Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Balzac (Honoré de) (suite)

Premier obstacle, en effet : sa famille veut le faire notaire. Il refuse. Il veut faire sa fortune par une œuvre littéraire et forger sa puissance avec l’appui du journal. Une carrière politique couronnera le tout. La France nouvelle, explique Balzac à sa sœur, n’a pas fini sa révolution ; elle aura besoin d’hommes nouveaux. Cette idée ne quittera pas de longtemps le futur Honoré de Balzac. Il échoue d’abord dans la rédaction d’une tragédie, Cromwell, péniblement imitée des maîtres classiques (1820). Mais, à peu près en même temps, on le voit songer à donner une forme romanesque à ses chères idées. Un projet à peine ébauché, Corsino, puis un autre, beaucoup plus poussé, Falthurne (roman à la fois historique dans le genre de Scott et philosophique) témoignent de cet important changement de front. Cependant, il faut vivre. Balzac, qui a beaucoup médité dans sa mansarde, découvre alors l’autre face de Paris et de la « civilisation ». Piloté par un margoulin professionnel, Auguste Le Poitevin de L’Egreville, il commence à rédiger en 1821 des romans pour les cabinets de lecture, qu’il se garde bien de signer du « nom Balzac », promis à tout autre chose. C’est le début d’un pénible noviciat. Le jeune homme apprend à connaître le monde des éditeurs et des petits journaux ; il découvre ce par quoi doit passer le talent, lorsqu’il n’a pas l’indépendance et la fortune. Il fait, en profondeur, l’expérience de l’envers de la société libérale.

L’Héritière de Birague (paru, signé lord R’Hoone, début 1822) est une parodie du roman noir (Ann Radcliffe) et du roman romantique de droite « trône et autel » (d’Arlincourt). C’est un roman amusant et intelligent, quoique de pure fabrication. Le vrai Balzac, toutefois, continue en secret. Pendant l’été 1821, revoyant pour la première fois sa Touraine natale, il avait commencé à rédiger un roman autobiographique et philosophique, Sténie, marqué par l’influence de Rousseau et de Werther, à la fois plein de fierté (« nous, enfants du siècle et de la liberté »), d’angoisse et de révolte (« tout pacte social est un crime »). Il ne le terminera jamais, n’ayant pu trouver à le placer chez ses libraires, ou n’ayant pas voulu le trahir en l’arrangeant comme il aurait fallu. Rentré à Paris, il reprend le collier et publie Jean-Louis, roman « gai » qui doit beaucoup à Restif de La Bretonne et à Pigault-Lebrun, mais dans lequel aussi s’amorce la peinture de la bourgeoisie, ouvrière, bénéficiaire et accapareuse de la Révolution. L’ambitieux Courottin, qui parvient par la chicane et en jouant le peuple contre les nobles, robin à la fois révolutionnaire et bourgeois, est le premier des arrivistes balzaciens ; il n’est, toutefois, pas encore un monstre fascinant, et demeure dessiné d’une plume plus plaisante que puissante. Pour le même éditeur, et toujours sous la signature de R’Hoone, Balzac rédige ensuite, toujours péniblement, un autre roman historique plus ambitieux, Clotilde de Lusignan, qui lui est payé 2 000 francs (contre 800 et 1 200 les précédents), mais n’obtient pas le moindre succès.

Au début de 1822 se produit un événement capital. Balzac est en termes de plus en plus mauvais avec sa famille ; il n’arrive à rien ; il est séparé de sa sœur aînée et confidente, Laure, qui a suivi à Bayeux son mari, Eugène Surville, polytechnicien et ingénieur des travaux publics ; Laurence, la cadette, est mariée depuis septembre 1821 à un individu sans foi ni loi, mais titré, et, de ce fait, bien accueilli par la famille : Armand-Désiré de Montzaigle.

Commence alors une longue liaison avec une femme âgée de vingt ans de plus que lui, Laure de Berny, qui avait traversé bien des orages et qui lui sera tout pendant longtemps : amante, mère, protectrice, initiatrice aux mystères du monde, bailleuse de fonds. En sa compagnie, Balzac s’exalte à la lecture d’André Chénier ; dans ses papiers se multiplient les essais poétiques. Aussi, alors même qu’il continue de travailler obscurément pour l’atelier Le Poitevin, il entreprend de rédiger, coup sur coup, plusieurs romans qui rendent un son nouveau et qu’il signe d’un pseudonyme nouveau, lui aussi : Horace de Saint-Aubin. Le Vicaire des Ardennes et le Centenaire (été-automne 1822), appuyés, pour l’affabulation, sur de nombreuses imitations (Paul et Virginie, le Prêtre, de Sophie Pannier, Melmoth, de Maturin), sont déjà des romans du moi sensible et volontaire, des romans de l’amour et de la puissance. Balzac commence à s’y exprimer par l’intermédiaire de héros jeunes et beaux, capables, appelés. En même temps s’y amorce la peinture des milieux et des types (un petit village et ses notables, la société de l’Empire). Ces deux œuvres sont écrites dans une sorte de fièvre ; au mépris de ses intérêts, et le contrat signé, Balzac ajoute au Centenaire un quatrième volume pour développer ses idées philosophiques (sur la puissance vitale), qui lui tiennent à cœur. De plus, le Centenaire est déjà un excellent récit fantastique dans un cadre moderne. Mais Balzac fait mieux. Pendant l’été 1822, il commence Wann Chlore, roman réaliste et intimiste de la lignée de Jane Austen (Orgueil et préjugé), mais surtout roman qui part de la famille de Balzac, de la vie à Villeparisis, du drame qui s’est joué et se joue entre Mme Balzac et sa fille Laurence. Les thèmes de la « vie privée », de la « femme abandonnée » et toujours des enfants du siècle s’imposent dans ce roman qui recourt encore lui aussi aux ficelles et aux souvenirs de lecture, mais auquel Balzac tenait beaucoup, qu’il corrigea et perfectionna pendant trois ans, qu’il continuera d’enrichir de ce qu’il a de plus cher, dont il reprendra le schéma central dans le Lys dans la vallée, et qui marque bien dès la vingt-troisième année le passage à une littérature d’une authenticité brûlante, chargée de dire, avant la politique, le pouvoir d’aliénation et de frustration de la vie bourgeoise.

Pris par d’autres projets, toutefois, Balzac délaisse momentanément Wann Chlore et, fin 1822, tente sa chance au théâtre. Mais la Gaîté lui refuse son mélodrame le Nègre. Nouvelle entreprise romanesque, la Dernière Fée (mai 1823), au départ simple féerie, en fait roman capital et l’une des cellules mères de la thématique balzacienne : découverte du monde moderne par un jeune homme naïf, jeune homme pris entre la femme sans cœur et l’ange-femme, dilemme du vouloir-vivre et de l’économie de soi, de l’intense et de la durée. Une deuxième édition, avec un dénouement plus significatif et un volume de plus (preuve que l’auteur tenait à son œuvre), est aussitôt préparée. Elle ne paraîtra qu’à la fin de 1824, sans succès, elle non plus.