Buffet (Bernard) (suite)
S’agit-il d’un artiste mondain ? Répondre à cette question par l’affirmative justifierait l’univers misérabiliste de Buffet : les images de la laideur et de la désolation serviraient dans ce cas d’exorcisme contre la pauvreté. Mais si les gens du monde, en France du moins, ont toujours manifesté leur horreur de l’avant-garde, on ne saurait oublier qu’ils rejoignent sur ce point la majorité de la population. Or, depuis un quart de siècle, on n’a rien pu opposer à l’avant-garde qui ait la cohérence et la force de l’œuvre de Buffet. Que l’armée de la contre-révolution artistique se soit choisi Buffet comme drapeau allait de soi : il restait fidèle à la tradition figurative (et même au « tableau de genre ») tout en manifestant une certaine apparence de modernité. Les déclarations de l’artiste montrent qu’il est conscient de son rôle, qu’il écrive : « L’inculture en peinture est une chose établie ; plus vous êtes inculte, plus vous êtes d’avant-garde », ou : « La face du monde a beau changer, mais Rembrandt, Delacroix et Courbet, on n’a jamais encore fait mieux. » Or, on serait bien en peine, picturalement, de découvrir chez Buffet des points communs avec l’un des trois peintres qu’il cite. Par contre, on découvrirait aisément des parentés chez lui avec l’avant-garde telle qu’elle s’affirme au lendemain de la Libération : la géométrisation de ses toiles est très proche non seulement des natures mortes de Picasso* à cette époque, mais de l’abstraction froide qui se développe alors ; certaines triturations de matières dans les fonds ont plus d’affinités avec Dubuffet* et Fautrier* qu’avec Vlaminck ; il n’est pas jusqu’à l’allure hagarde de ses personnages qui ne rappelle Giacometti*...
Ce qui a empêché la peinture de Buffet de prendre rang au sein de l’art vivant, c’est plutôt le concours de soutiens dont elle a bénéficié que l’absence de moyens. Les natures mortes du début et certains nus laissent entrevoir sur quelle œuvre puissante elle aurait pu déboucher au lieu de s’engager dans des entreprises aussi peu défendables, semble-t-il, que l’évocation allégorique des horreurs de la guerre ou les aventures de Jeanne d’Arc.
J. P.
P. Descargues, Bernard Buffet (Éd. universitaires, 1959). / Bernard Buffet (Cailler, Genève, 1964). / M. Druon, Bernard Buffet (Hachette, 1964).