Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique noire (suite)

En 1871, l’avènement de l’Allemagne et de l’Italie parmi les grandes puissances modifia le jeu traditionnel que France et Angleterre avaient coutume de diriger. Et les guerres de 1866 à 1871 excitèrent partout, dans les opinions publiques, un nationalisme avide d’expansion territoriale. La France, en particulier, vaincue, humiliée, craignant de perdre son « rang » de grande puissance, trouva dans la colonisation un moyen d’affirmer à la fois sa vigueur (« Pour rester une grande nation ou pour en devenir une, un peuple doit coloniser ») et son idéal républicain de « civilisateur ». Mais, derrière les oriflammes des doctrinaires, les masses paysannes et bourgeoises ne s’ébranlèrent pas pour peupler les terres nouvelles ou pour financer leur mise en valeur.


Coup d’envoi au Soudan

Le départ fut pris par le colonel Brière de l’Isle, gouverneur du Sénégal. Reprenant un projet de Faidherbe et de son successeur, Pinet-Laprade, qui avait fondé sur la côte de Guinée les trois postes de Boké, de Boffa et de Benty, Brière tenta de passer des accords avec les tribus locales pour détourner vers ces ports le commerce du haut Niger et du Fouta-Djalon. Il se heurta aux commerçants anglais de la Sierra Leone, dont le gouverneur, le docteur Rowes, suivait une politique analogue. Quai d’Orsay et Foreign Office empêchèrent leur rivalité de dégénérer en conflit et signèrent un accord de délimitation (1881).

Entre-temps, l’arrivée à Saint-Louis de Paul Soleillet, intéressé par la construction d’un chemin de fer transsaharien, orienta Brière vers la seconde voie d’expansion entrevue par Faidherbe : la liaison Sénégal-Niger et le détournement vers Saint-Louis du commerce caravanier de l’or. Il poursuivit alors, sous l’égide du gouvernement, une politique de dissociation de l’Empire toucouleur, que les circonstances favorisèrent.

La faiblesse d’Ahmadou, successeur d’El-Hadj Omar, dépourvu d’armes modernes, menacé par des dissensions intérieures, par l’impatience des Bambaras et autres animistes de se libérer de sa domination, incitait à intervenir. Mais, outre les Français, de nouveaux créateurs d’empires s’y préparaient : Samory Touré, maître de Kankan dès 1881, Mamadou Lamine, qui rêvait de grouper entre le Tinkisso et le Sénégal les Sarakollés dispersés dans tout le Soudan. La conquête française, avec ses campagnes annuelles, fut essentiellement l’œuvre des militaires : Gustave Borgnis-Desbordes, Gallieni, Archinard liquidèrent l’État toucouleur et l’empire de Samory, et imposèrent le protectorat français à tout le Soudan nigérien entre 1881 et 1898. La défaite, en 1900, à Kousseri, près du lac Tchad, par trois colonnes françaises parties respectivement du Sud algérien, du Soudan et du Congo, du prophète et conquérant Rabah réunit les colonies françaises d’Afrique.


Le Congo

Le bassin du Congo était encore inconnu vers 1870. Entre 1875 et 1879, deux explorateurs européens s’y intéressèrent. Stanley, surtout, correspondant de deux grands journaux anglais et américains, suivit le cours du fleuve de la source à l’embouchure. Brazza, chargé de missions sur l’Ogooué par le ministre de la Marine, découvrit une voie d’accès vers l’Alima, affluent du Congo, et vers le Stanley Pool, en évitant les rapides presque infranchissables du fleuve entre le Pool et l’estuaire. Du Pool aux Stanley Falls de l’Est, l’immense boucle du Congo formait avec ses affluents un vaste réseau navigable, sur lequel prospérait un actif commerce indigène, mais que les razzias des négriers d’Afrique orientale commençaient à troubler. Sur l’avenir de cette immense région, riche en caoutchouc et en ivoire, les spéculations allaient bon train. L’un des plus actifs à s’y livrer fut le roi des Belges Léopold II. Passionné pour la géographie et la haute finance, ce prince, que son peuple ne suivait pas dans cette voie, réunit dans son palais, en septembre 1876, la Conférence internationale de géographie, qui fonda l’Association internationale africaine. Société privée, philanthropique, cette A. I. A. créa dans chaque pays des comités nationaux chargés de recueillir des fonds et d’installer en Afrique centrale des « stations scientifiques et hospitalières » propres à faire progresser l’exploration et régresser la traite des Noirs.

Léopold fonda ensuite un Comité d’études du Haut-Congo, qui ne s’interdit pas la prospection commerciale et qui prit Stanley à son service. En 1879, ce dernier fut chargé de frayer à partir de Borna une voie d’accès au Pool et de conclure avec les chefs noirs des traités qui les plaçaient sous le contrôle du Comité. Ces « États indépendants » eurent donc un souverain en Europe.

Brazza, cependant, désireux de faire du Gabon français le débouché commercial du réseau congolais, partit au même moment, de sa propre initiative. À peine le Comité français de l’A. I. A. lui donna-t-il les moyens d’installer une ou deux stations scientifiques et hospitalières, et le ministère accepta-t-il de lui faciliter, selon l’usage, la remontée de l’Ogooué. Brazza fonda Franceville, puis rejoignit, près du confluent du Léfini et du Congo, le chef des Batékés, Makoko, qui consentit une déclaration de cession de souveraineté à la France et une concession de terrains sur la rive nord du Pool. C’est là qu’il installa un petit poste sous la direction du sergent sénégalais Malamine. Il regagna la côte, sans révéler à Stanley, qu’il rencontra à Vivi, l’existence de ces accords. Il dut ensuite attendre à Franceville le chef de station désigné par le Comité français de l’A. I. A., l’enseigne de vaisseau détaché Mizon, puis rentra en découvrant la voie, plus courte encore que celle de l’Ogooué, du Niari-Kouilou.

Lorsqu’il revint en France, le gouvernement, qui cherchait un succès pour calmer l’opinion publique, alarmée par l’intervention anglaise en Égypte (juill.-sept. 1882), accepta les traités signés sans son aveu. Ceux-ci furent ratifiés par les Chambres (nov. 1882), et le lieutenant de vaisseau Cordier alla occuper Loango et Pointe-Noire, à l’embouchure du Kouilou.