Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

burlesque (suite)

Coup d’œil sur les arts burlesques

Outre les caricaturistes de tous pays et de toutes époques, on doit citer Bosch, Bruegel l’Ancien, le recueil de dessins fantaisistes du xvie s. intitulé Songes drolatiques de Pantagruel, certaines gravures de Callot, Téniers et ses imitateurs, parfois même Goya dans ses Caprices. Scarron, d’Assouci et le rival de ce dernier, Richer, ont eu de leur temps des illustrateurs qui rivalisaient avec eux d’inventions cocasses. Un cas particulier est le genre du portrait, charge composite (fait, par exemple, de légumes ou de fruits), lancée au xvie s. par Giuseppe Arcimboldi, et qui répond, dans l’ordre graphique, au style littéraire défini plus haut. Il en est de même des gravures du siècle suivant (dues, entre autres, à Jean Ier Berain*, qui en dessinait encore les modèles en 1685), où une profession est représentée par un personnage dont la coiffure et le vêtement sont entièrement composés des attributs de celle-ci ; elles procédaient de costumes de ballet, car le ballet « grotesque » fut très en faveur, surtout, mais non exclusivement, sous Louis XIII, et Molière s’en est souvenu dans ses comédies-ballets. Plus récemment, c’est bien plutôt dans la musique d’Offenbach que se trouve la verve que dans les livrets parodiques de H. Crémieux (Orphée aux enfers, 1858) ou de Meilhac et Halévy (la Belle Hélène, 1864). Au moins, les titres d’Erik Satie, tels les Véritables Préludes flasques pour un chien, vont encore plus loin... Enfin, le cinéma et le dessin animé ont ouvert au burlesque de nouveaux domaines.

F. B.

 V. Fournel, « Du burlesque en France », in P. Scarron, le Virgile travesti (A. Delahays, 1858). / P. Morillot, Scarron et le genre burlesque (Lecène et Oudin, 1888). / P. Toldo, Ce que Scarron doit aux auteurs burlesques d’Italie (Pavie, 1893). / H. Schneegans, Geschichte der grotesken Satire (Strasbourg, 1894). / H. Heiss, Studien über die burleske Modedichtung Frankreichs im XVII Jahrhundert, dans Romanische Forschungen, t. XXI (Erlangen, 1908). / G. Reynier, le Roman réaliste au xviie siècle (Hachette, 1914). / A. H. West, l’Influence française dans la poésie burlesque en Angleterre entre 1660 et 1700 (Champion, 1930). / A. Adam, Histoire de la littérature française au xviie siècle (Domat-Montchrestien, 1949-1956 ; 5 vol.). / R. Garapon, la Fantaisie verbale et le comique dans le théâtre français du Moyen Âge à la fin du xviie siècle (A. Colin, 1957). / F. Bar, le Genre burlesque en France au xviie siècle (d’Artrey, 1961).

Burroughs (William)

Écrivain américain (Saint Louis, Missouri, 1914).


Publié à Paris en 1959, puis à New York en 1962, le Festin nu (The Naked Lunch) révéla brusquement Burroughs comme le maître de la génération « beat » (v. beat generation). L’auteur lui-même déclare son livre « brutal, obscène, répugnant ». Il y décrit le monde de la drogue en homme qui subit son esclavage : « Depuis plus d’un an je n’avais pas pris de bain ni changé de vêtement. Je ne me déshabillais plus sauf pour planter toutes les heures l’aiguille d’une seringue hypodermique dans ma chair grise et fibreuse. » De cet authentique voyage au bout de la drogue, il rapporte des visions. Il se prétend « simple appareil enregistreur », écrivant sous l’influence de la drogue, selon la méthode surréaliste de l’écriture automatique. Les hallucinations qu’Henri Michaux avait explorées scientifiquement, il les rapporte sans aucun plan. Ces fantasmes sont pour la plupart de nature sexuelle et sadomasochistes : viols d’adolescents, pendaisons, tortures. Mais ce qui, chez Sade, est pure imagination et délire de l’écriture est ici rapporté avec le détachement froid d’une sorte de réalisme visionnaire.

Long, blême, voûté, Burroughs joue dans la vie un personnage du théâtre de Beckett : il est l’incarnation de l’absurde et du nihilisme. Son succès est lié, comme celui de la beat generation, à une crise de la conscience occidentale. C’est le romancier beat Jack Kerouac qui incita Burroughs à raconter son expérience de drogué, en commençant par son voyage en Amazonie, en quête d’une drogue préparée par les Indiens : le yage (The Yage Letters, 1963). C’est en Amazonie, puis à Paris et à Tanger que Burroughs vit sa « saison en enfer » et connaît le « désordre systématique de tous les sens » préconisé par Rimbaud.

Le Festin nu est le premier volet d’un quatuor publié d’abord à Paris, par l’éditeur Girodias, au prix de graves difficultés avec la censure, puis à New York. Les trois autres volumes, de la même inspiration, sont The Soft Machine (la Machine molle, 1961), The Ticket that exploded (Le ticket qui explosa, 1962) et Nova Express (1964). Dans ces œuvres, Burroughs utilise les méthodes du collage, du montage et du mixage, empruntées à la peinture, au cinéma et à la musique : il découpe les pages d’un livre dans le sens de la longueur, mêle les colonnes, reconstitue un texte au hasard. Il utilise aussi la technique du pliage, un texte déjà écrit étant plié sur un autre texte.

Il définit Nova Express comme une bande dessinée dans laquelle il tente de « créer une nouvelle mythologie pour l’ère de l’espace ». Le lecteur attentif déchiffrera l’« histoire » de la planète Nova Express, qui explosa en 1069. Celle-ci ressemble à une terre selon Kafka. La police y ayant vacciné tout le monde contre la drogue par injection d’apomorphine, il n’y a plus d’évasion possible. L’homme est entièrement livré à un Dieu mi-policier, mi-télévision.

À coups de scandales littéraires calculés, Burroughs a peu à peu imposé son personnage. Sous la frime du scandale, il poursuit une méditation sur le langage qui recoupe les analyses des structuralistes et des linguistes des années 60. Pour lui, la littérature a cinquante ans de retard sur la peinture. Il suggère que les écrivains se servent des mots comme les peintres utilisent les couleurs. Tant que les mots ne seront que les étiquettes des choses, selon le principe d’identité d’Aristote, la littérature et la conscience resteront prisonnières de la « poubelle à mots ». Pour Burroughs, il faut casser la séquence logique de représentation pour libérer les mots avec la conscience, et le langage, porteur des idées reçues, est un appareil de répression culturelle. La libération du langage qu’il préconise passe donc par l’anarchisme, la destruction de la famille et de la nation, dont la dictature s’exerce par le truchement du langage, dangereusement amplifié par les mass media. Sur ce point, la pensée de Burroughs rejoint l’anarchisme de la beat generation et certains aspects du mouvement de mai 1968 en Europe. « Il devrait, écrit-il, y avoir plus d’émeutes, plus de violences. Notre but est le chaos total. Nous avons l’intention d’anéantir tout système verbal dogmatique. Nous ne voulons plus entendre de discours de famille, de discours de mère, de discours de père, de discours de flic, de discours de prêtre. »