Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cambodge (suite)

Le fondateur présumé du Fou-nan en basse Cochinchine apporta à une société déjà organisée et possédant certaines formes de culture depuis l’époque néolithique une langue savante, le sanskrit, une écriture, qui peu à peu se modifia pour devenir l’écriture khmère, les codes de lois de l’Inde, qui se superposèrent aux coutumiers locaux, enfin la conception hindouiste de la royauté.

Pendant cinq siècles, le Fou-nan ne fit que prospérer et s’étendre territorialement, gouverné par des rois conquérants, tels Fan Che-man et Kauṇḍinya-Jayavarman. Les Chinois parlèrent de ce royaume comme d’un véritable empire des Mers du Sud, force importante entre l’Inde et la Chine, en relations diplomatiques avec les deux grands pays, mais aussi avec l’Indonésie et sans doute le Proche-Orient et le monde méditerranéen. Les fouilles menées dans les régions deltaïques du Mékong ont mis au jour la cité-emporium d’Oc-èo, grand port commercial où devaient être trouvées, parmi les objets asiatiques et locaux, des médailles romaines au profil d’Antonin le Pieux. Les trésors archéologiques d’Oc-èo permettent de reconstituer la vie active et prospère du Fou-nan des premiers siècles. De même, les sites de Bà Phnom, puis d’Angkor Borei, capitales successives, ont livré une très belle statuaire de pierre, dont les thèmes sont issus de la mythologie indienne et sont les préfigurations de la statuaire khmère classique.

Le « royaume de la Montagne », le Fou-nan à la fortune éblouissante, devait se laisser absorber au milieu du vie s. par des princes qui, en réalité, ne lui étaient pas étrangers : grands vassaux du nord installés aux confins du Cambodge et du Laos actuels, liés par des unions matrimoniales, les « Fils de Kambu », ou Kambujas, occupaient une principauté que les Chinois ont nommée le Tchen-la. C’est ce Tchen-la qui, en la personne du roi Bhavavarman Ier, descendit le Mékong et s’empara du Fou-nan, à l’extrême sud de la péninsule, vers les années 540-550.

La première phase de l’histoire khmère, maritime, ouverte aux influences extérieures, conquérante et prospère, était terminée. D’après les récits des envoyés chinois, les cités lacustres étaient grouillantes de populations et d’animation commerciale. L’agriculture était florissante, et les boues molles de la basse Cochinchine avaient été transformées en limon fertile, sillonnées de canaux de communication et de drainage. De grands collecteurs évacuaient les eaux mortes vers la mer. Les rizières, régulièrement irriguées, donnaient plusieurs récoltes. L’artisanat de luxe était fort apprécié par les visiteurs étrangers, amateurs de soieries fines et de chefs-d’œuvre d’orfèvrerie. Le roi s’entourait de faste et résidait dans un palais à étages. Enfin, la littérature sanskrite, le brahmanisme, le bouddhisme mahāyāna avaient été introduits à la Cour et commençaient de donner à la civilisation khmère une physionomie particulière.


Le Cambodge préangkorien

La période de formation du Cambodge proprement dit se déroule sur tout l’ensemble du viie s. à partir de la réunion de deux territoires : celui qui appartenait à la famille princière des Kambujas, nommé Tchen-la par les Chinois, et le royaume fou-nanais, c’est-à-dire à peu près l’actuel Cambodge augmenté de la Cochinchine. La dynastie des Kambujas, dite « de race solaire » selon le mythe d’origine, prit le pouvoir global depuis le nord des chutes de Khône, aux confins du Laos, jusqu’à la région maritime d’Oc-èo. Bhavavarman Ier (seconde moitié du vie s.) mena ses conquêtes également à l’est et à l’ouest, touchant d’une part la chaîne annamitique, d’autre part le Grand Lac. Ce fut le Mékong qui servit d’axe vital, à proximité duquel s’élevait la capitale de Sambor Prei Kuk.

Les successeurs de ce premier roi « préangkorien », Citrasena (600-615), Īśānavarman Ier (616-635), Bhavavarman II (639-655) et Jayavarman Ier (av. 655-apr. 681), continuèrent l’œuvre de création et de développement du nouveau royaume. Une trentaine de villes nouvelles furent fondées, tandis que se développait l’architecture religieuse inspirée de l’Inde. Īśānavarman, en particulier, agrandit le pays, achevant la conquête du royaume du Fou-nan avec la prise de la cité d’Angkor Borei vers 630, et instaura une politique d’alliances avec ses voisins et de relations diplomatiques avec la Chine et l’Inde. Le roi était assisté de cinq ministres et nommait dans tout le pays des gouverneurs de province. L’art s’affirma bientôt comme une expression proprement khmère, bien que puisant ses thèmes dans le patrimoine de l’Inde.

Alors que le viie s. représente, dans l’histoire du Cambodge, une période constructive et unificatrice, le viiie s. au contraire va voir un morcellement du territoire et un effritement du pouvoir. Non seulement le pays khmer est alors divisé en deux grandes provinces, le Tchen-la de Terre et le Tchen-la d’Eau, mais l’une et l’autre sont elles-mêmes partagées en principautés plus ou moins rivales, les gouverneurs locaux choisissant de devenir les maîtres de leurs régions. Cet état de subversion favorisera la mainmise de Java sur le Cambodge, probablement au cours de la seconde moitié du viiie s., bien que les documents historiques relatifs à cet événement fassent défaut. Grâce à divers recoupements, il est possible d’affirmer en tout cas que, au début du ixe s., c’est de Java, où il avait été emmené comme otage, que revint le prince qui allait redonner au Cambodge son unité et sa gloire en fondant la dynastie d’Angkor : le roi Jayavarman II.


La dynastie d’Angkor

« Grand lotus qui n’avait plus de tige, il surgit comme une floraison nouvelle » : ainsi Jayavarman II apparaît-il dans une inscription sur pierre. Roi fondateur d’une dynastie qui allait régner glorieusement sur le Cambodge jusqu’à la chute d’Angkor au xve s., il fut aussi un unificateur des territoires morcelés au viiie s. et un créateur de sites urbains. En effet, tout le règne de ce souverain, de 802 à 850, est comme ponctué de fondations de capitales, au point qu’on a pu parler des « capitales nomades » de Jayavarman II. Parcourant son royaume pour rallier à lui les gouverneurs dissidents et pour en redéfinir les frontières, il choisit pour lieu privilégié de sa nouvelle puissance la région d’Angkor, au nord-ouest du Grand Lac, plaine aisée à cultiver, proche d’un réservoir inépuisable de poissons, parcourue de cours d’eau. C’est là que la civilisation angkorienne allait trouver un merveilleux terrain d’épanouissement, c’est là qu’allaient se développer les institutions fondamentales de la royauté khmère.