Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

administration (suite)

Dans ce contentieux, le juge administratif a tous les pouvoirs habituels d’un juge ; il peut rejeter la demande du requérant, annuler ou réformer une décision administrative ou bien encore prononcer une condamnation pécuniaire contre l’Administration. Les décisions qu’il rend ont l’autorité de la chose jugée. Les personnes privées et les personnes morales de droit public — y compris l’État — ont l’obligation juridique de ne pas méconnaître ces décisions et de les exécuter même lorsqu’elles ne sont pas revêtues de la formule exécutoire.

Cependant, les décisions rendues contre un particulier peuvent faire l’objet d’une exécution forcée et de condamnations à astreintes, alors que le juge administratif s’est interdit de recourir à des procédés de contrainte susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de l’Administration. Il ne peut donc adresser d’injonction à cette dernière, mais il rédige généralement les motifs de ses décisions de manière que l’Administration sache comment elle doit les exécuter ; en cas d’inexécution, il statue de nouveau en accordant des dommages et intérêts (il peut même prévoir par avance le montant des indemnités que devra verser l’autorité administrative faute d’exécution).

Ce contentieux a pris un développement considérable depuis l’arrêt Blanco rendu en 1873 par le Tribunal des conflits. Jusqu’alors le problème de la responsabilité extracontractuelle de la puissance publique se présentait assez mal pour les justiciables, auxquels d’une manière générale les tribunaux judiciaires appliquaient le vieil adage « le Roi ne peut mal faire ». En 1873, le Tribunal des conflits reconnaît la possibilité d’une certaine responsabilité extracontractuelle de l’État mais, pour éviter une extension abusive du nouveau principe, il affirme la compétence exclusive des juridictions administratives. C’est alors que le Conseil d’État, auquel l’arrêt Blanco interdit pratiquement d’appliquer les dispositions des articles 1382 à 1385 du Code civil (v. responsabilité) tout en lui faisant obligation d’appliquer des règles spéciales qui n’existent pas encore, commence d’élaborer un droit nouveau purement prétorien et en constante évolution. Comme le voulaient les auteurs de l’arrêt Blanco, il continue d’admettre que la responsabilité de la puissance publique « n’est ni générale, ni absolue » et qu’elle ne peut être engagée que par une faute lourde ; sans abandonner ce principe, il reconnaît cependant la possibilité d’une responsabilité de la collectivité publique par le seul fait des risques inhérents à son activité. Dans une certaine mesure, ce droit prétorien aboutit à des solutions plus favorables pour le justiciable que celles qu’auraient pu admettre les juridictions judiciaires — si elles n’avaient pas été dépossédées (sauf en matière de dommages causés par le fonctionnement du service judiciaire, par des troubles ou des émeutes ou par une réquisition militaire, ainsi qu’en matière d’accidents scolaires et d’accidents de la circulation, même lorsque le véhicule responsable appartient à l’administration) —, car ces juridictions se sont abstenues jusqu’à ce jour de sanctionner une responsabilité sans faute en l’absence de texte légal.

À l’origine de l’évolution de la jurisprudence administrative — accélérée par le développement croissant du rôle de l’État dans la vie nationale —, on rencontre la notion d’égalité des citoyens devant les charges publiques. C’est ainsi que tout préjudice subi par un justiciable, lorsqu’il excède par sa nature, son importance et sa durée la gêne inhérente à toute vie collective et rompt de ce fait l’égalité des charges, doit faire l’objet d’une allocation compensatrice, dont le coût sera réparti entre tous les membres du groupe social qui en a bénéficié dans son ensemble, c’est-à-dire entre les contribuables de la collectivité publique intéressée.

Le Tribunal des conflits

Juridiction paritaire créée en 1872 en vue de régler les conflits d’attribution entre juridictions judiciaires et administratives. Le Tribunal comprend neuf membres titulaires (le ministre de la Justice, garde des Sceaux, président ; trois conseillers d’État en service ordinaire et trois conseillers à la Cour de cassation élus tous les trois ans par leurs collègues respectifs ; deux personnalités élues [traditionnellement un conseiller d’État et un conseiller à la Cour] par les sept autres membres) et deux membres suppléants (élus tous les trois ans par les sept premiers titulaires) ; les neuf titulaires désignent parmi eux un vice-président (traditionnellement choisi alternativement parmi les conseillers d’État et parmi les conseillers à la Cour) qui assure pratiquement la présidence du Tribunal. Le ministère public, non hiérarchisé, comporte deux maîtres des requêtes au Conseil d’État et deux avocats généraux près la Cour de cassation nommés chaque année par décret, ses membres, qui ne sont pas des représentants du gouvernement, concluent en toute indépendance comme les commissaires du gouvernement devant les juridictions administratives.

Le Tribunal des conflits siège dans les locaux du Conseil d’État dont il a adopté les principales règles de fonctionnement. Son quorum est de 5 membres. La procédure est écrite, mais les avocats des parties peuvent développer, en des observations orales, les arguments étayant leur mémoire écrit. Les conclusions du ministère public sont toujours orales. Les décisions du Tribunal des conflits ne sont susceptibles d’aucune voie de recours, pas même d’un recours en rectification d’erreur matérielle.

Si, siégeant en nombre pair, les membres du Tribunal se partagent par moitié sur la solution à adopter, les débats sont suspendus, puis repris sous la présidence du garde des Sceaux, ainsi amené à vider le partage.

Il y a conflit positif lorsque l’Administration conteste la compétence d’une juridiction judiciaire dans un litige où elle est partie, parce que selon elle il s’agit d’un acte de gouvernement ou d’un litige de la compétence d’une juridiction administrative. (Le gouvernement pourrait également revendiquer les affaires portées devant une juridiction administrative alors qu’il estime qu’il y a acte de gouvernement ; il ne semble pas qu’il ait jamais fait usage de ce droit.)