Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

capitalisme (suite)

Cet optimisme, partiellement justifié sur le terrain de la production, ne l’était évidemment pas sur celui de la répartition des richesses. En fait, l’intervention de l’État est extrêmement tardive en ce domaine : interdiction du travail des enfants ; réglementation du travail des femmes ; autorisation, puis reconnaissance des syndicats ouvriers ; protection du droit syndical ; limitation de la durée de travail ; détermination de règles protectrices en matière de conditions de travail, d’embauche ou de licenciement ; attribution d’un véritable pouvoir réglementaire aux accords conclus par les syndicats patronaux et ouvriers ; fixation de salaires minimaux ; développement de l’assistance, puis d’organismes visant à opérer une véritable redistribution des revenus. À l’intervention sociale directe succède une intervention sociale indirecte sous forme d’action économique, en vue d’enrayer le développement des crises et d’assurer le plein emploi de la main-d’œuvre ; de plus en plus fréquemment, les États interviennent pour aider telle ou telle entreprise, tel ou tel groupe de producteurs, telle ou telle catégorie de chefs d’entreprise. Un néo-capitalisme se développe ainsi, caractérisé par la réapparition des corps intermédiaires, dont la disparition avait justement seule permis l’essor du capitalisme à la fin du xviiie s.

2. Les fondements du capitalisme mis en cause

Depuis Platon, la légitimité de la propriété privée a été souvent discutée. Si les canonistes du Moyen Âge l’acceptent, parce qu’elle leur semble constituer un stimulant au travail, ils croient qu’elle crée à ses bénéficiaires le devoir d’en user plus pour le bien commun que dans leur intérêt égoïste et ils condamnent le commerce de l’argent. De Thomas More aux anarchistes d’aujourd’hui, en passant par Babeuf et Saint-Simon, le principe même de la propriété privée est mis en question. Avec Proudhon et les diverses écoles, anarchistes, socialistes et chrétiennes sociales, le mode de relations sociales impliqué par le capitalisme est mis en cause ; cependant les deux dernières visent le plus souvent à réformer le capitalisme, l’exemple suédois étant fréquemment mis en avant, à l’époque contemporaine, pour justifier une position de ce type, alors que les analyses les plus récentes de la vie politique, économique et sociale ont permis à certains observateurs de nier la réussite de l’expérience.

Avec Karl Marx, on sort des généralités humanitaires ou égalitaires. Après avoir constaté que, de tout temps, deux groupes sociaux antagonistes ont coexisté, dont l’un exploitait l’autre, Marx souligne que, toujours, la classe exploitée a pris le dessus. Analysant le capitalisme de son temps, il observe l’opposition de la bourgeoisie, propriétaire des moyens de production et d’échange, et du prolétariat, qui vend à celle-ci sa force de travail. Le profit capitaliste étant constitué par la valeur de la fraction du travail productif, que le capitaliste s’approprie indûment (plus-value), il en conclut à l’opposition irréductible des deux classes ainsi qu’à l’inéluctabilité de la disparition du système, rongé par ses contradictions internes. En effet, la conquête du profit conduit à la concentration des entreprises en un petit nombre de mains (c’est-à-dire à une socialisation capitaliste du travail), alors que s’accroît la masse des travailleurs spoliés et leur prise de conscience de classe. Le capitalisme engendre ainsi son « fossoyeur » en la personne de la classe ouvrière.

Lénine poursuit l’analyse en dénonçant l’ « impérialisme » comme une conséquence des difficultés du système ; lorsque, avec la fin du colonialisme juridique, les pays du tiers monde accèdent à l’indépendance politique, ils éprouvent la plus grande difficulté pour assurer leur vie économique, et la misère de leurs populations subsiste ou, souvent, s’accroît. Dans la mesure même où les économistes classiques ont toujours considéré le capitalisme comme un phénomène international, il paraît bien difficile de porter un jugement sans analyser une situation mondiale qui, apparemment, permet de se demander si la paupérisation croissante du prolétariat — que Marx considérait comme un effet nécessaire du développement du capitalisme — est dépassée ou démontrée par les faits.

R. M.

G. R.

➙ Bourgeoisie / Capital / Classe / Commerce international / Consommation / Entreprise / Impérialisme / Industrialisation / Marx (K.) / Patrons et patronat / Planification / Production / Socialisme.

 K. Marx, Das Kapital (1867-1894 ; trad. fr. le Capital, Éd. sociales, 1948-1960 ; 7 vol.). / A. Marshall, Principles of Economics (Louvain, 1890 ; trad. fr. Principes d’économie politique, Giard et Brière, 1906-1909 ; 2 vol.). / V. Pareto, Manuale di economia politica (Milan, 1906 ; trad. fr. Manuel d’économie politique, Marcel Giard, 1927). / W. Sombart, Der moderne Kapitalismus (Munich, 1921-1928 ; 3 vol. ; trad. fr. l’Apogée du capitalisme, Payot, 1932, 2 vol.). / J. M. Keynes, The General Theory of Employment, Interest and Money (Londres, 1936 ; trad. fr. Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, 1942 ; rééd., 1970). / J. A. Schumpeter, Capitalism, Socialism and Democracy (New York, 1942 ; 3e éd., 1950 ; trad. fr. Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, 1951 ; rééd., 1963). / G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne (L. G. D. J., 1946). / F. Perroux, le Capitalisme (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1948 ; 3e éd., 1958). / P. Samuelson, Economics, an Introductory Analysis (New York, 1948 ; 5e éd., 1961 ; trad. fr. l’Économique, A. Colin, 1957 ; nouv. éd., coll. « U », 1964, 2 vol.). / P. Bleton, le Capitalisme en pratique (Éd. ouvrières, 1961). / R. Fossaert, l’Avenir du capitalisme (Éd. du Seuil, 1961). / E. Mandel, Traité d’économie marxiste (Julliard, 1962 ; 2 vol.). / R. L. Heilbroner, The limits of American Capitalism (New York, 1966). / F. Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme, ve-xviiie siècles (A. Colin, 1967). / G. Mathieu, Dictionnaire du capitalisme (Éd. universitaires, 1970). / B. Rosier, Croissance et crise capitalistes (P. U. F., 1975).