Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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bibliothèque (suite)

Se développèrent d’autre part, auprès des universités, à partir du xiiie s., dans l’Occident chrétien, en particulier à Oxford et à Paris, des ateliers de copistes professionnels et des bibliothèques. Celle de la Sorbonne, ainsi nommée en raison du don initial de Robert de Sorbon (1201-1274), comportait une salle longue et étroite et des pupitres sur lesquels on pouvait disposer les livres attachés aux rayons par des chaînes. La bibliothèque universitaire conservait auprès de la littérature sacrée des ouvrages profanes consacrés aux arts libéraux et classés suivant un ordre septénaire traditionnel (trivium [science des mots] : grammaire, rhétorique, logique ; quadrivium [science des choses] : arithmétique, géométrie, musique, astronomie).

Peu à peu se constituaient d’importants fonds privés, princiers ou ecclésiastiques, noyaux des futures bibliothèques nationales ou publiques. L’effort des rois de France ne peut être ici passé sous silence. La bibliothèque personnelle de Saint Louis fut dispersée. Inventoriée avec amour par le roi lui-même, celle de Charles V, installée au Louvre, fut vendue. Le zèle des collectionneurs à réunir et à conserver des manuscrits précieux est attesté par la Bibliomania de Richard de Fournival († 1260) et par le célèbre Philobiblon de Richard de Bury (1287-1345).

Dès le xive s., et au cours du xve s., les lettrés italiens s’efforcèrent de rassembler et de multiplier les textes grecs et latins, et de diffuser la culture humaniste. Le rôle de Pétrarque, qui eut l’idée d’une grande bibliothèque publique, est ici décisif.

La découverte de l’imprimerie, par ses incidences économiques, devait, à la longue, mettre le livre à la portée des lecteurs virtuels et entraîner un développement spectaculaire de ces fonds privés patiemment constitués. La bibliothèque des Médicis, qui devint la « Laurentienne », trouva dans un monument construit pour elle par Michel-Ange un prestigieux domicile.

La Renaissance vit également l’épanouissement de la Bibliothèque vaticane. Nicolas V, atteint d’une « inexplicable soif de livres », réunit au xve s. une importante collection de manuscrits grecs et latins. Son effort fut poursuivi par ses successeurs, notamment Sixte IV, qui en 1478 confia le fonds à l’humaniste Platina (1421-1481). Soigneusement classée et cataloguée, la Vaticane s’ouvrit au public. Sous Sixte V, elle occupa un vaste édifice, construit de 1587 à 1589 par l’architecte Domenico Fontana (1543-1607).

À la longue se modifiait, à la faveur de l’accroissement de la production livresque et d’une notion plus libérale de l’accès aux livres, la disposition architecturale des édifices. Vivace en Angleterre, la tradition des « livres enchaînés » subsiste dans les collèges d’Oxford et de Cambridge, mais l’ampleur croissante des collections entraîne un dispositif de rayonnages en hauteur. L’importante bibliothèque construite à l’Escorial pour Philippe II par l’architecte Juan de Herrera (1530-1597) comporte un système révolutionnaire de rayonnages muraux, qui servira de modèle aux architectes des siècles suivants.

Au xviie s. et au xviiie s. apparaissent des bibliothèques privées parfois ouvertes, ainsi que le conseillait Gabriel Naudé (1600-1653), bibliothécaire de Mazarin, « au moindre des hommes qui pourra en avoir besoin ». L’accession à la culture de la bourgeoisie aisée assure au livre une large audience.

Mais, au cours de cette période, le mouvement des idées ouvre des horizons qui débordent singulièrement les curiosités de l’amateur bibliophile. La critique des textes et l’étude des sources se développe, la recherche scientifique s’organise, et les bibliothèques ouvertes aux savants vont être effectivement exploitées par eux. Les publications d’envergure se multiplient : publication, par les jésuites, des Acta sanctorum ; travaux, élaborés avec une méthode rigoureuse, des bénédictins de Saint-Maur, à qui l’on doit la création, à Saint-Germain-des-Prés, d’une bibliothèque. Dans la seconde moitié du xviie s. se développe le rationalisme, avec Bayle et Descartes. Désormais se fait sentir la nécessité de l’information et des échanges. Promesse d’enrichissement massif pour les bibliothèques apparaît, en 1665, le périodique scientifique : Journal des sçavans en France, Philosophical transactions en Angleterre.

Au xviiie s., le Parisien lettré peut avoir accès à des fonds très riches, à la bibliothèque Saint-Victor, aujourd’hui disparue, à la bibliothèque Sainte-Geneviève, de même qu’à la bibliothèque Mazarine, transférée, après la mort du cardinal, au collège des Quatre-Nations (aujourd’hui l’Institut), et qui éclipsera longtemps la Bibliothèque royale. Quant aux érudits provinciaux, ils voient s’entrouvrir pour eux les fonds rassemblés par quelques mécènes, notamment, à Aix-en-Provence, la Méjanes, l’Inguimbertine à Carpentras.

Savants et chercheurs, toutefois, ont besoin d’exploiter les vastes ressources désormais offertes par les futures bibliothèques nationales. L’institution, en 1537, par François Ier, du dépôt légal, qui dote la Bibliothèque du roi, alors installée à Blois, d’un exemplaire de toute publication française, constituait un moyen habile d’enrichir les collections royales. Transférée à Fontainebleau puis à Paris, confiée par Louis XIV à Colbert, lui-même collectionneur notoire, la Bibliothèque royale s’accrut de grandes collections princières. Définitivement installée au xviiie s. rue de Richelieu, elle s’ouvrit à tous les savants, et l’on vit peu à peu se constituer les « départements spéciaux » (manuscrits, estampes, médailles), qui offrent aux chercheurs des ressources inestimables.

Le xviie s. et le xviiie s. voient également la naissance d’autres futures « nationales », notamment, à Londres, le British Museum, dont le noyau fut constitué par les collections de sir Hans Sloane (1660-1753), successeur de Newton comme président de la « Royal Society ».