alimenter plus ou moins régulièrement leur Trésor avec le produit de leur butin (pillage du « ring » avar en 796) ou celui du tribut qu’ils imposaient aux peuples vaincus, mais dont le versement cessait dès que leurs forces évacuaient les territoires occupés.

• Enfin, produit indirect de la diplomatie carolingienne, les cadeaux des souverains étrangers en bijoux d’or et d’argent, en pierres précieuses, en étoffes de prix, en objets d’art, en meubles de prix, etc., constituent la dernière source de revenus du Trésor.

Les conséquences du système fiscal

La première est l’absence d’un véritable ministère des Finances, les réserves de la monarchie étant simplement entassées dans la chambre la plus secrète du palais, sous la garde d’un officier attaché directement à la personne du souverain : le chambrier.

La seconde est la composition très particulière du Trésor royal, qui s’identifie au contenu de la chambre et qui comprend moins de numéraire que de lingots d’or et d’argent et d’objets précieux, en raison de la modicité des revenus monétaires procurés par la fiscalité publique. Le Trésor est considéré par le souverain comme son bien propre. Celui-ci y puise sa vie durant les somptueux cadeaux qui doivent lui attacher la considération des souverains étrangers ou la fidélité de son aristocratie ; après sa mort, il dispose de ses richesses avec une telle générosité qu’il lui arrive, tel Charlemagne, d’en léguer les deux premiers tiers à l’Église et le dernier à ses bâtards, à ses serviteurs, aux pauvres et à d’autres établissements ecclésiastiques.

Sans doute les clauses du testament du grand empereur ne seront-elles pas respectées par son fils, Louis le Pieux, mais le seul fait que le souverain défunt ait pu songer à disposer de la totalité de ses ressources monétaires révèle qu’il devait disposer d’autres revenus pour assumer les charges de l’État.

Les revenus non monétaires de la monarchie

À cette catégorie de revenus appartiennent d’abord les prestations en travail (corvées) et en nature (logement, nourriture et transport des agents du roi) héritées du Bas-Empire et auxquelles sont assujettis tous les sujets du roi, même immunistes : ainsi travaux publics et fonctionnement des services publics, c’est-à-dire une partie importante des dépenses de l’État, se trouvent mis au compte des populations. Par ailleurs, c’est aux produits de son domaine, dont il contrôle avec soin la gestion (capitulaire de villis), qu’il recourt pour assurer l’entretien quotidien du palais, tandis que son patrimoine foncier, augmenté des biens d’Église spoliés par Charles Martel et des terres confisquées ou conquises par Pépin le Bref et par Charlemagne, lui permet par d’habiles donations de s’assurer des services et de la fiscalité de ses sujets.

Ainsi, dans une société essentiellement rurale, la terre apparaît comme la base réelle de la puissance et de la richesse des Carolingiens, dont le déclin coïncidera justement avec l’arrêt des conquêtes extérieures, qui ne permet plus, sous Louis le Pieux, le renouvellement du patrimoine foncier de la dynastie.


Le déclin de l’Empire

En fait, celui-ci a débuté bien avant que ne s’atténue l’éclat de la civilisation à laquelle il a servi de support politique. Nous avons déjà mentionné, ou laissé deviner, ses principaux facteurs : fidélité des souverains au principe du partage successoral égal du Regnum entre leurs fils, faiblesse de caractère des héritiers de Charlemagne qui favorise le développement anarchique du système vassalique, aliénations inconséquentes du domaine royal au profit des officiers ou du temporel des évêchés et des abbayes, multiplication abusive des immunités ecclésiastiques, qui ruinent l’empereur et le privent donc de son principal moyen d’action : l’argent.

Un moment jugulés par l’Ordinatio Imperii de 817, par laquelle Louis le Pieux reconnaît en Lothaire le seul héritier de l’Empire, ces facteurs de dissociation l’emportent à la suite de la violation de cet acte par son auteur, désireux de doter son fils dernier-né, le futur Charles le Chauve, d’un royaume (diète de Worms, 829). Révoltés aussitôt contre leur père (830), Lothaire et Louis le Germanique s’opposent ensuite l’un à l’autre au moment d’en recueillir l’héritage, en 840, le second ayant l’appui de Charles le Chauve. Vainqueurs de leur aîné, l’empereur Lothaire, à Fontenoy-en-Puisaye le 25 juin 841, les deux frères scellent leur alliance par les serments de Strasbourg du 14 février 842, premier acte officiel rédigé non pas en latin, mais en « roman » et en « tudesque ». Enfin, en août 843, par le traité de Verdun, ils contraignent Lothaire à accepter le partage définitif de l’héritage carolingien en trois nouveaux États : la Francia occidentalis, qui revient à Charles le Chauve ; la Francia orientalis, qui revient à Louis le Germanique ; la Lotharingie, enfin, que conserve Lothaire avec le titre impérial, qui constitue un État tampon s’étirant entre les deux premiers de la Frise à l’Italie du Sud et qui englobe les capitales : Aix-la-Chapelle et Rome. Mais alors que les deux premiers royaumes servirent de berceau aux nations française et allemande, le troisième ne résista pas à la mort de son souverain Lothaire Ier, en 855 : disloqué aussitôt en trois royaumes (Italie, Lorraine, Provence et Bourgogne), il fut dans sa partie septentrionale l’objet de convoitises renouvelées de la part de ses deux puissants vassaux.