Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

capitalisme (suite)

... ou une série de poussées depuis l’Antiquité ?

Cette idée de développement linéaire du capitalisme a été discutée par les historiens contemporains, qui montrent qu’il n’y a pas eu rupture entre le Moyen Âge et le xvie s., mais que, très progressivement, l’apparition des grands États nationaux, la Renaissance, la Réforme et les conséquences des découvertes ont entraîné des transformations radicales ; selon eux, il est possible de voir dans chacun de ces événements les premières formes du capitalisme moderne. On peut même se demander si toutes les périodes historiques n’ont pas été capitalistes. Dès lors, la question n’est plus de savoir si l’économie médiévale ou celle du xvie s. était capitaliste, mais de connaître la place tenue dans le monde médiéval ou au xvie s. par les entreprises fondées sur le risque de l’argent en vue de l’intérêt et animées par un désir de gain illimité. Or, si l’on porte les recherches, comme le recommandait H. Pirenne, non sur l’élément objectif du capitalisme, c’est-à-dire le capital, mais sur le facteur personnel, c’est-à-dire le capitaliste, on constate alors que l’homme qui s’adonne au trafic en vue d’une accumulation constante de bénéfices, en s’affranchissant de toutes les restrictions opposées à ses audaces, existe dès le haut Moyen Âge, comme il avait d’ailleurs existé dans l’Antiquité. Mais régulièrement, après deux ou trois générations, la classe qui s’est élevée par la liberté à la fortune devient conservatrice ; elle pousse elle-même à la régularisation de l’activité économique. Ainsi, les marchands du xvie s. se lancent dans la grande aventure en faisant litière des traditions médiévales, mais leurs fils convertissent leur profit en terres, entrent dans la robe, qui, d’heureux mariages aidant, les conduira au sein de la vraie noblesse ; ils mettent leur influence au service du pouvoir et de la société, qui prétendent ordonner la course vers le profit. Ainsi se succèdent historiquement, avec une régularité presque totale, les phases de liberté économique et de réglementation. La croissance du capitalisme, ininterrompue jusqu’à son triomphe au xixe s., ne présente plus un mouvement rectiligne, mais une série de poussées hardies coupées de temps d’arrêt. La poussée qui coïncida avec les révolutions spirituelles de la Renaissance et de la Réforme s’inscrit ainsi dans un mouvement de longue période, favorable au développement du capitalisme.


Le néo-capitalisme

À l’époque contemporaine, le système a subi des transformations si importantes et si nombreuses que l’on a pu parler, tout au moins pour les pays industriellement développés, d’une nouvelle forme de capitalisme, désignée sous le vocable — au demeurant vague et mal défini — de néo-capitalisme. Par l’emploi de ce terme, certains auteurs entendent montrer, sans contester la réalité des changements, que le capitalisme n’a pas renoncé à ses objectifs fondamentaux, à savoir qu’il repose toujours sur la « recette de l’enrichissement », mais que, pour parvenir à ses fins, il utilise des armes beaucoup plus subtiles, ce qui lui permet de se faire admettre plus facilement par l’opinion publique. De quels changements s’agit-il ?


Le capitalisme atomistique

Le premier changement que l’on peut observer concerne la propriété des moyens de production au sein de l’entreprise. Le premier type d’entreprise capitaliste, prépondérant jusqu’à la fin du xixe s. et passé depuis au second rang, était fondé sur un capital individuel ou familial. Au xixe s., pendant la première phase de l’industrialisation, les entreprises de ce type se sont multipliées en très grand nombre. Toute l’économie était marquée par la concurrence qui jouait entre elles. Chaque patron, possesseur du capital ou gérant des intérêts familiaux, se jugeait le maître de son affaire, sauf à subir la loi du marché. Dans l’entreprise, il décidait de l’emploi, définissait les conditions techniques du travail, dirigeait la production, surveillait les travailleurs, fixait leur salaire. Interprète des variations du marché, il fixait ses prix, décidait du volume de ses échanges, engageait de nouveaux investissements. En fait, des contraintes indirectes limitaient ses pouvoirs réels et sa marge d’action. Chaque entreprise trop faible pour orienter de façon décisive le marché devait s’adapter aux débouchés et aux prix que celui-ci dégageait, comme résultante des décisions de tous les entrepreneurs isolés. C’est plutôt dans l’organisation technique de la production, dans l’adaptation de nouvelles machines, dans le lancement de nouveaux produits que résidaient les pouvoirs les plus réels, les marges de liberté les plus grandes.

Bientôt, d’ailleurs, de nouvelles contraintes viennent limiter ces pouvoirs : d’une part, l’élaboration, sous la pression du mouvement ouvrier, d’une législation du travail et, d’autre part, la concentration du capital. La législation du travail pousse les plus grandes entreprises à maintenir leur rentabilité par la recherche d’une amélioration de la productivité, alors que les plus petites y parviennent en tournant les réglementations. La concentration du capital, qui naît de la concurrence et du drainage de l’épargne par le marché financier, va aboutir à une profonde transformation du système capitaliste.


Le capitalisme moléculaire

Dès la fin du xixe s., un nouveau type — auquel la société anonyme a fourni une base — est devenu prépondérant et a modifié le jeu du marché. Cette évolution de l’entreprise s’est accompagnée de changements tout aussi essentiels, marqués par une tendance générale à la concentration et à la croissance (diminution du nombre des établissements et augmentation de leur taille moyenne), par la création de liens nouveaux entre entreprises (notamment par le développement considérable, depuis 1914, des ententes) et aussi par l’emprise sur le marché que leur a permis l’accroissement de puissance dû à la concentration progressive du pouvoir économique en leur sein.