Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

capitalisme (suite)

La complexité et la différenciation des tâches à accomplir obligent le chef d’entreprise, jusqu’alors isolé, à s’entourer de cadres* spécialisés, auxquels il doit déléguer certains de ses pouvoirs. L’évolution des techniques de production et la croissance des entreprises se conjuguent pour stimuler cette division du travail, qui, d’ailleurs, souvent, se double d’une bureaucratisation de l’organisation interne des entreprises. D’un autre côté, l’extension de la société anonyme a entraîné différentes conséquences. En premier lieu, l’incarnation du capital dans la personne d’un patron connu tant par le public que par ses ouvriers n’est, le plus souvent, guère possible ; une vaste organisation anonyme le remplace ; il en résulte que l’entreprise capitaliste se trouve obligée de recourir à des actions publicitaires afin de donner d’elle une image favorable qui puisse faciliter l’écoulement de ses produits. En second lieu, l’extension de la société anonyme a abouti à mettre en place un système de contrôle, de gestion et d’organisation des entreprises où, pratiquement, l’actionnaire se trouve exclu. En effet, le capital est procuré par un apport collectif dont les propriétaires théoriques, les actionnaires, perdent généralement le contrôle. Celui-ci tend de plus en plus à passer aux mains de quelques éléments prépondérants assemblés en conseils d’administration et qui en viennent à disposer, en fait, de la pleine propriété des actifs réels de l’entreprise. C’est d’ailleurs à travers certains de ces administrateurs que les participations réciproques entre banques, entreprises industrielles, entreprises commerciales, sociétés de recherche, etc., tissent les liens d’affiliation nécessaires à la création de vastes groupes financiers. Chaque entreprise isolée se définit par une marge d’autonomie très variable et par une subordination plus ou moins grande envers les autres éléments du groupe. Cette évolution donne naissance à des formules très souples ou très fluides, où les modalités d’organisation sont très variables et très changeantes. Par conséquent, ces groupes ne peuvent demeurer ni figés ni définitivement cloisonnés. C’est ainsi qu’à la frontière de groupes alliés ou vitaux des filiales communes apparaissent souvent ou encore que d’anciennes filiales s’émancipent jusqu’à devenir parfois le leader du groupe. Rien d’étonnant qu’on ait pu qualifier ce capitalisme moderne de macromoléculaire dans la mesure où il est né de l’agglomération en très grosses molécules (groupes) des atomes que constituaient les anciennes entreprises et dans la mesure où l’on n’oublie pas que ces molécules sont bien vivantes, se déforment, grossissent, éclatent, etc.


L’ère des organisateurs

À une époque plus récente, cette dissociation toujours plus grande entre la propriété et le pouvoir de décision, observée surtout dans les grandes entreprises industrielles ou commerciales, s’est encore accrue non plus seulement en raison de la dispersion du capital provoquée par l’extension de la société par actions, mais surtout en raison des compétences et des qualifications toujours plus grandes réclamées par la gestion de l’entreprise. Plus que jamais, la faculté de gestion se trouve séparée de la propriété ou du contrôle financier. Une catégorie nouvelle a été amenée à prendre en main les leviers de commande des grandes affaires : on a alors pu dire qu’on était entré dans l’ère des managers ou des grands directeurs — catégorie ouverte et accueillante aux hommes nouveaux, recrutés de préférence sur les bancs de l’université ou des grandes écoles. Or, cette couche introduit dans les affaires une éthique bien différente de celle des vieux dirigeants capitalistes, arrivés aux postes suprêmes par descendance familiale. L’expansion de l’entreprise, beaucoup plus que le gain financier, constitue son principal mobile d’action. En d’autres termes, le profit n’est plus considéré que comme le moyen de réaliser le développement. Du même coup, ce n’est plus le profit maximal qui est recherché en s’efforçant de saisir des occasions immédiates fructueuses, mais un flux régulier de bénéfices, étalé sur une longue période afin que soit obtenue une croissance soutenue de la firme. Dès lors, le succès dans les affaires cesse d’être lié aux bénéfices distribués, les sommes versées aux actionnaires ne représentant, en moyenne, qu’une fraction des revenus encaissés par la firme. Désormais, la satisfaction du client (la vente tendant à être considérée comme un service) et celle du personnel passent souvent avant la satisfaction des actionnaires. Loin d’être systématiquement hostile à l’État, selon le schéma libéral, cette couche de managers accepte de coopérer avec les services publics dans l’exercice de leurs fonctions. Il en découle, pour la puissance publique, la possibilité d’orienter le développement de l’économie dans l’intérêt de l’ensemble de la société.

En présence de ce nouveau type d’entreprises, les contraintes anciennes, qui limitaient les pouvoirs réels des propriétaires du capital, se sont déplacées. Les lois objectives du marché se sont partiellement modifiées et ont perdu beaucoup de leur mystère : au lieu d’une résultante imprévisible subie par chaque chef d’entreprise se dessinent des résultantes partiellement ou même, dans certaines limites, totalement prévisibles. La domination qu’exercent sur le marché de chaque produit quelques grosses entreprises leur permet de maîtriser plus ou moins les prix, les quantités offertes, l’expansion des débouchés par la publicité. En fait, les entreprises ne peuvent pas se désintéresser de ces différents problèmes : elles doivent même s’en occuper activement en raison de nouvelles contraintes procédant de l’importance des capitaux immobilisés. Aussi, l’entreprise est-elle obligée de prévoir leur amortissement sur une assez longue période ; il lui faut durer, c’est-à-dire se préoccuper plus d’un flux régulier de profits dans le temps que d’occasions immédiates hautement rentables. Pour y parvenir, l’entreprise doit, en premier lieu, s’assurer que le marché ne se dérobe pas devant ses produits. Puisque les processus s’allongent, il devient difficile d’augmenter ou de diminuer la production selon les impératifs du prix : non seulement la prévision et avec elle les plans de production sont nécessaires, mais encore le conditionnement du consommateur doit être réalisé. De plus en plus, les entreprises recourent à des moyens massifs et puissants (surtout à la publicité dans les journaux, au cinéma, à la radiotélévision, etc.) pour tenter de manipuler, sinon de contrôler, les préférences des consommateurs. Ce sont d’incessantes campagnes publicitaires des grandes firmes pour forcer l’attention du consommateur. Quand il est le plus impressionnable et que ses préférences sont très malléables — ce qui s’observe surtout pendant l’enfance et l’adolescence —, ce dernier est soumis à l’influence du répertoire habituel des procédés de la promotion de vente, procédés par lesquels les entreprises essaient de convaincre les consommateurs que les biens qu’elles vendent sont entourés d’un prestige inégalé. Il en résulte que l’emploi, par les grandes entreprises, de moyens de diffusion massive (mass media) conditionne l’individu à accepter des valeurs, des modes de pensée et des idées exprimées par d’autres, aboutissant à restreindre la liberté du consommateur à choisir ses produits. En second lieu vis-à-vis du personnel qu’elles emploient, les entreprises ont aussi été amenées à adopter de nouvelles attitudes.