Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bas-Empire (suite)

Les réactions privées

L’opinion a conscience du mal. Un auteur de Mémoires de la fin du ive s., l’Anonymus de rebus bellicis, propose de mettre beaucoup de fonctionnaires à la retraite, d’alléger la fiscalité et d’accroître la productivité grâce à la recherche technique. Il est probable, d’ailleurs, qu’un effort a été fait dans certains domaines pour faire progresser la technique.

Mais les particuliers se préoccupent surtout de se mettre à l’abri des coups du fisc, et cela de diverses façons. En dehors de la solution qui consiste à prendre la fuite en rejoignant les moines du désert, les humbles se mettent sous la protection, le « patronat », de puissants, qui bénéficient, eux, de privilèges fiscaux, et sont capables de les protéger comme ils ont su se défendre eux-mêmes. Paradoxalement, ce sont des militaires ou des gouverneurs qui prennent la défense de cités, de villages, contre l’armée et l’administration. Ce sont aussi des évêques, dont le rôle n’a fait que grandir. Ce sont enfin de gros propriétaires ruraux, capables de fortifier leur domaine et de vivre en économie fermée au milieu des paysans qui se sont confiés à eux. Tel est l’aboutissement social de cette époque déconcertante, qui appartient ainsi déjà au Moyen Âge par une partie de sa structure sociale, son colonat rural, son corporatisme contrôlé par l’État, et aussi son atmosphère de christianisme et de morale, toujours présente sans pour autant beaucoup adoucir les mœurs.

En somme, les essais publics ou privés en vue de résoudre les difficultés de l’époque semblent se traduire par un blocage des structures et non par le retour à une économie prospère et une société saine. La décadence a suivi dans tous les domaines : on écrit peu, et les écrits théologiques ont à peu près chassé la rhétorique et la poésie ; la sculpture du ive s. nous a légué des œuvres d’une rare rudesse de lignes, et, bien souvent, on a préféré remployer, dans les édifices du temps, les éléments de sculpture pris aux constructions antérieures.


Les causes de la chute de Rome

Il faut se rendre à cette évidence : l’Empire est pourri intérieurement, avant de se désintégrer politiquement, dans sa partie occidentale, en 476. Il convient alors d’essayer de récapituler les causes possibles de sa chute, sujet qui a exercé la sagacité des historiens. Il leur est arrivé de perdre de vue que l’Empire oriental a survécu. La coupure de l’Empire en deux moitiés, coupure déjà réalisée sur le plan politique sous la tétrarchie, dans l’espoir de mieux défendre son ensemble, est un fait capital. Et seul l’Empire d’Occident a succombé au ve s., car il était la principale cible des envahisseurs. Et cela semble donner raison à André Piganiol, qui s’écrie : « La civilisation romaine n’est pas morte, elle a été assassinée. » Mais elle était moribonde, et c’est la cause de cette ruine que les historiens ont cherchée dans toutes les directions. Leurs explications divergentes témoignent de notre connaissance encore bien limitée de cette époque. C’est la crise de l’autorité : absence de Constitution précise, de règle de succession (G. Ferrero), la tyrannie, l’absence de libertés (auteurs anciens, W. E. Heitland), la médiocrité de beaucoup d’empereurs (V. Duruy). C’est la dépopulation (H.-F. Secrétan), et plus précisément le manque de main-d’œuvre (A. E. Boak) et la sclérose de la population (F. Altheim), qui « passe sa vie au théâtre, à l’amphithéâtre, au cirque » (F. Lot), et ne veut plus porter les armes (C. Lacombrade) ; la disparition des élites par une sélection raciale à rebours par la populace (O. Seeck), le métissage (T. Frank, J. Vogt), le désordre social (« Il n’est pas douteux que les pauvres du Bas-Empire ont parfois appelé les Barbares pour se venger des riches », A. Piganiol), l’éclipse de la culture traditionnelle en même temps que la destruction physique des élites (M. Rostovtzeff), l’épuisement des campagnes au profit des villes (A. Aymard), la puissance des propriétaires, qui deviennent des féodaux et concentrent la propriété entre leurs mains (M. Weber, V. A. Sirago). C’est aussi le déclin de l’esclavage, pénurie d’esclaves aussi grave que pourrait l’être aujourd’hui une pénurie d’énergie (M. Weber), le retour à l’économie naturelle (S. Mazzarino), le dirigisme (le « socialisme d’État a fait de l’Empire un atelier de travaux forcés », H. M. R. Leopold), les excès du fisc (A. E. Boak) et de la bureaucratie, la faillite financière de l’État (C. Barbagallo). On accuse aussi les chrétiens d’être des traîtres, on fait état de la supériorité technique des Barbares, bons agriculteurs et bons métallurgistes (F. W. Walbank, E. Salin), et de l’ampleur de leurs dévastations. On cherche enfin des explications plus audacieuses dans la sécheresse de la période, génératrice de médiocres récoltes (E. Huntington), dans l’épuisement des sols cultivés (J. von Liebig) ou dans le manque de terres cultivables des Germains (M. Devèze).

R. H.

➙ Aurélien / Barbares / Constantin / Dioclétien / Julien / Rome / Théodose.

 E. E. Stein, Geschichte des Spätrömischen Reiches, t. I : Vom römischen zum byzantinischen Staate (Vienne, 1928 ; trad. fr. Histoire du Bas-Empire, t. I : De l’État romain à l’État byzantin, Desclée De Brouwer, 1959 ; t. II : De la disparition de l’Empire d’Occident à la mort de Justinien, Desclée De Brouwer, 1949). / E. Demougeot, De l’unité à la division de l’Empire romain, 395-410 (Maisonneuve, 1951). / F. Lot, la Fin du monde antique et les débuts du Moyen Âge (A. Michel, coll. « Évol. de l’Humanité », 1951 ; 3e éd., 1968) ; Nouvelles Recherches sur l’impôt foncier et la capitation personnelle sous le Bas-Empire (Champion, 1956). / F. Altheim, Der Niedergang der alten Welt (Francfort, 1952 ; trad. fr. le Déclin du monde antique, Payot, 1953). / A. E. Boak, Manpower Shortage and the Fall of the Roman Empire in the West (Ann Arbor, Michigan, 1955). / S. Mazzarino, La Fine del mondo antico (Milan, 1959 ; trad. fr. la Fin du monde antique, Gallimard, 1973). / R. Rémondon, la Crise de l’Empire romain (P. U. F., coll. « Nouvelle Clio », 1964). / A. Chastagnol, le Bas-Empire (A. Colin, 1969). / J. R. Palanque, le Bas-Empire (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1971).