Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Buffet (Bernard) (suite)

S’agit-il d’un artiste mondain ? Répondre à cette question par l’affirmative justifierait l’univers misérabiliste de Buffet : les images de la laideur et de la désolation serviraient dans ce cas d’exorcisme contre la pauvreté. Mais si les gens du monde, en France du moins, ont toujours manifesté leur horreur de l’avant-garde, on ne saurait oublier qu’ils rejoignent sur ce point la majorité de la population. Or, depuis un quart de siècle, on n’a rien pu opposer à l’avant-garde qui ait la cohérence et la force de l’œuvre de Buffet. Que l’armée de la contre-révolution artistique se soit choisi Buffet comme drapeau allait de soi : il restait fidèle à la tradition figurative (et même au « tableau de genre ») tout en manifestant une certaine apparence de modernité. Les déclarations de l’artiste montrent qu’il est conscient de son rôle, qu’il écrive : « L’inculture en peinture est une chose établie ; plus vous êtes inculte, plus vous êtes d’avant-garde », ou : « La face du monde a beau changer, mais Rembrandt, Delacroix et Courbet, on n’a jamais encore fait mieux. » Or, on serait bien en peine, picturalement, de découvrir chez Buffet des points communs avec l’un des trois peintres qu’il cite. Par contre, on découvrirait aisément des parentés chez lui avec l’avant-garde telle qu’elle s’affirme au lendemain de la Libération : la géométrisation de ses toiles est très proche non seulement des natures mortes de Picasso* à cette époque, mais de l’abstraction froide qui se développe alors ; certaines triturations de matières dans les fonds ont plus d’affinités avec Dubuffet* et Fautrier* qu’avec Vlaminck ; il n’est pas jusqu’à l’allure hagarde de ses personnages qui ne rappelle Giacometti*...

Ce qui a empêché la peinture de Buffet de prendre rang au sein de l’art vivant, c’est plutôt le concours de soutiens dont elle a bénéficié que l’absence de moyens. Les natures mortes du début et certains nus laissent entrevoir sur quelle œuvre puissante elle aurait pu déboucher au lieu de s’engager dans des entreprises aussi peu défendables, semble-t-il, que l’évocation allégorique des horreurs de la guerre ou les aventures de Jeanne d’Arc.

J. P.

 P. Descargues, Bernard Buffet (Éd. universitaires, 1959). / Bernard Buffet (Cailler, Genève, 1964). / M. Druon, Bernard Buffet (Hachette, 1964).

Buffon (Georges Louis Leclerc, comte de)

Écrivain et naturaliste français (Montbard 1707 - Paris 1788).



Un heureux départ dans la vie

Georges Louis Leclerc de Buffon naît à moins d’une lieue du fief dont il porte le nom. Sa famille est de bonne noblesse de robe bourguignonne, et son père, conseiller au parlement de Bourgogne, l’envoie pour étudier le droit au collège des Jésuites de la capitale, c’est-à-dire de Dijon. Nous le voyons à Angers en 1730, élève de Dalibard, qui éveille en lui le goût des mathématiques et de la physique ; il tue en duel un jeune Anglais, et doit fuir à Dijon où l’affaire ne s’est pas ébruitée ; il fait alors la connaissance du jeune et richissime duc de Kingston, qui parcourt l’Europe avec son gouverneur, Hinckmann, naturaliste passionné. Il se joint à eux, et ce sont huit années de plaisirs, de voyages et de découverte de la nature, d’Italie en Provence, en Suisse et en Angleterre. Mais déjà Buffon s’est fait connaître par quelques publications scientifiques, et l’Académie des sciences, dès 1733, le nomme membre adjoint dans sa section de mécanique. En 1735, c’est Buffon qui traduit en français l’ouvrage fondamental de Hales, Vegetable Statics, en le faisant précéder d’une introduction où sont déjà dessinés les traits fondamentaux de la méthode expérimentale.

En 1732, Buffon hérite de sa mère la grande propriété de Montbard, où naîtra pendant cinquante ans la plus grande part de son œuvre. En 1739, la chance de sa vie s’offre à lui : Du Fay, chimiste éminent, intendant du Jardin du roi, meurt presque subitement. Buffon fait valoir ses mérites, M. de Maurepas les reconnaît et le désigne pour succéder à Du Fay. C’est donc dans les sciences naturelles, et non dans les mathématiques ou la physique qui l’attiraient à peu près autant, que Buffon fera carrière.


Les premiers travaux

Du Fay avait déjà fait du Jardin du roi un ensemble scientifique unique au monde ; pendant toute sa vie, Buffon va élargir et améliorer encore l’œuvre de son prédécesseur, attirant vers le Jardin les dons des collectionneurs et des mécènes, les visites de savants du monde entier et un courrier sans cesse croissant, aussi bien de simples questions que de précieuses observations scientifiques. Il n’abandonne pas, pour autant, les sciences exactes, et, en 1740, il traduit en français la Théorie des fluxions de Newton. Dans le domaine de la physique, outre ses expériences publiques sur les « miroirs ardents », il faut signaler la mise au point de la « lentille à échelons » utilisée actuellement dans les phares (1748), la pose du premier paratonnerre de France à Montbard le 19 mai 1752, des mémoires à l’Académie des sciences sur la propagation de la chaleur à travers divers corps, sur les ombres colorées, etc.

Dès 1744, nous allons découvrir deux traits du caractère de Buffon : sa gratitude et son sens du travail en équipe. La marine royale l’avait questionné sur « le meilleur moyen de renforcer les bois de charpente destinés aux vaisseaux » ; il va mettre sur la question deux groupes indépendants de chercheurs, l’un dirigé par Henri Louis Duhamel du Monceau (1700-1782), l’autre par son ancien maître, Dalibard (1703-1799). Les conclusions des deux équipes ne seront pas les mêmes et Buffon rédigera la note de synthèse, mais, sans nuire à sa propre gloire, il aura aidé Dalibard à sortir de l’obscurité.


Le grand œuvre

C’est en 1749 que paraît le premier volume de l’Histoire naturelle générale et particulière. Elle comprendra 44 volumes, dont le dernier sera publié en 1804, longtemps après la mort de Buffon. Il s’agit d’un monument sans précédent, et d’ailleurs sans successeur, en matière de vulgarisation scientifique. Tous les sujets y sont abordés : l’origine du système solaire (dû, selon Buffon, au choc d’une comète), la formation de la Terre, la fossilisation, les faunes et les flores anciennes, de prudentes allusions à une évolution possible du monde vivant, cinq volumes sur les minéraux, et au-dessus de tout le reste la description détaillée de l’Homme, des Mammifères et des Oiseaux, suivie de celle des Reptiles et des Poissons. Le succès de l’ouvrage a tout de suite été immense. Avant Buffon, personne en France, en dehors des cercles de spécialistes, ne s’intéressait à l’histoire naturelle : seules les mathématiques et l’électrostatique passionnaient le public. Mais les volumes de Buffon se sont lus dans tous les milieux au moins jusqu’en 1900, sans aucune éclipse.