Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Calvin (Jean) (suite)

Mais un tournant décisif se produit dans sa vie : alors qu’il s’adonne avec ardeur à l’acquisition des austères disciplines philologiques, son père, en conflit avec le clergé de Noyon, décide soudain qu’il ne sera pas prêtre, mais juriste laïc. Calvin quitte alors Paris pour la fameuse faculté de droit d’Orléans (1528), où, tout en continuant à mener une vie d’une rigueur exemplaire, il suit les cours de Pierre de l’Estoile et de l’helléniste wurtembergeois Melchior Wolmar, très réceptif à l’influence luthérienne. Fasciné par sa science et sa ferveur, il n’hésite pas à suivre ce dernier à Bourges en 1529, où il suit également les cours plus éblouissants que profonds de l’Italien André Alciat, professeur de droit romain. C’est là que l’atteint, en 1531, la nouvelle de la maladie de son père, qui ne tarde pas à mourir... excommunié, car il ne s’est pas réconcilié avec le chapitre de la cathédrale de Noyon.

Du coup, Calvin décide d’entreprendre les études qui depuis longtemps déjà l’attirent : tout en poursuivant sa formation juridique, couronnée en 1532 ou 1533 par l’obtention de la licence à Orléans, il fréquente le Collège royal, tout juste fondé à Paris par François Ier ; c’est ainsi qu’en 1532 il publie un commentaire du De clementia de Sénèque, où il manifeste déjà des dons éminents de clarté et de profondeur, se créant par là un renom certain parmi les humanistes. Mais on le rencontre aussi fréquemment dans l’entourage des « bibliens », dont la situation s’est bien améliorée depuis qu’il a quitté Paris en 1528. Favorisés par Marguerite d’Angoulême, la sœur du roi, auteur du Miroir de l’âme pécheresse, qui reprend sous forme poétique certaines des affirmations les plus radicales de Luther, ils occupent des postes importants : c’est non seulement Gérard Roussel, le prédicateur de la princesse, qui répond victorieusement aux attaques de la Sorbonne et en fait exiler le syndic ; c’est aussi et surtout Nicolas Cop, le recteur de l’Université de Paris, en contact avec les milieux de Meaux et ceux qui diffusent clandestinement en France les traités de Luther ; c’est enfin Lefèvre d’Étaples et ses disciples, qui s’efforcent à sonder le vrai sens des Ecritures à l’usage des prédicateurs et recommandent à ceux-ci d’être plus dociles à leur illumination intérieure qu’aux enseignements et traditions de l’Église, et de minimiser l’importance de l’intercession des saints, intercession devenue excessive.

Tous ces personnages et les cercles qu’ils assemblent autour d’eux ont ceci de commun qu’ils ne songent en rien à un schisme qui viendrait, en France à l’instar de l’Allemagne, déchirer l’Église en deux factions rivales ; ils espèrent, et Calvin aussi, qui est l’un d’entre eux, qu’une réforme intérieure permettra d’éviter les violences et de ramener le peuple chrétien sur le chemin du droit et pur Évangile.

Or, le jour de la Toussaint 1533, Nicolas Cop prêche dans l’église des Mathurins sur la première des Béatitudes : « Heureux les pauvres en esprit » (Matth., v, 3) ; il y affirme de façon si énergique la suprématie inconditionnelle de l’Evangile, « bonne nouvelle et prédication salutaire du Christ », sur les commandements de la Loi, que l’on crie au scandale luthérien. Le roi absent, le parlement engage une procédure contre Cop, qui s’enfuit à l’étranger, cependant que Calvin, également menacé, cherche refuge près d’Angoulême chez son ami Louis du Tillet, curé de Claix. On a longtemps soutenu que le sermon prononcé par Cop était de la plume de Calvin : cette thèse est aujourd’hui en général abandonnée, mais il est certain que Calvin, lié au recteur par une étroite amitié, avait collaboré à la rédaction de la prédication, fournissant en particulier les citations d’Erasme et de Luther dont elle était émaillée.


La conversion et « l’Institution chrétienne »

C’est au cours de son bref séjour charentais qu’il prend la décision de rompre avec les illusions d’un réformisme tranquille, dissimulé sous les apparences extérieures de la fidélité à Rome : très sobrement, il écrira plus tard que ce fut « par une conversion subite » que Dieu « dompta et rangea à docilité [son] cœur ». Profondément humilié d’avoir si longtemps tergiversé avant de se décider, il écrira encore : « Maintenant donc, Seigneur, que reste-t-il à moi, pauvre et misérable, sinon T’offrir pour toutes défenses mon humble supplication que Tu ne veuilles me mettre en compte celui tant horrible abandonnement et éloignement de Ta Parole duquel par Ta bénignité merveilleuse Tu m’as une fois retiré ? » On reconnaît bien là les premiers grands textes de Luther autour de 1515 : c’est au moment où il donne raison à Dieu contre lui-même que l’homme commence à vivre de l’Evangile, n’ayant plus aucune sécurité religieuse et possédant, par contre, la pleine assurance de la grâce du Christ.

Quoi qu’il en soit des circonstances mystérieuses de cette conversion définitive, Calvin s’aperçoit qu’il y a, venant de partout, des gens assoiffés du vrai Evangile, qui lui demandent une nourriture pour leur âme et un enseignement pour leur esprit. Il n’y aura plus désormais chez lui la moindre hésitation ; il se sait appelé à un ministère qui est, pour lui, la forme concrète que doit prendre dans sa vie l’élection au salut éternel : quel qu’en soit le prix, il ne vivra plus désormais que pour cela.

Le 4 mai 1534, il est soudain à Noyon, où il résigne tous ses bénéfices entre les mains des chanoines de la cathédrale. Errant quelque temps, on le voit à Paris, puis à Orléans, rédigeant un premier traité théologique curieusement consacré à une polémique contre les anabaptistes, qui, comme pour Luther, ne tarderont pas à former le second front de son combat, et destiné à prouver un point de doctrine éminemment contestable : « Les âmes veillent et vivent après qu’elles sont sorties des corps. » C’est la Psychopannychia.

Une provocation formidable, l’« affaire des Placards » (nuit du 17 au 18 octobre 1534), oblige François Ier à renoncer à ses extérieurs de roi tolérant : plusieurs exécutions ont lieu. Pour échapper à un sort trop certain, Calvin se réfugie à Bâle, où il arrive en janvier 1535.