Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Barocci (Federico) (suite)

La seule composition profane de Barocci, un Incendie de Troie, lui fut commandée en 1598 par l’empereur Rodolphe II ; il s’agit probablement du tableau conservé à la Galleria Borghese de Rome. Mais Barocci fut aussi un portraitiste raffiné, comme le prouve par exemple le duc Francesco Maria della Rovere des Offices à Florence. On connaît de lui de très beaux dessins dans plusieurs collections publiques (Offices, etc.), notamment des études de têtes dont l’exécution fait une large place au pastel.

Que Barocci reste tributaire du maniérisme* défini par les maîtres toscans et romains, les proportions allongées de ses figures en font foi, comme sa prédilection pour les tons rares ; mais la touche fondue, le coloris changeant et le rendu flou des contours font la personnalité de son style, même si l’influence du Corrège et des Vénitiens y est pour une grande part. Il faut noter aussi que Barocci aère volontiers la composition, la simplifie, l’organise selon des rythmes clairs qui rendent aux figures leur pouvoir expressif. Tout cela fait de lui, face à l’esthétique maniériste, un précurseur des Carrache*, de Rubens* et des maîtres du baroque.

B. de M.

 H. Olsen, Federico Barocci (Copenhague, 1962).

Baroja (Pío)

Écrivain espagnol (Saint-Sébastien 1872 - Madrid 1956).


Au fond, c’est un rhapsode de la tribu, un conteur primitif s’adressant dans un langage sans atours ni détours au petit peuple de son pays basque. De là sa vertu de communication immédiate. Les auditeurs, bouche bée, écoutent le jongleur qui raconte, d’un ton neutre, l’histoire fantastique des personnages qui les habitent, les héros qu’ils n’ont pas su ou qu’ils n’ont pas pu incarner.

Il y a aussi du Mayne Reid et du Gustave Aimard dans la technique de Baroja. Mais, de fait, Baroja, rompu à son métier par la lecture des grands romanciers de son temps, s’adresse à un publie de bourgeois lettrés, qui savourent pareillement la simplicité directe du style et les ornements empruntés aux maîtres de la pensée contemporaine, dont Nietzsche.

Il fit des études de médecine ; il exerça même un peu plus d’un an le dur métier de « docteur » dans un bourg du pays basque, le temps d’allier à son scepticisme sur la science l’expérience d’une humanité dolente, cynique et cruelle. Il préféra Madrid, où il tenta d’exploiter un fonds de boulangerie hérité d’une aïeule. Mais il n’était pas doué pour le commerce ; il s’intéressait trop aux romans vécus de ses clients. Il fréquenta les milieux littéraires liés au naturalisme. Il tint une rubrique hebdomadaire dans le journal El imparcial.

Il fait ses vrais débuts de romancier avec La casa de Aizgorri (1900), El mayorazgo de Labraz (1903), histoires de famille au pays basque, et surtout avec Camino de perfección (Chemin de perfection, 1902), le récit désabusé de la jeunesse d’un aboulique. Ce sont là deux thèmes que jamais il n’abandonnera : la vie fantastique de « caractères » originaux (Aventuras, inventos y mixtificaciones de Silvestre Paradox, 1901 ; Paradox, rey, 1906), d’une part, et la veine du terroir natal (Zalacaín el aventurero, 1909 ; La leyenda de Juan de Alzate, 1922), d’autre part.

En 1904, il donne deux volets d’un triptyque, La busca et Mala hierba ; le troisième, Aurora roja, paraîtra en 1905. L’ensemble constitue La lucha por la vida, une lutte cruelle pour la vie, que le narrateur décrit certes sans complaisance, mais avec l’ironie amère de celui qui est revenu de tout, et d’abord des faux semblants idéologiques du socialisme comme de l’anarchisme.

Baroja se tourne vers le passé avec une nostalgie que le scalpel de ce sceptique ne parvient pas à extirper : Los últimos románticos (1906). Il raconte l’odyssée grotesque de jeunes exaltés à Londres dans La ciudad de la niebla (la Cité des brumes, 1909) ; il lève le voile sur les entrailles sordides des grandes villes : El mundo es ansí (Ainsi va le monde, 1912). Et il donne le roman le plus typique de cette époque, El árbol de la ciencia (l’Arbre de la science, 1911). Là, Baroja essaie de dénouer en lui-même les contradictions intérieures des « intellectuels » et souligne l’angoisse de leur choix entre l’action et la pensée. Il trouve une issue de sa façon : cet homme paisible et casanier écrira les aventures d’un homme d’action, celui qu’il eût voulu être, et, pour justifier sa propre impuissance, il l’accablera d’échecs sordides ou grotesques, racontés avec un détachement amusé. C’est ainsi qu’il entreprend en 1913 une très vaste fresque, Memorias de un hombre de acción, dont l’achèvement lui demandera vingt-deux années. C’est au total vingt-deux volumes qui relatent la vie d’un aventurier du xixe s., Eugenio de Aviraneta, et de ses amis ou partenaires, sous la forme de quatorze romans, ou biographies romancées, et de vingt-cinq nouvelles.

Mais Baroja est attiré par les voyages extraordinaires de ses compatriotes les marins basques autour du monde. Il y trouve la matière et l’illustration idéale de sa thèse fondamentale : l’action ne doit avoir d’autre fin qu’elle-même ; l’échec ou le succès ne sont que des accidents sans importance et sans signification : Los pilotos de altura (Timoniers au long cours, 1929) et la suite, La estrella del Capitán Chimista (la Bonne et Mauvaise Étoile du capitaine Chiméric, 1930), retrouvent, à l’insu peut-être de l’auteur, la double structure du genre romanesque en son archétype l’Odyssée, c’est-à-dire le périple dans les mers dangereuses, doublé de la navigation dans nos mers intérieures, encore plus tourmentées. Une autre trilogie, Agonías de nuestro tiempo (Agonies de notre temps), accuse le divorce entre Baroja et l’époque, la première après-guerre, El gran torbellino del mundo (le Grand Tourbillon du monde). Et La selva oscura (Trilogie de la jungle) rapporte l’histoire contemporaine de l’Espagne telle qu’elle fut vécue dans une totale incompréhension par une humble famille basque : La familia de Errotacho (les Exilés du moulin).

Mais avec les années s’accentue le génie atrabilaire de l’auteur, qui s’en prend avec humour — ou mauvaise humeur — aux politiciens de la IIe République (Locuras de Carnaval [le Carnaval des fous], 1937) et à une religion chrétienne qui ne fait que troubler les âmes faibles (El cura de Monléon [le Curé de Monléon], 1936).

Survient la guerre civile. Baroja est suspect aux deux parties. Il se réfugie à Paris. Il y écrit le plus critiqué de ses romans, El hotel del Cisne (1940, publié en 1946), où un personnage fantôme mène une vie de rêve dans un hôtel fantôme, l’hôtel du Cygne, sis dans une ville fantôme. Point d’action, point de caractère. C’est une amorce de « nouveau roman ».