Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

camisards (suite)

Introduction

Comme partout en France, les exactions contre les réformés avaient commencé en Languedoc avant la révocation de l’édit de Nantes. Après celle-ci, on compta en dix-huit mois, pour cette province, 24 condamnations à mort, 40 envois aux galères, 300 déportations en Amérique, sans parler des emprisonnements et des dragonnades.

Pourquoi le Languedoc fut-il la seule province à se rebeller ? Il semble que les agents royaux, poussés par un épiscopat très combatif, y firent preuve de plus de dureté qu’ailleurs, et que peu à peu les populations furent poussées à bout.

La communauté protestante des Cévennes était nombreuse et active ; elle comptait environ 200 000 âmes réparties en 121 églises, qui élisaient leurs pasteurs. Économiquement, les protestants avaient mieux réussi que les catholiques ; ainsi, toute l’industrie de la soie était protestante. Cependant, ceux qui se révoltèrent appartenaient aux couches populaires des campagnes ; on ne compta dans leur rang ni bourgeois commerçants ni gentilshommes. Toutefois, populaire ne doit pas être entendu au sens de « prolétariat rural ». À côté de pauvres journaliers, il apparaît que les troupes camisardes se recrutèrent en majorité parmi les propriétaires moyens et les artisans jouissant d’une petite aisance.

Les catholiques qu’on leur opposera, ceux des compagnies franches, les « Cadets de la Croix », seront plus misérables, et leur haine sera attisée par leur rancœur sociale contre des habitants qui ont mieux réussi. Mais il faut se garder de voir dans cette guerre une jacquerie annonçant la Révolution ou les conflits sociaux. La cause en est d’abord et surtout religieuse. Comme la Vendée plus tard, elle ne prendra une teinture politique que sur la fin, lorsque les puissances en lutte avec la France dans le conflit de la Succession d’Espagne songeront à l’utiliser.


Les causes de la résistance

La résistance huguenote, malgré la suppression des temples et l’exil des pasteurs, s’explique par la spiritualité réformée : l’union directe de l’âme avec son Dieu à travers la méditation de l’Écriture sainte. Aussi, tant que le réformé conserve Bible et psautier, on n’a rien gagné sur lui, il n’est même pas nécessaire de savoir lire, la culture orale, les passages bibliques appris par cœur, l’imprégnation des psaumes y suppléant parfaitement.

Les terribles répressions qui suivirent la révocation eurent pour résultat la conversion apparente de la quasi-totalité du Languedoc à la religion catholique. Mais, malgré l’exil des pasteurs dans les « refuges » suisses, hollandais ou anglais, les populations se reprirent bientôt, surtout sous l’influence des « prédicants », protestants zélés de toutes conditions (cardeurs de laine, bergers, avocats, etc.), qui spontanément remplacèrent les pasteurs en fuite. Les réformés avaient déclaré : « Si on nous démolit notre temple, nous irons prier Dieu dans les bois. Il nous entendra partout. » Dès la fin de 1685 ont lieu en effet les premières assemblées au « désert ». Dénoncées par les curés, elles provoquent d’horribles massacres, tel celui de Saint-Germain-de-Calberte, car cette même année a été nommé comme intendant du Languedoc Nicolas de Lamoignon de Bâville (ou Basville, 1648-1724), qui laissera une sinistre réputation.

Homme dur, violent et ambitieux, c’est lui qui par sa politique de répression aveugle sera en grande partie responsable de la révolte. Les « prédicants », qui étaient des hommes pacifiques (Claude Brousson, 1647-1697), ayant été mis à mort, un phénomène commun à toutes les minorités religieuses opprimées va se développer, à savoir l’exaltation spirituelle qui débouche sur l’illuminisme et le prophétisme. Le livre de Pierre du Moulin publié en 1686 par Pierre Jurieu, l’Accomplissement des prophéties, a un grand retentissement, mais, au traité de Ryswick (1697), les puissances protestantes de la Ligue d’Augsbourg abandonnent les réformés français à leur sort et les frustrent de leurs derniers espoirs.

À cette date, pourtant, la politique de force paraissait avoir échoué, et le pouvoir, c’est-à-dire Louis XIV, sous l’influence des plus éclairés des évêques (Bossuet, Fénelon), semble en avoir pris conscience ; par la déclaration du 13 décembre 1698, le roi décide de ne plus forcer les « nouveaux convertis » à aller à la messe ; c’est la porte ouverte au retour à un culte familial, pourvu qu’il soit secret. Mais en Languedoc le fanatisme des évêques, dont l’onctueux Fléchier de Nîmes, et celui de Bâville vont tourner les ordres royaux et multiplier les provocations (délations, enlèvements d’enfants, enrôlements forcés, etc.).

À ce moment, vers 1700, on assiste à une curieuse floraison de prophètes et d’illuminés, qui se disent inspirés de Dieu, pour venger les protestants persécutés, et, ce qui est remarquable, il s’agit surtout d’éléments jeunes, de ceux qui sont nés au moment de la révocation, donc des persécutions, ces jeunes élevés dans le culte catholique et sur lesquels précisément comptait l’Église.


La révolte

Bâville, qui a pendu les « prédicants », pend maintenant les « prophètes », mais la révolte couve et éclate le 24 juillet 1702 au Pont-de-Montvert, où un prophète, Abraham Mazel (1675-1710), et sa troupe mettent à mort l’abbé François du Chayla, un prêtre tortionnaire. Rapidement, les protestants s’organisent et forment des troupes sous l’autorité de jeunes chefs, dont se détachent deux d’entre eux, Jean Cavalier (v. 1680-1740), un apprenti boulanger, et Pierre Laporte (1675-1704), dit Roland (ou Rolland), un « châtreur » de moutons.

Cette révolte fut une suite de combats tantôt propices, tantôt contraires aux camisards, dont la tactique était la mobilité, la parfaite connaissance du pays et surtout la complicité et la collaboration de la population, qui les soutenait ; les innombrables grottes des Cévennes servirent de refuges inexpugnables. Les chefs des armées royales, le comte Victor Maurice de Broglie d’abord, le maréchal de Montrevel ensuite, n’obtinrent aucun avantage décisif, au point qu’au début de 1703 on dénombrait 40 églises brûlées et 250 abandonnées par leurs curés.