Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Beethoven (Ludwig van) (suite)

Classicisme ou romantisme ?

Beethoven n’a créé aucune des formes dont il s’est servi ; mais il en a élargi les limites et modifié profondément la structure par la nature et l’ampleur des idées nouvelles qu’il les a chargées d’exprimer. Car, chez Beethoven, la forme est moins importante que l’idée, dont elle n’est (identique en cela à la conception hégélienne du romantisme) que le support. Beethoven est au carrefour du classicisme et du romantisme. Il reste classique par la forme, quelle que soit l’ampleur à laquelle l’a contraint l’extériorisation de son idéal. Mais il est romantique par la nature même de cet idéal, par sa conception de la liberté, de la fraternité humaine, qu’il ne peut exprimer qu’au travers des formes élargies du classicisme traditionnel dont il est l’héritier. Il maintient le schéma de la forme classique, mais il en repousse les frontières aux extrêmes limites du possible : c’est à ses successeurs qu’il appartiendra d’en briser l’étau pour s’affranchir totalement de ses contraintes. Ainsi il ouvre, par les chemins de la forme classique et par l’élan de ses pensées humanitaires, la voie au véritable romantisme musical. La surdité qui l’accable n’est sans doute pas étrangère à l’orientation de son génie vers une intériorité qui se manifeste dans les dernières sonates et les derniers quatuors. Le monde des apparences s’est progressivement effacé dans son esprit, et c’est alors l’envers de toute apparence, en quelque sorte le reflet de l’absolu, qu’il perçoit en son univers intérieur. Sourd aux rumeurs de la vie, il n’écoute plus que les harmonies mystérieuses qui chantent en lui, mais il devra pour les communiquer à ses semblables forger un langage adéquat et nouveau, dont ses successeurs deviendront les bénéficiaires.

Le conflit qu’elle accuse entre le passé et l’avenir, entre le classicisme pur et le romantisme, entre la forme et l’idée, entre la vie et l’idéal fait de son œuvre entière le point de ralliement où se conjuguent l’apport des siècles antérieurs et les perspectives offertes aux musiciens de l’avenir.


Actualité de Beethoven

Que sur le plan de la syntaxe, du langage, des procédés d’écriture, en un mot du métier, l’œuvre de Beethoven soit aujourd’hui dépassée, nul ne songerait à le nier. Cependant, cette œuvre est plus vivante que jamais. C’est que son message est plus important que la matière dont il est fait. Message artistique d’abord, car l’œuvre de Beethoven montre qu’il est possible, pour un artiste, d’aller de l’avant sans rien renier du passé ; les créateurs les plus révolutionnaires, au cours de l’histoire, ne sont jamais partis du néant. Beethoven n’a pas agi autrement ; la nécessité de se réaliser totalement dans son œuvre a transfiguré par la vertu de son génie le matériau dont il disposait ; c’est par là qu’il transcende le passé sans nier sa valeur et, que, sans discontinuité, il ouvre hardiment la voie aux artistes futurs.

L’absence de rupture dont témoigne son œuvre lui permet de s’insérer dans l’évolution continue de l’art ; elle est l’un des facteurs de la compréhension universelle dont elle jouit encore aujourd’hui aux yeux d’un public étonné, déconcerté par les mutations incessantes de l’art. L’auditeur actuel revient à Beethoven parce qu’en dehors du message artistique son génie créateur est dépositaire d’un message humain.

Plus la vie devient aberrante, contraignante, inhumaine, plus l’homme s’efforce de sauver ce qui lui reste de spiritualité : l’image du robot que lui propose la civilisation industrielle, il tente de s’en évader en lui opposant une vision plus fraternelle de l’humanité, une conception de la joie qui dépasse celle d’un bonheur ordinaire fondé sur la quiétude matérielle de l’existence. Nul refuge, alors, ne lui est plus précieux que l’art, et, parmi les œuvres qui le sollicitent, celle de Beethoven, car en elle revivent les espoirs, les élans passionnés et souvent triomphants de l’homme épris d’amour, de grandeur et de liberté. C’est l’écho de ses voix intérieures qu’il retrouve dans les accents de ses symphonies, de ses sonates et de ses quatuors. Si Beethoven reste plus que jamais actuel, c’est probablement parce qu’il incarne aux yeux de nos contemporains la foi inébranlable dans l’idéal et dans la rédemption de l’homme par la fraternité universelle. « L’énergie, déclarait-il, est la morale des hommes qui se distinguent des autres. » Mais son œuvre, qui reflète l’éthique particulière d’un artiste face au destin qui l’accable, illustre aussi de façon flagrante le précepte romantique de Fr. Schlegel diffusé par l’Athenäum : « Tu ne gaspilleras pas la foi et l’amour dans le domaine politique ; mais dans le domaine divin de l’art, sacrifie ton être le plus intime au torrent de feu d’une culture éternelle et sacrée. »

G. F.

 F. G. Wegeler et F. Ries, Biographische Notizen über Beethoven (Coblence, 1838 ; nouv. éd. Berlin, 1906 ; trad. fr. Notices biographiques sur Ludwig van Beethoven, Dentu, 1862). / A. Schindler, Biographie von Ludwig van Beethoven (Munster, 1840 ; trad. fr. Histoire de la vie et de l’œuvre de Beethoven, Garnier, 1864). / W. von Lenz, Beethoven et ses trois styles (Bruxelles, 1854 ; 2 vol.). / A. D. Oulibicheff, Beethoven, ses critiques et ses glossateurs (Leipzig, 1857). / V. Wilder, Beethoven, sa vie et ses œuvres (Charpentier, 1883). / R. Rolland, « Beethoven » (les Cahiers de la Quinzaine, 1903) ; Beethoven, les grandes époques créatrices (Éd. du Sablier, 1929-1945 ; 7 vol., nouv. éd. A. Michel, 1966). / H. de Curzon, les Lieder et airs détachés de Beethoven (Fischbacher, 1905). / J.-G. Prod’homme, les Symphonies de Beethoven (Delagrave, 1906) ; la Jeunesse de Beethoven (Delagrave, 1927) ; Beethoven par ceux qui l’ont vu (Stock, 1927) ; les Sonates pour piano de Beethoven (Delagrave, 1937) ; l’Immortelle Bien-Aimée de Beethoven (Glomeau, 1946). / J. Chantavoine, Beethoven (Alcan, 1907) ; les Symphonies de Beethoven (Mellottée, 1932 ; nouv. éd. Belfond, 1970). / V. d’Indy, Beethoven (Laurens, 1911). / M. Kufferath, « Fidelio » de Ludwig van Beethoven (Fischbacher, 1913). / T. von Frimmel, Ludwig van Beethoven (Berlin, 1922) ; Beethoven Handbuch (Leipzig, 1926 ; 2 vol.). / J. de Marliave, les Quatuors de Beethoven (Alcan, 1925 ; nouv. éd. Julliard, 1960). / A. de Hévésy, Beethoven : vie intime (Emile Paul, 1926 ; nouv. éd., 1949). / A. Alexandre, les Années de captivité de Beethoven (Alcan, 1927). / E. Herriot, la Vie de Beethoven (Gallimard, 1929). / E. Vermeil, Beethoven (Rieder, 1929). / E. Buenzod, Pouvoirs de Beethoven (Corrêa, 1934). / R. Wagner, Beethoven (Gallimard, 1937 ; nouv. éd., 1970). / J. Boyer, le « Romantisme » de Beethoven (Didier, 1939). / E. Ludwig, Beethoven (New York, 1945 ; trad. fr. Beethoven, Flammarion, 1947). / M. E. Belpaire, Beethoven (L’Écran du Monde, Bruxelles, 1946). / R. Offner, Ludwig van Beethoven, l’inexpliqué (Éd. du Mail, 1947). / A. Jolivet, Ludwig van Beethoven (R. Masse, 1955). / B. et J. Massin, Ludwig van Beethoven (Club français du livre, 1955 ; nouv. éd., Fayard, 1968) ; Recherche de Beethoven (Fayard, 1970). / A. Boucourechliev, Beethoven (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1963). / I. Mahaim, Beethoven. Naissance et renaissance des derniers quatuors (Desclée De Brouwer, 1964 ; 2 vol.). / J. Witold, Ludwig van Beethoven (Seghers, 1964). / E. Buchet, Beethoven (Buchet-Chastel, 1966). / J. Kerman, les Quatuors de Beethoven (Éd. du Seuil, 1974).