Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bornou (suite)

La relative centralisation du pouvoir et une cavalerie lourde redoutée assurèrent au Bornou une appréciable stabilité jusqu’au xixe s. malgré l’agitation des Toubous et les raids des Touaregs. Vers 1805, encouragés par le succès du soulèvement d’Ousmane dan Fodio dans les États haoussas, les Peuls du Bornou se révoltèrent. Miné par les troubles à l’intérieur, l’insécurité des pistes, le déclin des marchés, l’affaiblissement militaire (de désastreuses campagnes aux « frontières » avaient presque anéanti ses réserves) et les calamités naturelles, l’empire ne résista pas. Les Sayfīya durent faire appel à un homme fort, Muḥammad al-Amīn al-Kānemī, un pieux musulman originaire du Kanem ; il s’ensuivit en 1846 une crise qui mit fin à la dynastie (1854). La décadence, dont témoignèrent les voyageurs Barth et Nachtigal, s’accéléra ensuite en dépit de la paix rétablie avec les Peuls du Sokoto et les efforts des nouveaux souverains pour freiner la désagrégation. Tandis que les tributaires s’émancipaient, les querelles dynastiques continuaient entre les Kanémis. Le coup de grâce fut donné par Rabah, qui resta maître du Bornou de 1893 à 1900. Sa défaite devant les Européens livra du même coup le vieil empire à l’Allemagne, à l’Angleterre et à la France.

M. M.

➙ Afrique noire.

Borodine (Aleksandr Porfirievitch)

Compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1833 - id. 1887), qui mena de front une double carrière de musicien et de chimiste.


Fils illégitime du prince caucasien Guedeanov, déclaré comme fils légal du serf Porfiri Borodine, Aleksandr est élevé par sa mère, qui lui fait donner des leçons de flûte, de piano et de violon ; il s’essaie seul au violoncelle et compose de la musique de chambre. Il montre aussi un intérêt particulier pour la chimie et entre en 1850 à l’Académie de médecine. En 1856, il est nommé assistant du professeur de pathologie et de thérapeutique ; il présente sa thèse à l’Académie et est reçu docteur en médecine en 1858. Au cours d’un voyage d’études à Heidelberg, en Italie, en Suisse et en France, il rencontre la pianiste Ekaterina Protopopova, qui va devenir sa femme et grâce à laquelle il découvre Chopin et Schumann ; puis il se rend à Mannheim pour entendre les opéras de Wagner. Dès son retour en Russie en 1862, il rencontre Balakirev, sous la direction duquel il compose une symphonie en mi bémol, puis des mélodies, des variations pour piano et un opéra-farce, les Preux. Après le succès de cette première symphonie, il en entreprend une deuxième en 1869, mais porte tous ses efforts sur un opéra en trois actes fondé sur une prose poético-épique du xiie s., le Dit de la campagne d’Igor. En 1870, il l’abandonne, utilise les fragments déjà composés dans sa deuxième symphonie, collabore à la composition d’un opéra-ballet, Mlada, puis, en dépit de ses occupations professionnelles très chargées, s’intéresse de nouveau au Prince Igor, dont il écrit les fameuses Danses polovtsiennes. Durant l’été 1877, il se rend à Weimar, où il est reçu très cordialement par Liszt, grâce à la protection duquel ses œuvres vont bientôt se répandre en Europe occidentale. En 1880, il écrit une courte pièce pour orchestre, Dans les steppes de l’Asie centrale, qui va, plus que toute autre, contribuer à sa popularité. De graves troubles cardiaques et la santé défaillante de sa femme lui laissent peu de temps pour composer durant cette période ; sa renommée s’étend cependant grâce à la comtesse de Mercy-Argenteau, qui fait jouer ses œuvres en Belgique et en France, et le fait nommer membre de la Société française des auteurs, compositeurs et éditeurs. Après un dernier passage, en 1885, à Paris et en Belgique, où il séjourne quelque temps avec son ami C. Cui, il entreprend une troisième symphonie en la mineur et reprend Igor, qu’il laisse inachevé, succombant à une crise cardiaque.

« Je suis plutôt attiré par la mélodie et la cantilène, entraîné vers des formes finies et concrètes [...] le récitatif n’est ni dans ma nature ni dans mon caractère [...]. » Ainsi s’explique le fait que Borodine ait été le seul parmi les Cinq à avoir trouvé dans la musique « pure », dans la symphonie et le quatuor, un mode d’expression convenant à son tempérament. L’élégance, héritée de Mendelssohn, un certain manque de métier dans le travail thématique, compensé par un jaillissement mélodique intarissable, fortement imprégné du double caractère ethnique russo-oriental, se joignent à un certain sens de la polyphonie et de l’écriture savante allemande (quatuors) ; tels sont les caractères essentiels de cette musique, qui allie science occidentale et spontanéité russe. Le chef-d’œuvre de ce symphoniste reste cependant Igor, qui, de son propre aveu, serait « plus voisin de Rouslan que du Convive de pierre ». Cette partition offre toute la variété des morceaux de bravoure des opéras italiens, abondamment entendus par l’auteur lors de son voyage d’études : airs, duos, trios et, dans la mesure seulement où l’action l’y oblige, un récitatif dramatique très naturel, mais d’importance secondaire. Le texte, de la main de Borodine, ne se perd pas en vaines et subtiles intrigues ; il se présente sous l’aspect d’une vaste fresque aux situations dramatiques simples, aux grands conflits massifs, permettant les violents contrastes, les grandes envolées mélodiques, les rythmes vigoureux, les harmonies hautes en couleur, sans négliger l’élément humoristique. Inachevée et laissée dans un extrême désordre, cette partition n’est parvenue à nous que grâce aux travaux de Glazounov et de Rimski-Korsakov, qui, après la mort de Borodine, ont orchestré et édité — voire souvent modifié — ses œuvres, pour lesquelles Rimski, en particulier, lui avait déjà, de son vivant, prodigué tant de critiques et de conseils. Il reste que, tel quel, Igor prend place, à côté de Boris Godounov de Moussorgski, parmi les sommets du théâtre lyrique.

M.-D. F.

➙ Cinq (groupe des).

 S. Dianin, Borodin (en russe, Moscou, 1960).