Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Baltimore (suite)

Baltimore possède aussi les industries typiques de la région atlantique moyenne : le textile, la confection, la mécanique. La métallurgie des non-ferreux est relativement ancienne : Baltimore est le premier centre mondial de raffinage du cuivre. Plus récentes sont les constructions aéronautiques et automobiles (General Motors) et les industries nobles (usines Bendix, Westinghouse, Western Electric). À un niveau plus traditionnel, Baltimore est un des principaux centres de conserverie, héritage du riche passé agricole de la région et fruit d’une agriculture moderne orientée vers les marchés urbains.

La ville possède le classique plan en damier, coupé cependant par quelques diagonales et traversé par Charles Street, large voie nord-sud. Les avenues ombragées, les demeures bourgeoises du xixe s., un souci architectural marquent le centre ancien, non loin du Central Business District, hérissé de gratte-ciel, tandis que des quartiers monotones à l’infini, création de l’ère industrielle, couvrent de grandes étendues. L’extension de la ville se fait en direction de Washington, qui croît vers Baltimore, et l’on parle d’une conurbation Baltimore-Washington : une nouvelle autoroute permet aux deux villes d’aller plus vite à la rencontre l’une de l’autre.

P. B.

Balzac (Honoré de)

Écrivain français (Tours 1799 - Paris 1850).



Introduction

La vie de Balzac n’a guère d’intérêt ni de signification en elle-même, séparée de cette immense entreprise littéraire qu’est l’œuvre balzacienne. On peut interroger, on peut goûter la vie d’Henri Beyle : l’œuvre de Stendhal n’y intervient que fort tard, après la quarantaine, lorsque l’essentiel a été vécu, travail de dilettante plus qu’entreprise mobilisant tout l’homme, public ou privé. Pour Honoré Balzac, il n’en va plus ainsi, bien qu’on soit encore loin de l’époque de Flaubert et de Mallarmé. Horace de Saint-Aubin, dès 1822, c’est déjà le jeune Balzac, et de la manière la plus directe, la plus brûlante. Quant à Honoré de Balzac, plus tard, dans les revues ou en tête des glorieux in-octavo à grande marge, il a pris toute la place du fils de Bernard François Balzac et de Laure Sallambier, bourgeois installés à Tours, rue Nationale, au début du siècle. Dès la vingtième année, Balzac est non seulement celui qui veut écrire, mais celui qui écrit et qui vit d’écrire : non comme une passion, mais encore comme une mission, et comme une profession.

Homme d’un style, d’une technique et d’un métier ; esprit supérieur et praticien ; dandy et correcteur d’épreuves ; encre d’imprimerie, contrats et boulevard de Gand ; échéances et gilets ou cannes à pommeau d’or : Balzac est l’homme d’un siècle de luxe et de techniques, de naissantes civilisations de masses et de splendeurs promises à l’intelligence.

Avec lui se termine le temps des hommes (de Diderot à Benjamin Constant) qui étaient aussi écrivains, et pourtant le temps n’est pas encore venu des hommes qui ne peuvent être qu’écrivains. Pour Balzac, l’histoire qui s’ouvre fait sa place, nouvelle et forte, à l’homme de plume et de pensée, mais aussi l’homme de plume et de pensée y demeure, y est plus que jamais, l’homme du siècle, l’homme des luttes, non exclusivement et douloureusement celui des nuits d’Idumée et des gueulantes au bord de l’eau. Les nuits de Saché, certes, avec les feuilles manuscrites qu’on lit aux hôtes étonnés dans le salon aux lions, mais aussi ces leitmotive de fortune à faire, d’élections à gagner, de situation à assurer. Dialogue avec l’invisible : déjà, oui ; mais sans perspective de désengagement ni de dévalorisation du monde et des actions à mener dans le monde, de la vie à faire dans le monde.

La vie de Balzac, inséparable de l’œuvre de Balzac et du roman balzacien — la vie étant roman, le roman se faisant biographique — est le type même de l’aventure telle qu’elle s’impose désormais dans le monde moderne.


Une aventure littéraire dans le monde moderne

La première carrière de Balzac (1820-1829) est très significative des conditions dans lesquelles et des raisons pour lesquelles, au début du xixe s., on peut devenir un écrivain et de la manière dont un jeune homme très doué devient peu à peu quelqu’un qui voit et qui fait voir. Fût-ce au travers de la pratique du pire des métiers : la littérature alimentaire, rendue possible par le développement d’un nouveau public, de nouveaux réseaux et d’un nouveau marché de la lecture.

Balzac est né (à Tours, où les hasards d’une carrière administrative avaient conduit son père) dans une famille de bourgeois à la fois nantis et incertains, ayant eu richesse et puissance, mais les ayant quelque peu perdues, toujours à l’affût, toujours en calculs et en spéculations, quelque peu bohèmes. Balzac n’était d’une terre et d’un milieu naturel que par hasard et tourangeau que d’occasion, alors que Chateaubriand était breton, alors que Péguy sera vraiment orléanais et Barrès lorrain : son enracinement, à lui, n’était pas provincial et terrien, mais social et politique, c’était cette « France nouvelle », décloisonnée, brassée par la Révolution, lancée aussi bien, un moment, dans une grande aventure collective, que, de manière plus durable, dans la ravageuse épopée de l’ambition. Du côté paternel : la réussite d’un berger de l’Albigeois, parti à pied, devenu secrétaire du Conseil du roi puis ayant fait carrière dans les subsistances ; la tradition philosophique, le progressisme raisonné, un peu naïf ; la fierté d’avoir été, avec la Révolution et l’Empire, de cette classe d’hommes nouveaux et d’organisateurs qui avaient contribué à la libération d’une humanité fruste mais entreprenante et vigoureuse. Du côté maternel : une lignée de commerçants, la bourgeoisie peu politisée de la rue Saint-Denis et sensible aux écus ; une jeune mal mariée, jetée pour des raisons de fortune à un quinquagénaire ; des liaisons, un fils adultérin, l’indifférence, voire la haine, pour les deux plus jeunes, Laurence et Honoré, « enfants du devoir » ; des soucis de respectabilité ; des souffrances réelles aussi. Un monde déjà faussé, bloqué, mais encore, pour l’essentiel et dans l’ensemble, un monde lancé, proliférant, nourrissant. La bourgeoisie de Balzac est bien différente de celle de Stendhal. Honoré réagira contre son milieu, certes, et d’abord en dévoilant les drames de la « vie privée ». Mais aussi ce milieu le portera, alors qu’il n’a jamais porté Stendhal, le premier des évadés à part entière de l’histoire littéraire de la bourgeoisie. De huit à treize ans, Honoré est enfermé dans le collège des oratoriens de Vendôme, où il se livre à une débauche de lectures, se passionne pour les idées et la philosophie, et sans doute commence quelque chose qui ressemblait à ce Traité de la volonté dont il devait parler dans la Peau de chagrin et dans Louis Lambert. À Paris, à partir de 1814, il découvre l’immense civilisation moderne. C’est la grande époque de l’Université restaurée : Balzac suit les cours de Villemain, Guizot, Cousin ; il va écouter Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire. Il veut alors être philosophe ; il accumule notes et ébauches ; il est matérialiste convaincu ; il reproche à Descartes d’avoir « trahi » et se proclame disciple de Locke. Mais il veut aller plus loin que ses premiers maîtres sensualistes et idéologues ; il a médité les leçons de Cousin, qui lui a fait découvrir Thomas Reid et sa philosophie du sens intime et de la « seconde vue » ; il ne l’interroge pas seulement sur la manière dont l’homme-machine fonctionne, mais sur ce qui le porte ; il a le sens et le souci du drame vécu, le sens du devenir, que n’avaient guère les idéologues, hommes assurés et de bonne conscience, hommes pour qui l’histoire était faite, la vie et l’humanité sans mystères. Lavater et Gall (que lui a fait connaître le docteur Jean-Baptiste Nacquart, un des plus proches amis de la famille Balzac) sont ses maîtres, parce que tout est explicable à partir du visible et du physique ; mais il tente déjà (il tentera toute sa vie) d’intégrer le matérialisme descriptif et explicatif à une philosophie de l’aventure humaine et de son mouvement. Aussi le monde, pour ce jeune philosophe, n’est-il pas un ensemble dans lequel, libéré des préjugés gothiques, on n’a plus qu’à fonctionner en sachant comment on fonctionne. Le monde est à conquérir, à bousculer, à ordonner selon des exigences toujours neuves, par la pensée, par le talent. Tout cela le met déjà quelque peu au-delà du libéralisme refroidi des plus de cinquante ans. Une occasion se présente bientôt d’en faire la preuve.