Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bourg-en-Bresse (suite)

Au début du xvie s., Marguerite d’Autriche (1480-1530), fille de Maximilien d’Autriche et de Marie de Bourgogne, éveille à l’activité artistique une petite ville un peu somnolente, châtellenie des ducs de Savoie, que ceux-ci avaient promue, un siècle plus tôt, capitale de leur province de Bresse. Un modeste couvent d’Augustins (que rappelle le « petit cloître » actuel) existait depuis le début du xve s. au village voisin de Brou.

Chef-d’œuvre du flamboyant tardif, le grand édifice qui lui succède reflète un destin hors série, les mélancoliques alternances de « Fortune, infortune, fortune » (devise souvent répétée dans le décor de l’église) d’une princesse intelligente, aimante et artiste. Mariée à trois ans à Charles VIII, roi de France, répudiée à onze ans, veuve à seize, après un an de mariage, de l’infant Juan, fils des Rois Catholiques, Marguerite retrouve le bonheur en épousant, en 1501, Philibert II le Beau, duc de Savoie et chevalier réputé dans toute l’Europe, qui meurt en pleine jeunesse, en 1504. Désormais, Marguerite n’a plus qu’un désir : élever un grand sanctuaire votif et funéraire pour y reposer avec son mari et sa belle-mère Marguerite de Bourbon. Gouvernante des Pays-Bas (1507-1515 et 1518-1530), régente de la Franche-Comté et de la Flandre pendant la minorité de son neveu Charles Quint, elle peut réaliser ce programme en faisant appel à des artistes flamands en même temps qu’aux praticiens locaux. La rapidité d’exécution vaut à Brou sa rare unité de style. Le monastère est élevé de 1506 à 1512 ; il est ample, mais d’un style régional très simple. L’église se construit à partir de 1512 sur les plans du Flamand Lodewijk Van Boghem (v. 1470-1540), qui supplantent ceux du maître français Jean Perréal, d’abord acceptés. Parallèlement, depuis 1516, le décor s’exécute en Flandre ou à Bourg. En 1532, tout est terminé.

L’ensemble frappe à la fois par l’harmonie et le contraste. Harmonie générale due au ton doré de la pierre, aux lignes amples et paisibles de ce vaisseau à trois nefs baigné de lumière : flamboyant sans aspérités et sans surcharge, comme détendu par l’approche d’une Renaissance encore invisible. Contraste ou, plus encore, « crescendo » entre les deux parties que divise un des rares jubés conservés en France : la nef sobre, le chœur très richement décoré. Le couloir du chœur — bordé de 74 stalles, chef-d’œuvre de fantaisie pittoresque exécuté par l’atelier bressan de Pierre Terrasson — débouche sur l’alignement majestueux des trois tombeaux devant l’autel. Dessinés par Jan Van Roome en 1516, sculptés sous la direction de l’Allemand Conrad Meit de 1526 à 1531, tous trois relèvent, avec leurs deux étages, où « vivants » et « gisants » se superposent, et leurs processions de pleurants, de la tradition flamingo-bourguignonne. Mais, alors que celui de Marguerite d’Autriche est dans un enfeu, celui de Philibert occupe le milieu du chœur et celui de la fondatrice, orné de multiples statuettes de saints, se place sous un grand dais luxuriant. On retrouve le même décor au retable des Sept Joies de la Vierge, qui orne au transept nord l’oratoire privé de Marguerite. Sept grands vitraux — aux cinq pans de l’abside et au transept nord — donnent aux tombeaux une toile de fond éclatante et grave. Exécutés par un atelier bressan sur des modèles tracés en Flandre, ils sont — avec les enfants nus qui portent des écussons sur le tombeau de Philibert — le seul élément du décor où paraisse la Renaissance.

Ce grand ensemble, somptueusement anachronique, se complète par des cloîtres dans lesquels est installé le musée de l’Ain. On y trouve un ensemble remarquable de meubles et de costumes bressans — exemples d’un art populaire resté très vivant jusqu’au début de notre siècle.

L’ombre bienfaisante de Brou s’étend jusqu’à la ville de Bourg. Celle-ci possède — outre quelques maisons à colombages et deux bons édifices du xviiie s., l’hôtel de ville et l’hôpital — une remarquable église, Notre-Dame, légèrement postérieure à Brou et, hors la façade, gothique comme elle. Le chœur conserve un ensemble de stalles plus sobre et plus monumental que celui de Brou, mais presque d’égale qualité.

P. G.

 V. Nodet, l’Église de Brou (Laurens, 1914). / F. Baudson, Brou, l’église et le monastère (Alpina, 1952).

bourgeoisie

Il serait tentant de commencer par la définition des termes de bourgeois et de bourgeoisie ; c’est ce qu’ont fait certains historiens (Ponteil). Une telle méthode apparaît plus propre au théoricien qu’à l’historien, pour lequel ces termes ne sont aucunement des concepts, mais désignent des personnes, des groupes sociaux connus à travers des faits concrètement vécus. Si les définitions amènent à conclure que la bourgeoisie « est multiforme », seules les étapes de son développement historique rendent compte de cette variété, qui apparaît déconcertante pour ceux qui s’attachent d’abord aux définitions et aux classifications.



Du xie au xve siècle

Dans une charte octroyée par le comte d’Anjou Foulques Nerra aux habitants de Beaulieu-lès-Loches au début du xie s. (1007) se trouve le terme de burgensis, qui désigne alors les habitants d’un village, d’un bourg nouvellement créé : ce mot nouveau s’applique à une forme de vie nouvelle, passée dans les villes et non plus sur le domaine. Le burgensis n’est plus le terrien qui cultive sous la dépendance d’un seigneur ; il habite les villes, qui se multiplient désormais, et assure son existence soit par le métier qu’il pratique, soit par le commerce. Ce dernier cas est le plus fréquent : burgensis est souvent synonyme de mercator. Au regard des anciennes cités retranchées à l’intérieur des remparts pendant la période des invasions, la ville neuve, fief du bourgeois, est une innovation. Ses habitants ont conscience de leurs besoins propres, différents de ceux des paysans : entre autres, la liberté d’aller et venir, indispensable au commerce, comme la sécurité sur le sol qu’il travaille est indispensable au « laboureur ». Ils demandent donc et obtiennent ces libertés nécessaires, et c’est ce qui fait le « mouvement communal » (v. commune médiévale) ; des chartes de franchise sont obtenues par les bourgeois, généralement à la suite d’accords à l’amiable, parfois par la violence (Corbie, Laon). Les bourgeois échappent ainsi à la tutelle laïque ou ecclésiastique et assurent par eux-mêmes leur propre défense ; ils nomment parmi eux des échevins, ou consuls, qui trouvent dans le monde moderne leur équivalent en la personne des conseillers municipaux, et forgent peu à peu leurs propres usages, lesquels seront parfois mis par écrit au moment où se fixent les coutumes féodales en général, c’est-à-dire dans le courant du xiiie s.