Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bénédictins (suite)

C’est Charlemagne qui donnera l’impulsion décisive, à la fois pour l’unification des monastères sous la règle de saint Benoît et pour l’accroissement de leur rôle culturel. Saint Benoît d’Aniane (v. 750-821), fondateur en 815 du monastère d’Inden (auj. Korneli-Münster) près d’Aix-la-Chapelle, réalisera cette réforme centralisatrice et unificatrice par deux synodes (817 et 818-819) ainsi que par sa Concordia regularum, soulignant en la règle de saint Benoît la synthèse harmonieuse des traditions antérieures.


2e période : ixe-xiie siècle

L’hégémonie spirituelle de la règle ne se discute plus. Mais alors se révèlent ses limites : elle s’en tient à l’unité du monastère comme tel. Or, celui-ci est fragile s’il demeure isolé, d’autant plus que son importance même en fait la proie de toutes les convoitises.

Si désastreux soit-il, le pillage qu’en feront au passage Normands ou Hongrois est dans l’ordre des choses. Mais que les biens du monastère soient mis en coupe réglée par son supérieur même, souvent simple laïc, auquel il a été donné en « commende » par le pouvoir temporel, heureux de pouvoir le récompenser sans débourser autrement, c’est un abus criant, qui n’en devait pas moins se perpétuer jusqu’à la Révolution. (En 1789, d’après l’Almanach royal, sur 1 150 abbayes d’hommes, 850 étaient en commende.)

Pour déjouer tous ces pièges, l’histoire monastique va être celle des regroupements ou fédérations de communautés. Ils aideront au contrôle et au maintien de la ferveur générale, tout en évitant si possible la mainmise des pouvoirs publics. Cluny* s’en tirera partiellement grâce à l’exemption qui ne faisait dépendre le monastère que de la papauté, assez lointaine pour n’être pas très inquiétante.

Plus tard, Sainte-Justine de Padoue, en Italie, ou les mauristes* en France essaieront de limiter les dégâts, en particulier par la périodicité des charges.

Du ixe au xiie s., la carte mouvante et complexe des zones d’influence entre différents centres de regroupement serait difficile à établir, et il y a bien des formes de vie monastique. Mais elles se rattachent toutes à la règle de saint Benoît. Même dans une fondation aussi originale que la Grande-Chartreuse, en 1084, saint Bruno s’inspire de saint Benoît.

Toutefois, les institutions qui se multiplient dès la fin du xie s. remettent en question l’équilibre d’une vie monastique dont la plénitude et la fécondité indéfinie venaient justement de ce qu’elle incluait en doses appropriées les composantes essentielles : vie conventuelle et solitude ; prière, travail manuel et culture intellectuelle. Comme l’a montré dom Jean Leclercq, le désir de Dieu et la connaissance de la Bible se nourrissaient alors d’un amour des lettres et des arts qui s’affirmait sans complexe.

La controverse entre Clunisiens et Cisterciens amènera ces derniers (et saint Bernard* même, pourtant plus soucieux que tout autre de rhétorique) à forcer dans un sens déterminé, préparant ainsi les voies plus particulières de vie religieuse et les écoles diverses de spiritualité qui vont naître et se développer aux siècles suivants.


3e période : xiie-xviiie siècle

Elle est surtout caractérisée par la naissance des ordres religieux proprement dits, à commencer par ceux de saint Dominique et de saint François. Dans la civilisation médiévale désormais à son apogée, puis durant la Renaissance et l’âge classique, l’Église a besoin de prédicateurs et d’ordres enseignants ou charitables au service du peuple chrétien tout entier, plutôt que de centres de ralliement.

Aussi, tandis que les fondations de ces instituts de plus en plus spécialisés se multiplient, les illustres monastères du passé ne font-ils que se survivre, malgré de louables et périodiques efforts de réformes. Ne s’imposeront vraiment aux xviie-xviiie s. que les congrégations de Saint-Vanne de Verdun et de Saint-Maur, qui sauront s’adapter à leur temps : souveraineté du chapitre général, charges temporaires, spécialisation dans les éditions de textes anciens. De ces travaux, d’un Edmond Martène ou d’un Jean Mabillon, aidés par leurs confrères moins connus, vient le renom du « travail de bénédictin ». Il ne faisait que reprendre, suivant les normes de l’érudition contemporaine, le labeur non moins fructueux pour notre civilisation des moines médiévaux, qui était seulement plus diversifié mais comportait aussi la copie des textes antiques et patristiques, et donc la sauvegarde de notre culture (v. mauristes).


4e période : xixe-xxe siècle

Quand, par-delà l’éclipsé de la Révolution et de l’Empire, dom Prosper Guéranger (1805-1875) voulut, en 1833, renouer avec la tradition bénédictine, il la reprit nécessairement à son dernier chaînon, celui des mauristes, et Solesmes fut bientôt renommé pour ses travaux, notamment ses recherches en paléographie musicale.

Mais, bien que le nombre des monastères fût restreint par rapport à ceux de la grande époque de Cluny et de Cîteaux, et que les expulsions du début du siècle eussent éprouvé les communautés de France, leur essor spirituel devait amener à retrouver ce qu’il y a de plus original dans l’institution monastique. On suivait du reste en cela la même voie remontante que toute la culture : au temps de dom Guéranger, les romantiques avaient seulement remis en valeur le « siècle des cathédrales » et de la scolastique, c’est-à-dire le xiiie s. Ce n’est qu’à partir de 1930 qu’on définira ce qu’ont de propre l’art roman et la pensée issue des Pères de l’Église, dont le P. Chenu soulignera le caractère « monastique ».

La question n’est pourtant pas de type « archéologique ». Refaire une basilique romane au xxe s. serait une entreprise tout aussi condamnée à l’avance que de construire du faux gothique. Le monachisme d’aujourd’hui ne saurait être « médiéval ». Mais pourquoi ne serait-il pas « bénédictin », si la règle apparaît tout au long de l’histoire non comme un monument achevé, d’une autre époque, mais la source toujours vive d’inspiration ?