Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cantate (suite)

En France, vers la fin du xviie s., les Airs à une, deux, trois et quatre parties avec la basse continue (1689) de Michel Lambert, avec des dialogues, des ensembles et des parties pour deux violons, se rapprochaient sensiblement de la cantate. Mais, dès 1683, Marc Antoine Charpentier, élève de Carissimi, introduisait le nouveau genre avec son Orphée descendu aux enfers, qui différait un peu du type classique avec ses trois voix et ses instruments (flûte à bec, flûte traversière et basse de viole). Bientôt la mode s’en répandit rapidement. « Les cantates et les sonates naissent ici sous les pas, lit-on dans le Mercure de France (nov. 1713) ; un musicien n’arrive plus que la sonate ou la cantate en poche ; il n’y en a point qui ne veuille faire son livre et être buriné, et ne prétende faire assaut contre les Italiens, et leur damer le pion. » Le poète Jean-Baptiste Rousseau, grand pourvoyeur de livrets, en fixa le cadre, plus restreint que celui de la cantate italienne, en 1695. Elle comportait un récit exposant le sujet, un air en rondeau et un dernier air contenant « le point moral de l’ouvrage », et puisa ses thèmes d’inspiration dans la mythologie, les actions galantes et héroïques et, plus rarement, dans la Bible. Parmi les maîtres de la cantate française, il faut citer Jean-Baptiste Morin (1er livre, 1706, une et deux voix), Nicolas Bernier (1er livre, 1703), Jean-Baptiste Stuck (1er livre, 1706), Élisabeth Jacquet de La Guerre (Cantates françaises sur des sujets tirés de l’Écriture, 1708-1711), Thomas Louis Bourgeois, Michel de Montéclair, Jean Joseph Mouret et surtout Louis Nicolas Clérambault, qui a laissé cinq livres (1710-1726) d’une inspiration parfois un peu sèche, mais non sans grâce et sans noblesse (Orphée ; Médée ; Léandre et Héro). André Campra se distingue par la richesse de ses idées et sa tendance italianisante. Il mêle, à vrai dire, les deux goûts et conserve dans le récitatif la manière française, tandis qu’il imprime à l’air la vivacité italienne (Didon ; Silène ; Daphné). Il étoffe l’accompagnement et y introduit d’autres instruments (hautbois, basson). Comme Campra, Jean-Philippe Rameau a tendance à dramatiser la cantate. Il la considère comme un petit opéra et l’agrémente d’épisodes descriptifs, que le sujet soit pastoral et héroïque (Thétis), dramatique (le Berger fidèle) ou comique (les Amants trahis). La cantate burlesque fut aussi cultivée par Philippe Courbois et Charles Hubert Gervais. Après 1730, le genre déclina. Quant à la cantatille, qui se réduisait à un petit morceau de salon galant et spirituel, souvent fade, elle fut pratiquée par J. J. Mouret, Louis Lemaire, Armand Louis Couperin, Jacques ou Louis Naudé et Michel Corrette, mais ne connut qu’un succès éphémère.

En Allemagne, au début du xviie s., les Arie passeggiate (1623) de Johann Nauwach et les Arien und Kantaten (1638) de Kaspar Kittel comportaient aussi des variations strophiques sur la même basse. Mais la cantate du culte réformé connut la plus grande floraison. Après l’abandon des traditions musicales de la messe, on prit l’habitude, entre la lecture de l’Évangile et le sermon, d’exécuter une pièce de musique en langue allemande dont les paroles variaient avec les fêtes du calendrier liturgique. La nouvelle « cantate d’église », issue des cantiones sacrae de Hieronymus Praetorius, Heinrich Schütz, Johann Hermann Schein, Samuel Scheidt, Johann Rosenmüller..., écarta les épisodes dramatiques de l’oratorio. Elle comporta un récitant, des solistes, des chœurs, des chorals et des symphonies instrumentales. Wolfgang Carl Briegel, les frères Johann Philipp et Johann Krieger, Friedrich Wilhelm Zachow et Philipp Heinrich Erlebach donnèrent les premiers modèles de ce genre nouveau, qui fut adopté bientôt dans les grands centres luthériens, à Lübeck par Dietrich Buxtehude, à Erfurt et Nuremberg par Johann Pachelbel, à Hambourg par Reinhard Keiser et Georg Philipp Telemann, et à Leipzig par J.-S. Bach. De Bach, on connaît près de 200 cantates religieuses, écrites entre 1705 et 1745. Les premières, comme l’Actus tragicus (1711), font appel à des textes de la Bible ou de cantiques spirituels traités dans le langage archaïque et symbolique de la tradition allemande. À partir de 1714, elles épousent le plan italien : les livrets sont alors rédigés par des poètes et les récitatifs alternent avec des airs à da capo. Quelles que soient leurs formes, Bach y exprime sa piété profonde à l’aide d’un vocabulaire symbolique évoquant puissamment les images suggérées par les textes. Il combine parfois l’ancien et le nouveau style, comme dans l’admirable cantate Ich hatte viel Bekümmerniss (1714), où il oppose à la détresse de l’âme privée de la présence divine la joie de celle qui en est comblée. Dans beaucoup de cantates, le choral, qui était généralement chanté par la communauté des fidèles, a la place prépondérante. À l’âme troublée, il apporte apaisement et réconfort. Bach a laissé aussi une quarantaine de cantates profanes destinées à des fêtes officielles ou privées, pleines de gaieté et d’esprit, parfois satiriques (Cantate du café, 1732) ou burlesques. Pour lui, la cantate reste un art composite, dans lequel il se renouvelle avec une telle diversité d’inspiration et de formes qu’elle révèle tous les aspects de son génie. Après sa mort, le genre ne pouvait que péricliter.

À la fin du xviiie s., la cantate devint surtout une œuvre de circonstance chez Haydn (Cantate pour la naissance du prince Esterházy, 1763), Mozart (Die Maurerfreude, 1785) et les compositeurs français de la Révolution, François Joseph Gossec, Étienne Méhul, Jean François Lesueur et Henri Berton. Écrite pour soli, duos, trios, chœur et orchestre, elle atteignit au xixe s. de grandes dimensions et prit des formes diverses assez éloignées, par leur caractère dramatique, de l’esprit ancien, chez Beethoven, Weber, Schubert, Schumann, Mendelssohn, Liszt, Berlioz, Brahms, C. Franck, Grieg, M. Reger et R. Strauss. Au xxe s., elle connut de nouveaux développements avec Debussy, F. Schmitt, A. Honegger (Cantate de Noël, 1953), D. Milhaud (Cantate pour la paix, 1937), F. Poulenc, et, à l’étranger, avec Bartók (Cantata profana, 1930), Prokofiev, Stravinski (Babel, 1944), Hindemith, F. Martin, Villa-Lobos, R. Vaughan Williams. Schönberg (Ode à Napoléon, 1942) et A. Webern (Cantates op. 29 et 31, 1939 et 1943) ont appliqué à la cantate la technique dodécaphonique et sérielle.

A. V.

 E. Schmitz, Geschichte der weltlichen Solokantate (Leipzig, 1914). / M. Lange, Die Anfänge der Kantate (Dresde, 1938).