Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

budget (suite)

La révision des méthodes budgétaires : la rationalisation des choix budgétaires

Pour les finances publiques classiques, les documents budgétaires et les comptes publics servaient essentiellement à contrôler la régularité des mouvements de fonds gérés par les comptables publics : toute l’organisation comptable traditionnelle visait à empêcher les détournements de fonds. Dans ces conditions, le budget de l’État peut être défini, dans tous les pays, comme un budget de moyens (en hommes, en biens, en services, en argent, etc.) sans savoir cependant ce que les administrations veulent très exactement accomplir ou ce qu’elles réalisent effectivement avec ces moyens.

De cette notion de budget de moyens, il résulte un certain nombre d’anomalies. Par exemple, les demandes budgétaires des différents départements ministériels sont justifiées en fonction d’un certain pourcentage de progression d’une année à l’autre. Il y a une espèce de postulat selon lequel l’Administration ne peut continuer à exercer son activité que si l’on maintient ou même augmente ses moyens. C’est ainsi qu’est née la pratique commode des services votés qui consiste précisément à reconduire chaque année les crédits de l’année précédente en limitant les discussions parlementaires aux seules mesures nouvelles. Il existe, en quelque sorte, un secteur consolidé de dépenses qui échappe au débat parlementaire. Une telle pratique est inévitable : la poursuite des services publics, d’une part, le respect des engagements de l’État, d’autre part, obligent à la reconduction d’une certaine masse de dépenses dont le Parlement n’a ni la technicité ni le temps matériel suffisants pour discuter. Cette pratique revient à geler la quasi-totalité du budget et à ne laisser que 4 à 5 p. 100 de marge pour l’action gouvernementale nouvelle. On est alors amené à remarquer que c’est dans la mesure où des propositions de dépenses nouvelles, des reports de crédits de paiement disponibles sur opérations en capital, des abattements de crédits sont insuffisamment éclairés par les fonctions qu’ils assurent, qu’une rigidité malencontreuse s’installe, empêchant le dialogue entre la politique et la technique de s’instaurer. Dans ces conditions, il a été recommandé de donner aux administrations des moyens, non pas parce qu’elles en avaient auparavant, mais en fonction des objectifs qu’on leur fixe. Une classification par moyens reste indispensable, car elle correspond aux nécessités du fonctionnement quotidien de l’Administration.

Par ailleurs, la transformation des méthodes budgétaires est rendue nécessaire par la croissance des dépenses publiques : la part de l’État dans le produit national n’a cessé de croître. Ainsi, aux États-Unis, les dépenses publiques figurant au budget fédéral représentaient 521 millions de dollars en 1900, 8 841 millions en 1939 ; pour 1968, les estimations s’élevaient à 135 033 millions de dollars. Encore ne s’agit-il là que des dépenses du budget administratif : si on leur ajoute celles des comptes spéciaux (trust funds), on obtient le budget de caisse consolidé (cash consolidated budget), dont le total représentait 172,4 milliards de dollars en 1968. En 1900, les dépenses fédérales totales avoisinaient 2 p. 100 du produit national brut ; elles dépassent 20 p. 100 aujourd’hui. Cette croissance n’est pas près de s’interrompre. La révolution technologique est un facteur supplémentaire de croissance à l’heure actuelle. Le gouvernement est engagé dans des programmes de plus en plus coûteux ; armement atomique, recherche spatiale. L’augmentation relative, accroissant le poids du budget sur l’économie, rend les pouvoirs publics responsables de la conjoncture et fait de la connaissance du budget l’instrument essentiel de la prévision économique. L’industrie privée aurait intérêt à connaître les intentions d’achat de l’État son principal client. Une révision des méthodes budgétaires faciliterait la prévision des entreprises. Enfin, le coût de certains programmes est si élevé que les investissements nécessaires ne sauraient être appréciés dans le cadre étroit de l’exercice budgétaire. Le volume de ces investissements impose une mesure de leur utilité. Cela est particulièrement vrai pour la « défense » : la complexité technique des armes, la longueur de la période de leur mise au point, leur puissance effroyable et l’énormité de leur coût imposent des choix qui ne peuvent plus être pris à un échelon intermédiaire de l’Administration, car ils engagent la sécurité du pays. L’État ne doit plus seulement fixer le volume des dépenses et les moyens de se procurer les ressources nécessaires, mais aussi comparer l’utilité des dépenses possibles entre elles.

Dès lors, en raison de la croissance de la part de l’État dans le produit national, il y a une impérieuse nécessité pour cet État de faire en sorte que ses dépenses soient aussi productives que possible, faute de quoi le prélèvement fiscal très élevé orienterait les ressources du pays vers des emplois moins productifs ou stériles. Autrement dit, le prélèvement fiscal n’étant justifié que par les dépenses, celles-ci doivent être minimisées afin de diminuer les charges des entreprises et des individus. Par conséquent, avec le développement des activités de l’État, une autre nécessité apparaît : les documents budgétaires et comptables doivent mettre en évidence ou, tout au moins, permettre de mesurer l’efficacité avec laquelle chaque service dépensier accomplit les tâches qu’il a mission de remplir. Il ne s’agit plus de veiller à l’honnêteté des achats ou de voir si les crédits budgétaires n’ont pas été dépassés, il faut chiffrer le nombre de lettres transportées par chaque facteur, calculer le coût de la journée d’hôpital, etc. Dès 1953, G. Ardant (Technique de l’État. La productivité du secteur public) souligne l’intérêt de cette analyse de l’efficacité, du coût et du rendement des services publics et montre que, dans de nombreux secteurs de l’Administration où la notion de quantité de services produits semblait impossible à mesurer, il est en pratique possible de trouver des indicateurs de production et donc de comparer cette production aux coûts. Ces efforts devaient aboutir à une nouvelle classification des dépenses publiques. Depuis 1956, le budget français (comme l’américain) combine une classification des dépenses de l’État par ministères et chapitres, qui correspond dans une large mesure à une division par services dépensiers, et une classification fonctionnelle dont la structure pourrait être améliorée et à l’intérieur de laquelle les subdivisions pourraient être beaucoup plus poussées.