Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bloy (Léon) (suite)

À l’écart se dresse Bloy. Il n’est, dans son égocentrisme biblique, d’aucun parti, hors celui du saint chambardement. Assoiffé d’absolu, du haut de sa misère il vitupère tous ceux qui eurent le malheur de le décevoir (Propos d’un entrepreneur de démolitions, 1884). Quant aux athées, aux puissants, aux hypocrites, aux cupides, aux catholiques assoupis, il les réunit dans une même haine de la bourgeoisie qui a trop entendu Guizot. Il exerce sur elle, sans aucune rémission, son génie satirique. Sa haine du matérialisme bourgeois rejoint celle des écrivains qui, de Vigny à Péguy, ont flétri l’esprit attaché aux uniques valeurs matérielles. Avec Bloy, la critique atteint une dimension nouvelle. Elle passe du plan de l’esprit au plan de la spiritualité. Ignorance et bêtise tourmentent moins le visionnaire que ne l’angoisse le sort des âmes qui se détournent de Dieu et se perdent dans leur médiocrité. Dans cette optique, les Histoires désobligeantes (1894) prennent aujourd’hui une résonance particulière. Inscrites dans la tradition des Contes immoraux, des Chants de Maldoror ou des Diaboliques, elles constituent un virulent témoignage sur le matérialisme d’une époque. Par-delà la critique impitoyable mais religieuse des monstruosités cachées sous une façade de bon aloi, elles soulignent l’étroite interdépendance des êtres humains, qui fait que tout acte, bon ou mauvais, a une répercussion sur le prochain. Elles tendent à susciter la soif du « bien » par l’excès même des horreurs qu’elles décrivent.

Croisé des Temps modernes, pourfendeur des ennemis de Dieu, contestataire avant l’heure, Bloy se lance à l’attaque de tous ceux qui ont perdu le sens du divin et contre tout ce qui a fait que la France, fille aînée de l’Église, est devenue « la fille aînée de Gambetta », comme il l’écrit dans la première partie de l’Exégèse des lieux communs (1902). À ses yeux, Dieu est toujours vivant, mais l’Église, que sclérose sa hiérarchie séculaire, croit le trouver dans la poussière des traités de théologie. Il la stigmatise donc pour la défendre contre elle-même. Son Journal (1892-1915) est jalonné de jugements sur le clergé, parfois sur Dieu lui-même, et les écrivains catholiques, amis, ennemis, ultramontains ou libéraux, subissent pareillement ses foudres. Mais pas plus qu’il ne se révèle historien quand il écrit le Révélateur du globe (1884), la Chevalière de la Mort (1891) ou l’Âme de Napoléon (1912), on ne saurait dire qu’il a fait œuvre de théologien, ou même de doctrinaire. Il lui manque pour cela la froideur de la raison, l’objectivité du jugement. Bloy demeure un romantique tout pétri de l’excès de ses passions qu’illustrent si bien ses romans le Désespéré (1886) ou la Femme pauvre (1897), ou, dans un autre ordre d’idées, le Salut par les Juifs (1892).

La personnalité de Bloy dérouta son époque, qui trouva commode, entre les moindres insultes, de traiter cette « pierre de scandale » d’« hystérique ». Maintenant que se sont apaisés les remous suscités par la violence de ses diatribes, que s’est décanté un langage dont les écarts atteignent parfois à la calomnie véritable, le génie satirique de Bloy peut prendre toute sa valeur. Le critique distingue mieux que le pamphlet lui est « une cuirasse, une armure pour protéger le missionnaire ». À travers la richesse inépuisable de son vocabulaire et la fougue de son style, chacun peut aujourd’hui apprécier la lucidité de son jugement. Ce « siècle excédé, avachi, agonisant » allait bien aux pires catastrophes, ainsi que l’avait prévu ce visionnaire, qui semblait pressentir aussi les convulsions que connaîtrait l’Église du xxe s.

D. S.-F.

 J. Bollery, Léon Bloy, essai de biographie (A. Michel, 1947-1954 ; 3 vol.). / A. Béguin. Léon Bloy, mystique de la douleur (Labergerie, 1948). / S. Fumet, Léon Bloy (Plon, 1967). / G. Dotoli, Situation des études bloyennes (Nizet, 1970).

blues

Forme essentielle et originale de la musique de jazz, chant profane des Noirs américains, qui devint une source d’inspiration permanente pour les instrumentistes.



Origines

Pour Paul Oliver, « le blues prend forme à une date non déterminée à la fin du xixe siècle ». C’est un élément fondamental des phénomènes musicaux désignés sous le nom de jazz. Il découle de l’insertion dans une société blanche des descendants des esclaves noirs déportés d’Afrique occidentale en Amérique du Nord et résulte de la fusion d’une culture « primitive » (structure verbale fonctionnelle, tambours africains, gamme de pentaton) avec le prégnant environnement des formes musicales et sociales occidentales. Au contraire du negro spiritual, qui naquit également de la rencontre de l’héritage africain et des chants religieux protestants, le blues est art profane, argotique et parfois contestataire. À l’origine, il est surtout exprimé vocalement ou à l’aide d’instruments accessibles à un sous-prolétariat dénué de toutes ressources : banjos, guitares, violons, harmonicas, pipeaux. Issu de chants de travail construits sur le modèle de la vieille ballade anglaise en des structures de 8, 10 ou 16 mesures, il évolua vers une forme originale indissociable de sa vocation de message oral. Ainsi, du cri primitif (field calls et hollers) naît une formule plus souple, où le schéma A A B permet la répétition de l’appel (A A) et l’expression d’une conclusion (B).

Le blues se différencie donc des chants dont il est issu. Le simple appel devient démonstration, discours logique. Musicalement, il se divise alors en 3 séquences de 4 mesures, soit 12 mesures en tout. Ses bases harmoniques sont les accords fondamentaux de tonique, sous-dominante et dominante. Cette suite d’accords correspond à une gamme dont le 3e et le 7e degré sont diminués. C’est dans cette équivoque que résident le charme et le mystère du blues. De fait, le système musical africain étant pentatonique, les interprètes noirs confrontés avec les 7 tons de la gamme européenne transformèrent le 3e et le 7e degré, absents de leur gamme, en les infléchissant d’un demi-ton. D’où l’ambiguïté du climat harmonique et affectif du blues, où coexistent deux tonalités : majeure et mineure, c’est-à-dire, pour nos oreilles, joie et tristesse.