Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

bourgeoisie (suite)

L’action d’un Adolphe Thiers* au xixe s. pourrait être comparée à celle d’un Colbert, comme étant représentatif de sa classe. Sa carrière politique, commencée sous la monarchie de Juillet et continuée dans l’opposition après 1863, l’amène à instaurer une « République conservatrice » qui sera l’avènement d’une bourgeoisie d’intellectuels : professeurs, avocats, fonctionnaires, tous émanés de l’université d’État qu’avait fondée Napoléon en 1806.

L’influence déterminante de la bourgeoisie est bien marquée durant cette seconde moitié du xixe s. et la première moitié du xxe, notamment dans les deux domaines de l’activité économique et de l’activité financière, ainsi que dans l’enseignement. En effet, quelles qu’aient été les querelles de partis et les changements de gouvernements, les buts précédemment ébauchés d’élargissement des marchés pour assurer l’expansion industrielle et commerciale restent inchangés, comme en témoignent les guerres coloniales. L’esclavage avait été supprimé dans les colonies en 1848, mais il était remplacé par le travail forcé, qui ne fut aboli qu’en 1946 par le général de Gaulle.

Par ailleurs, l’institution de l’enseignement primaire en 1880-1882 trahissait le souci de préserver le privilège intellectuel de la bourgeoisie en établissant deux ordres parallèles : le primaire, terminé par le brevet, et le secondaire, par le baccalauréat, ce dernier donnant seul accès à l’enseignement supérieur. La situation ne se modifiera que très lentement au milieu du xxe s. ; le recrutement des hauts fonctionnaires sera assuré par l’Université et les grandes écoles, comme l’École des sciences politiques.

Le premier coup sérieux porté à la fortune bourgeoise sera l’établissement de l’impôt sur le revenu en 1914. Au préalable, le droit de grève avait été reconnu aux ouvriers (1864), et un organisme de défense leur avait été donné avec la reconnaissance des syndicats (1884) ; la seconde moitié du xixe s. est d’ailleurs marquée par une extraordinaire prolifération de la petite et de la moyenne bourgeoisie, notamment celle des fonctionnaires et des petits commerçants.

C’est au milieu du xxe s. que devait commencer à se modifier sensiblement le visage de la bourgeoisie, composée aujourd’hui de cadres et de techniciens, d’universitaires, de membres de professions libérales et de membres de sociétés gérantes de grandes entreprises industrielles ou commerciales. À ces modifications ont concouru à des degrés divers les bouleversements apportés par la Seconde Guerre mondiale dans l’équilibre européen, l’afflux de techniques nouvelles, l’exploitation de nouvelles sources d’énergie (pétrole, électricité) et, plus récemment, l’avènement des peuples coloniaux à l’indépendance.

Sociologie de la bourgeoisie

Le terme de bourgeois désigne aujourd’hui autant le statut du propriétaire, un genre de vie particulier que l’appartenance à l’ensemble des bénéficiaires d’un mode de production capitaliste. La sociologie de la bourgeoisie se situe à la rencontre de deux traditions : la première s’inspire de l’analyse marxiste du fonctionnement du régime capitaliste, met l’accent sur le conflit inexpiable qui oppose la bourgeoisie au prolétariat et annonce la victoire ultime de celui-ci sur celle-là ; la seconde tradition, à la suite de Max Weber, se veut moins proche de la philosophie de l’histoire et prétend s’attacher tout à la fois aux éléments aisément objectivables qui définissent une classe sociale et aux attitudes ou aux sentiments, plus difficiles à cerner, qui en constituent le lien.

Sociologie de la bourgeoisie industrielle

Le processus d’industrialisation est lié à l’accession au pouvoir économico-politique d’une classe qui a pris conscience de son originalité et de son dynamisme : la bourgeoisie.

Au xviiie s., celle-ci s’organise économiquement, politiquement et idéologiquement. Utilisant les découvertes scientifiques et techniques rendues possibles par les progrès de la physique au cours des deux derniers siècles, n’hésitant point à « donner leurs chances » à des hommes nouveaux s’appuyant sur une organisation bancaire riche et puissante dont le caractère international est de plus en plus marqué, jouant du goût raffiné pour la spéculation qui dévore les couches nouvelles, parvenant bien souvent à passer des alliances — dans des relations de familles ou d’affaires — avec les représentants des anciens groupes dirigeants, elle se lance dans une politique audacieuse d’investissements, finance les constructions de manufactures de plus en plus importantes, accorde une place toujours accrue aux « mécaniques », développe les moyens de communication, bref, sur une large échelle, amorce ce mouvement qui conduira à ce monde technique au sein duquel nous vivons aujourd’hui.

Pour pouvoir mener à bien son entreprise de domination économique, la bourgeoisie industrielle et commerciale a bientôt besoin de contrôler le pouvoir politique et, puisque les monarchies traditionnelles de l’Europe refusent en général de lui laisser la place qu’elle mérite, elle utilisera à son profit les mouvements d’agitation populaire. Significative est ainsi l’attitude des industriels français en juillet 1830 : ce sont les maîtres imprimeurs qui jettent les ouvriers sur le pavé et les poussent à l’action. Tel patron d’une entreprise de roulage sacrifie ses voitures pour l’édification des barricades.

Après 1830, en Angleterre et en France, la bourgeoisie contrôle largement l’État. Elle a forgé son idéologie : le libéralisme, inspiré par les théoriciens du droit naturel du siècle précédent et, en particulier, par les travaux de J. Locke et de ses disciples. Construisant ses perspectives économiques autour des idées de A. Smith, de Ricardo et de leur vulgarisateur français J.-B. Say, la bourgeoisie libérale se veut doctrinaire de la liberté dans tous les domaines. C’est au nom de la liberté qu’elle achève le démantèlement des derniers bastions féodaux conservés par les monarchies absolues.