Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Adenauer (Konrad) (suite)

Ce conseil, qui n’a que voix délibérative, se montre impuissant, au sein d’une zone ruinée, à établir un plan de redressement économique. Or les Alliés occidentaux, à la même époque, constatent avec une colère grandissante — chez Churchill elle atteint à la véhémence — que les Russes organisent fortement leurs États satellites en Europe orientale. Aussi, le 15 juillet 1946, la conférence des ministres des Affaires étrangères, réunie à Paris, décide-t-elle de réorganiser politiquement l’Allemagne occidentale. Ainsi est créé, entre autres, dès le 18 juillet, le Land de Rhénanie-Westphalie. Adenauer, élu membre du Landtag de Düsseldorf, voit son autorité grandir. Quand, le 1er septembre 1948, à Bonn, dans les locaux de l’Académie pédagogique, se réunissent les 65 membres du Conseil parlementaire créé par les Alliés pour élaborer une Constitution, Adenauer est parmi eux : c’est lui qu’ils élisent comme président ; la loi fondamentale est proclamée le 23 mai 1949. Des onze Länder naît un État fédéral, la République fédérale d’Allemagne. Le choix de la petite ville de Bonn comme capitale — elle est préférée à Francfort — réjouit particulièrement le Rhénan Adenauer, que l’autoritarisme prussien a toujours rebuté et qui a largement contribué à cette décision.

Un pas encore et ce sera le pouvoir suprême. Mais sur le chemin de l’ancien maire de Cologne se dresse le puissant leader des sociaux-démocrates (SPD), le Prussien Kurt Schumacher, dont l’éloquence pathétique et incisive, avivée par les souffrances physiques subies durant les deux guerres, souligne ce qu’a de froid et d’apparemment impassible l’argumentation d’Adenauer. Lors des élections générales du 14 août 1949, les chrétiens-démocrates obtiennent 31 p. 100 des voix (139 sièges) ; mais la SPD les talonne, avec 29,2 p. 100 (131 sièges). Il faut 202 voix pour être élu chancelier par le Parlement fédéral. Tournant délibérément le dos à Schumacher et à la « grande coalition », Adenauer forme une « coalition bourgeoise » avec le parti libéral. Le 15 septembre 1949, à une voix de majorité seulement, il est élu chancelier fédéral. Quelques semaines plus tard la CDU se le donne comme président.


Le chancelier du « miracle allemand » et l’Européen

Adenauer a soixante-treize ans, mais sa verdeur est incroyable. L’Europe, réveillée des cauchemars de la guerre, s’habitue très vite à voir l’Allemagne nouvelle sous les traits de ce vieillard au masque asiatique (il souffre d’une paralysie des muscles faciaux), aux lèvres minces, au menton volontaire, à la parole brève. Ses adversaires politiques estiment que le chancelier possède un vocabulaire réduit à 1 000 mots. C’est vrai, mais avec ces 1 000 mots, cet homme peu bavard va fabriquer les phrases qu’il faut pour faire d’un pays maudit une nation écoutée.

Laissant à Ludwig Erhard le soin de faire jaillir le « miracle économique allemand », Adenauer se réserve les Affaires étrangères et se donne pour but la restauration internationale de l’Allemagne en même temps que son intégration au monde occidental. Après le blocus de Berlin, il juge irréalisable la réunification allemande ; et c’est pourquoi, en 1953, il refusera le projet proposé par la République démocratique allemande, d’élections et de réunification sous forme de confédération.

K. Adenauer va être l’artisan de deux grands projets : l’unification de l’« Europe » (occidentale) et surtout la « réconciliation franco-allemande ». Il est vrai que le chrétien-démocrate Adenauer trouvera de l’autre côté de la frontière deux personnalités qui ont la même volonté que lui : un autre chrétien-démocrate, encore plus idéaliste, Robert Schuman, et un général réaliste, Charles de Gaulle.

C’est à Bonn, le 13 janvier 1950, qu’Adenauer rencontre pour la première fois R. Schuman : celui-ci est lui-même rhéno-mosellan ; il a d’ailleurs été étudiant à Bonn ; il connaît et aime l’Allemagne rhénane. Dès le premier abord, les deux hommes se comprennent. Alors les choses, qui eussent paru irréalisables l’année précédente, vont vite. En mars 1950, Adenauer propose la constitution d’une union politique européenne. Le 9 mai R. Schuman propose la constitution d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier (C. E. C. A.). Le 23 mai Adenauer reçoit à Bonn Jean Monnet, l’animateur de toute l’entreprise ; le 15 juin, le Bundestag décide l’entrée de la R. F. A. dans la C. E. C. A.

En avril 1951, Adenauer va à Paris pour signer le traité créant la C. E. C. A. Grâce à lui, en mai, la République fédérale devient membre à part entière du Conseil de l’Europe et, en mai 1952, les hauts commissaires alliés en Allemagne se muent en ambassadeurs. Ainsi le chancelier a-t-il restauré à peu près l’indépendance de l’Allemagne. Mais ce n’est qu’avec les accords de Paris (1954) que la République fédérale recouvre sa complète souveraineté.

Adenauer jouit alors d’une très grande popularité. Les élections au Bundestag du 6 septembre 1953 donnent à la CDU une majorité confortable : Adenauer est triomphalement réélu au poste de chancelier. En septembre 1957, la CDU obtient même la majorité absolue. Le chancelier peut arguer en effet de nouveaux progrès pour l’Allemagne fédérale : intégration de la R. F. A. dans l’union de l’Europe occidentale (U. E. O.) et dans l’O. T. A. N. en 1954 ; proclamation de la R. F. A. comme État souverain, en 1955 ; rattachement de la Sarre à l’Allemagne à partir du 1er janvier 1957 ; ratification par le Parlement fédéral des traités de Rome instituant la C. E. E. (mars 1957).

Cependant, les adversaires du chancelier et notamment les sociaux-démocrates lui reprochent une politique « capitaliste, cartelliste, conservatrice et cléricale ». Ils l’accusent de ne pas apporter à l’unification de l’Allemagne l’intérêt nécessaire. Mais le chancelier prétend, après son voyage à Moscou en 1955, qu’il n’a rien pu faire en raison de l’opposition soviétique.


Adenauer et de Gaulle