Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

burlesque (suite)

L’atmosphère est souvent la même dans les pièces élisabéthaines : il n’est que de songer aux facéties, volontaires ou non, prêtées aux artisans dans le Songe d’une nuit d’été ; le même milieu fournit les principaux personnages d’une pièce qui mérite une mention spéciale, le Chevalier au pilon ardent (1607, par Beaumont, peut-être avec la collaboration de Fletcher), qui tourne en dérision les récits de chevalerie en nous montrant un « épicier errant » et fait intervenir le public dans la pièce, avec force bourdes.

L’une des sources de cette comédie est évidemment Don Quichotte (1604/1605 et 1615). Plus encore, les Nouvelles exemplaires du même Cervantès et tout le roman picaresque, par leurs côtés caricaturaux, peuvent être dits « burlesques ». Lope de Vega a écrit des sonnets à surprise, sérieux d’allure, presque jusqu’au bout ; Scarron devait les imiter.

Cependant, les sources principales du burlesque français sont italiennes. Il a existé autour de Berni (v. 1497-1535) toute une école qui pratiquait l’éloge paradoxal et facétieux de n’importe quoi. Saint-Amant s’en inspirera pour louer le fromage ou le melon. Un autre groupe d’écrivains « travestit » les poèmes mythologiques et héroïques de l’Antiquité : ainsi Amelonghi dans sa Gigantomachie et Tassoni (1565-1635) dans le Seau enlevé, modèle avoué du Passage de Gibraltar, ainsi Bracciolini (les Dieux bafoués, 1618) et Lalli, dont l’Énéide travestie parut en 1633.

L’apogée du burlesque français se place en gros entre 1630 et 1650. Nous avons vu que la chose avait préexisté au nom ; dès le début du siècle abondent les facéties, dont les plus réussies sont les Prologues en prose de Bruscambille. D’autre part, la date commode de 1660 (début du classicisme) ne coïncide pas, en fait, avec la fin du genre. Certains romans contiennent assez d’éléments « bas » et comiques pour trouver place ici : du Francion (1623 et 1633) et du Berger extravagant (1627-28) de Sorel au Roman comique (1651 et 1657) de Scarron et au Roman bourgeois de Furetière (1666). Thomas Corneille a adapté à la scène le Berger de Sorel, et d’autres pièces de ce dramaturge trop négligé relèvent du genre étudié, ainsi que le théâtre de Scarron et, en prose, le Pédant joué (non représenté) de Cyrano de Bergerac. Les voyages fantastiques du même auteur, très particuliers d’intention, ne sont pas pour autant à passer sous silence.

Cependant, c’est en poèmes plus ou moins longs que s’est déchaînée la vogue du burlesque (le plus souvent en octosyllabes, mètre qui fut nommé vers burlesque). Saint-Amant publie en 1629 Raillerie à part, groupe d’œuvres au titre ironique, et d’autres poèmes en 1633. Les années 1643 et 1644 voient son Albion satirique et sa Rome ridicule ainsi que, de Scarron, le Recueil de quelques vers burlesques et le Typhon, première parodie suivie de la mythologie. Peu après (1648), c’est le début de son Virgile travesti (jusqu’en 1652, mais inachevé) et le Jugement de Pâris de Charles Couppeau d’Assouci, versificateur qui ne manque pas d’invention. La Mazarinade de Scarron est de 1651, et beaucoup de libelles du même nom, devenu nom générique, sont du style en question. Furetière avait « travesti » le livre IV de l’Énéide en 1649, et d’Assouci avait mis Ovide en belle humeur en 1650. En 1653, les frères Perrault publient les Murs de Troie (Ire partie), où, cette fois, l’Antiquité est prise à partie systématiquement en tant que « mythe », comme nous dirions. Il y a aussi des gazettes versifiées : celle de Loret dure jusqu’en 1665 et a des continuateurs, dans un style toutefois moins chargé. Il est notable que le Dictionnaire puriste de Richelet (1680) fasse explicitement une place aux termes burlesques ; il ne l’est pas moins que l’influence du genre se soit nettement exercée sur certains classiques, notamment Molière et La Fontaine.

Marivaux a essayé dans son Télémaque travesti (1736) de pratiquer une sorte de compromis entre le burlesque proprement dit et l’héroï-comique. Il serait trop long de chercher à préciser le rôle des éléments bouffons dans les Contes de Voltaire, dans Candide notamment, ainsi que dans Jacques le Fataliste, voire le Neveu de Rameau de Diderot. On notera aussi très brièvement la place donnée au « grotesque » en un sens large par Hugo (Préface de Cromwell), l’aspect et les propos des fous de Cromwell, de la duègne dans Hernani, des deux abbés et de dame Pluche dans On ne badine pas avec l’amour de Musset, et le ton du début de Notre-Dame de Paris. Pour Balzac, il y aurait beaucoup à dire, mais on notera au moins les Contes drolatiques, pastiche graphique et verbal des conteurs des xve et xvie s. Plus récemment, on peut considérer, chez Anatole France, le thème initial de l’Île des pingouins comme le « travestissement » d’un épisode du fameux Voyage de saint Brendan (xiie s.). Ubu roi et Ubu enchaîné (la seconde pièce de Jarry vaut au moins la première) atteignent par leur fantaisie à un énorme burlesque. De nos jours enfin, comment ne pas citer les recherches verbales de Queneau (notamment dans Zazie dans le métro) et l’étonnant amalgame stylistique de la série des « San Antonio » de F. Dard ?

En Angleterre, où naguère certains burlesques furent tributaires des Français, Samuel Butler (1612-1680) publia le poème bouffon d’Hudibras contre les puritains. Et il y eut Swift, au burlesque souvent noir, et Sterne, avec l’incohérence voulue de Tristram Shandy (1759-1767), dont quelque chose se retrouvera dans le Pickwick de Dickens (1837).

En Allemagne, on rencontre le Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen (v. 1620-1676), certaines scènes de Faust qui ne sont pas sans rappeler les diableries comiques du Moyen Âge, les Aventures de Münchhausen et celles de Max et Moritz (de W. Busch, 1832-1908).


Essai de définition

L’exemple le plus net d’« écriture » burlesque est fourni par les versificateurs français du xviie s. C’est essentiellement un style « bas », comme on disait alors, et aussi essentiellement composite : « Tout est bon dans le burlesque », a dit d’Assouci (les Aventures). Avec plus de détails, Scarron en a énuméré les ingrédients (À M. d’Aumale) : sur un fond familier, de la vulgarité, parfois de la grossièreté, bien des termes techniques (exclus, eux aussi, par le purisme du temps), des archaïsmes voulus et parfois destinés à railler les poètes du siècle précédent, des mots étrangers ou dialectaux, enfin des vocables forgés. La syntaxe est quelquefois malmenée. Enfin, la rhétorique du genre comporte des effets, souvent gros, d’accumulation, de surprise, de fausse précision et même d’absurdité volontaire. « Le bon mot se rencontre à chaque pas », dit encore d’Assouci. Ce genre était trop alambiqué pour être populaire ; c’est plutôt un badinage, beaucoup plus lourd que celui qui se pratiquait dans les cercles mondains.

D’une façon plus large, on pourrait définir le genre burlesque, dans sa généralité, comme usant de la plaisanterie insistante, jusqu’au système, et pratiquant avec outrance le mélange des tons et la bizarrerie.