Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Baroja (Pío) (suite)

Aussi bien est-ce la meilleure des conclusions à la vie et à l’expérience de ce grand écrivain marginal. Baroja laissait derrière lui quatre-vingt-dix-huit volumes, dont soixante-six romans, huit grandes chroniques (les fameux Mémoires d’un homme d’action) et neuf recueils de contes, nouvelles ou récits. Or, dans l’espace de cette vie laborieuse, le genre romanesque s’était effrité entre ses doigts.

C. V. A.

 E. de Nora, La novela española contemporánea, 1898-1927 (Madrid, 1958). / F. Baeza (sous la dir. de), Baroja y su mundo (Madrid, 1962 ; 3 vol.). / C. Barja, Libros y autores contemporáneos (New York, 1964).

baroque

Depuis que le classicisme s’est imposé, non point comme une réussite esthétique particulière, qui n’a jamais été contestée, mais comme une exigence contraignante de la beauté, le baroque est resté relégué dans le vocabulaire technique de la joaillerie, ou dans les catégories mal établies du bizarre, quelque part entre le grotesque satisfait et le ridicule redondant : il ne se définissait que négativement.


Depuis le milieu du xixe s., on a assisté successivement à l’application du mot pour désigner une période historique et un domaine esthétique restreints (les arts plastiques de la fin du xvie et du début du xviie s.), puis à l’annexion par lui d’époques très diverses (de l’âge hellénistique aux délires psychédéliques actuels) ; on l’a vu déferler dans toutes les productions de l’activité humaine (musique, littérature et, plus récemment, philosophie, science, cinéma, politique). Ses frontières géographiques, originellement limitées à l’Europe méridionale et centrale, et à quelques colonies extra-européennes, ont fini par englober le monde. Monstrueusement gonflé de toutes sortes de notions hétéroclites, comme autrefois son aïeul, le mot romantique, il semble conduit à la faillite sous l’effet de sa propre inflation et crouler sous le poids de ses contradictions internes. Il a fallu dès lors dénoncer le « mirage baroque » et procéder à de nouvelles mises au point.

Les renaissances et les découvertes ne sont pas des caprices de l’histoire. L’attirance qu’exercent, dans l’investigation et la réévaluation du passé, des périodes apparemment lointaines révèle l’esprit du chercheur autant que l’objet recherché. Retrouver une époque perdue ne va pas sans la joie narcissique de se retrouver dans l’époque perdue. Paul Klee, dans son journal, relevait en 1915 les rapports entre son temps et l’âge baroque. Jacques Bousquet, dans une étude sur le maniérisme, soulignait récemment le caractère d’étonnante modernité de cet art.

Les excès de la baroquisation de toutes choses incitent toutefois à la prudence. Pierre Charpentrat constate, avec raison, que le baroque n’a pas existé ailleurs que dans l’imagination et le vocabulaire des hommes du xxe s. Cette négation est la manière la plus extrême de moderniser la notion de baroque. D’autres temps ont connu semblables illusions : le classicisme nous a livré une Antiquité uniformément classicisée ; le romantisme nous a romanticisé le Moyen Âge et la Renaissance. Le mot baroque devient un vocable facile par lequel nous attribuons à un siècle passé nos propres essais de situation. Certains retiendront en lui les affirmations prétentieuses, d’autres les vertiges de décomposition, la confusion des catégories et les puanteurs délicieusement cruelles où les spectacles d’agonie ont des fraîcheurs de virginité. Les uns y voient le mouvant, l’instable, l’insaisissable poursuite d’ombres en quête d’elles-mêmes, d’autres les musculatures contractées, le point extrême de tension des énergies avant un point de rupture qui ne vient jamais. Les uns l’angoisse, d’autres l’espoir, chacun sa propre image, qui toutes accumulées donnent l’image de notre temps.

Le baroque n’a existé qu’à partir du moment où il a pu être pensé : en cela réside sa modernité. Ce mot renvoie néanmoins à des productions passées qui ont existé, sous d’autres dénominations, ou sans dénomination, avant de pouvoir être esthétiquement situées. Nous appellerons donc baroque cette manière moderne de voir certaines productions passées unies entre elles par la résonance qu’elles font naître avec des formes privilégiées d’expression esthétique de notre temps.


Archéologie d’un mot, anatomie d’un concept : la notion du baroque


Un mot technique

Ce mot appartenait à l’origine au vocabulaire spécialisé de la joaillerie : les premiers témoignages que nous avons de cet emploi sont des traités d’histoire naturelle écrits en langue portugaise, dans lesquels le mot barroco désigne une pierre mal taillée, à l’eau impure ; le castillan barrueco a le même contenu ; la variante berrueco désigne des rochers aux formes irrégulières. C’est dans ce sens étroit que le mot apparaît dans les auteurs dits « baroques ». Cette origine permet déjà quelques réflexions : la perle baroque associe en elle éclat et impureté ; de même le baroque se créera une identité à partir de ses défauts transformés en éloquentes affirmations.


Un vocable péjoratif

À partir du xviiie s., le mot dérive dans un sens figuré à coloration péjorative. Saint-Simon, dans ses Mémoires (année 1711), utilise le mot pour une entreprise incongrue. Le Dictionnaire de l’Académie française, dans l’édition de 1740, ajoute ce complément à la définition traditionnelle de la perle baroque : « Baroque se dit aussi au figuré pour irrégulier, bizarre, inégal. » À partir de ce sens, on donna au mot une origine secondaire en le rattachant à baroco qui, dans le vocabulaire de la scolastique, renvoyait à une forme de syllogisme. Le mot, composé d’initiales, avait perdu toute signification visible et était devenu le symbole du formalisme ridicule.


Une spécialisation dans le domaine artistique

Dans la seconde moitié du xviiie s., le mot, avec son acception péjorative, servit à désigner des constructions architecturales déroutantes. Dans l’Encyclopédie méthodique (1788), un article définit ainsi le baroque architectural : « [...] une nuance du bizarre. Il est, si l’on veut, le raffinement, ou, s’il était possible de le dire, l’abus. Ce que la sévérité est à la sagesse du goût, le baroque l’est au bizarre, c’est-à-dire qu’il en est le superlatif. » L’auteur appuie sa définition sur des exemples empruntés à l’œuvre de Francesco Borromini et de Battista Guarini. La formule fut adoptée par la critique italienne : en 1797, le théoricien Francesco Milizia reprenait presque terme pour terme la définition de son prédécesseur. J.-J. Rousseau, dans le Supplément de 1777 à l’Encyclopédie, appliquait le terme à la musique : « Une musique baroque, disait-il, est celle dont l’harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances, l’intonation difficile et le mouvement contraint. »