Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Capitant (Henri)

Juriste français (Grenoble 1865 - Allinges, Haute-Savoie, 1937).


Agrégé des facultés de droit en 1891, Henri Capitant arrive à la maîtrise à l’heure où disparaissent les derniers représentants de l’école de l’exégèse. L’analyse de la jurisprudence, l’étude des législations étrangères, l’influence des recherches historiques, un regain de faveur pour la philosophie du droit prédisposent alors les juristes à renouveler l’enseignement du droit civil.

Professeur à Grenoble, où il restera jusqu’en 1908, il publie en 1897 son Introduction à l’étude du droit civil. Il écrit ensuite à l’intention de ses étudiants, alors qu’il est professeur à Paris, une série d’ouvrages devenus classiques : en 1914-1916, son œuvre capitale, le Cours élémentaire de droit civil français, en collaboration avec Ambroise Colin (cet ouvrage est entièrement refondu de sa main après la mort de Colin, et la 8e édition est publiée en collaboration avec Léon Julliot de La Morandière) ; en 1934, les Grands Arrêts de la jurisprudence civile ; en 1935, la Thèse de doctorat ; de 1930 à 1935, le Vocabulaire juridique, ouvrage collectif, édité sous sa direction.

Tout au long de sa carrière, considérant la jurisprudence comme une source de droit très importante, il publie de nombreuses notes à la Revue trimestrielle de droit civil, à la Revue critique, au Dalloz, à la Gazette du palais et dans des revues étrangères.

Membre de l’académie des sciences morales et politiques, docteur honoris causa de nombreuses universités, conseiller de la Banque de France, membre des comités consultatifs pour les affaires contentieuses de la préfecture de la Seine, des conseils supérieurs de l’instruction publique et du travail, membre de la Société d’études législatives, Henri Capitant exerce une influence certaine sur le législateur de l’époque. Sur le plan international, son œuvre et son action ont un grand rayonnement ; il croit possible l’unification du droit, s’oppose à Montesquieu et à Friedrich Karl von Savigny (1779-1861), chef de l’école historique allemande. Il est l’un de ceux qui, comme Léon Duguit (1859-1928), François Gény (1861-1959), Maurice Hauriou (1856-1929), Marcel Planiol (1853-1931), après avoir hâté la chute de l’individualisme absolu, du particularisme naturel et de l’omnipotence de la législation, ont en fait posé les fondations du droit privé français actuel.

À sa mort, l’Association des juristes de langue française, dont il était président, a pris le nom d’Association Henri-Capitant pour la culture juridique française.

R. M.

Capote (Truman)

Écrivain américain (La Nouvelle-Orléans 1924).


Commencée en 1948 par la publication d’un roman, Other Voices, Other Rooms (Domaines hantés), l’œuvre littéraire de Truman Capote semble d’abord placée sous le signe de l’esthétisme pur, voire de la préciosité. Né dans le Sud, patrie de la rhétorique, orphelin, Capote réfugie très tôt sa solitude inquiète dans les livres et les mots et merveilles. À dix-sept ans, il devient journaliste au New Yorker, le magazine à la mode de l’après-guerre, qui a une influence déterminante sur lui comme sur ses contemporains Salinger, Philip Roth, Updike, Purdy, Thurber. La rédaction du New Yorker insiste sur la perfection du style. Ce magazine chic, légèrement sophistiqué, sacrifie à la publicité autant qu’au style : il devient ainsi l’expression d’une sorte de dandysme de confection, de « style boutique » qui reflète l’esprit de la société de consommation. Ce style, drôle et élégant, mêle la fantaisie et le désenchantement, le cynisme et la nostalgie. C’est un masque derrière lequel on devine une inquiétude. Mais, « le style d’abord » reste le slogan de Capote : « Je me considère, dit Capote, essentiellement comme un styliste ; et un styliste peut être obsédé par la place de la virgule et le choix d’un point et virgule. Je crois que le style, mieux que le contenu, reflète la personnalité de l’artiste. »

Domaines hantés est un livre très écrit, narcissique, presque onirique. Le héros se replie dans un univers imaginaire. Mais, derrière le jeu des mots, on devine une inquiétude, une quête qui est le sujet profond du roman : un orphelin part à la recherche d’un père qu’il n’a jamais connu et qu’il ne fera qu’entrevoir. The Grass Harp (la Harpe d’herbe, 1951) évoque un héros replié sur lui-même, hésitant à abandonner la douceur d’un emprisonnement qui le protège de la vie. La prison des mots reste pour Capote le plus sûr refuge, même si elle le prive de la vie. En 1958, Breakfast at Tiffany’s (Petit Déjeuner chez Tiffany, plus connu en français sous le titre du film qui en est tiré, Diamants sur canapé) apparaît comme le chef-d’œuvre de cette première période de Capote. Merveille de cocasserie et de nostalgie, cette brève rencontre d’un poète et d’une cover-girl suggère à la fois toute l’angoisse et tout l’émerveillement, toute l’horreur et toute la fantaisie de la vie. « Pas un mot à changer à Breakfast at Tiffany’s, écrit Norman Mailer, qu’on ne peut soupçonner d’indulgence pour un genre si différent du sien. C’est le meilleur écrit de notre génération ; la phrase la plus impeccable, mot après mot, rythme après rythme. »

Brusquement, en 1959, un autre écrivain, une autre personnalité succède à la première. « Ma façon de voir, ma personnalité s’est complètement transformée, écrit Capote. La première, un garçon de La Nouvelle-Orléans, précoce, auteur d’une série de livres tout à fait remarquables, que je peux lire aujourd’hui et apprécier à leur juste valeur. Mais ce garçon a disparu. Je suis devenu une seconde personne. » En novembre 1959, Capote apprend par les journaux l’assassinat d’une famille de fermiers texans, les Clutters et leurs enfants, par deux jeunes gens, Dick Hickock et Perry Smith, sans motif clair. Pendant cinq ans, il enquête, devient l’ami des parents des victimes et des tueurs, des policiers, enfin des criminels eux-mêmes, qu’il visite et à qui il écrit, jusqu’à leur exécution par pendaison. Sur l’affaire Clutters, il réunit six mille pages de rapport, dont il tire en 1966 In Cold Blood (De sang-froid). Roman sans fiction, ou « roman-vérité », le livre a un énorme succès. Cette anatomie d’un fait divers offre une analyse de cette violence absurde que quiconque peut rencontrer au hasard de la vie, et qui ravage de plus en plus l’Amérique. Le livre apparaît comme un heurt entre une Amérique sauvage, désespérée et une Amérique laborieuse, traditionaliste. Rien ne semble prédisposer les tueurs à tuer, les victimes à mourir. Mais les espoirs, les illusions des jeunes criminels disparaissent, jusqu’à ce qu’ils soient si pleins de haine et d’envie contre le monde qu’ils tuent brusquement n’importe qui, sans savoir pourquoi, sans même le vouloir.