Boccace (suite)
Fuyant la peste qui s’était abattue en 1348 sur Florence, dix jeunes gens (sept femmes et trois hommes) appartenant à la société la plus aisée de la ville se retirent à la campagne, où ils se récréent dix jours durant (sur les quatorze que durent leurs vacances : les vendredi et samedi étant consacrés aux oraisons et à l’hygiène) au récit de dix fois dix nouvelles, dont le thème est imposé successivement par le « roi » ou la « reine » de la journée. Telle est la structure des Dix Journées, où le cadre extérieur de la narration (la célèbre description de la peste, qui ouvre le livre, celle des divertissements — chants et danses — de la compagnie, la psychologie des différents narrateurs et narratrices) est en harmonieux équilibre avec la tonalité des nouvelles qui s’enchaînent les unes aux autres selon les principes les plus raffinés de la rhétorique du temps. L’amour est le motif central de ces récits : amour conjugal ou adultère, sensualité et fidélité, idylle ou tragédie (les amants de Boccace sont capables de mourir d’amour), jusqu’à la représentation emblématique de l’amour comme forme pure de la libéralité et de la magnanimité (Xe journée). Le goût de l’aventure et le triomphe de l’esprit (au double sens de raison et ironie, voire habileté à duper) sur l’obscurantisme et la niaiserie sont les autres thèmes de prédilection de Boccace et, à travers lui, de la nouvelle bourgeoisie intellectuelle et commerçante. Le monde chevaleresque et courtois est également évoqué dans le Décaméron : non point sur le mode de la nostalgie, mais dans sa dimension poétique de fable.
La rencontre de Pétrarque en 1350, l’amitié et la collaboration qui s’ensuivent sont décisives dans la carrière de Boccace, qui coïncide désormais avec l’essor de l’humanisme. Dès 1360, les principaux humanistes florentins se réunissent autour de Boccace, qui fut le premier écrivain italien à lire Homère et Platon dans le texte. En 1370, il transcrit les œuvres de Tacite découvertes à Montecassino. À l’exception du Corbaccio (1354-55 ou 1365-66), énigmatique et violente satire de la femme dégradée au rang de « femelle », et des églogues du Bucolicum carmen (1351-1366), toutes les œuvres, latines ou vulgaires, postérieures au Décaméron sont de caractère doctrinal ou érudit : De casibus virorum illustrium (1355-1375), De claris mulieribus (1360-1375), De genealogiis deorum gentilium (1350-1375), De montibus, silvis, fontibus, lacubus, fluminibus, stagnis seu paludibus et de nominibus maris liber (1355-1374) ; le Trattatello in laude di Dante (1357-1362), biographie et profil poético-culturel de l’auteur de la Divine Comédie, jette les bases de la critique humaniste moderne. Boccace passe les dernières années de sa vie à transcrire les œuvres de Dante, ainsi qu’à revoir et corriger le texte du Décaméron. On peut enfin trouver un précieux témoignage sur l’évolution littéraire et morale de Boccace dans ses 24 épîtres (adressées, entre autres, à Pétrarque) et dans les 126 pièces de ses Rime, qui jalonnent, les unes et les autres, les principales étapes de sa carrière.
J.-M. G.
➙ Bembo (P.) / Conte / Dante / Humanisme / Italie.
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