Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bach (suite)

Mais Bach est aussi violoniste, ce qui explique son attirance pour la mélodie, ce qui explique sa curiosité d’esprit à l’égard de l’Italie, pays du violon. Le surprenant, c’est qu’il a peut-être découvert l’Italie grâce à l’orgue, quand il a recopié en son intégralité le recueil des Fiori musicali de Frescobaldi. De là, et sans avoir jamais voyagé en Italie — contrairement à Schütz —, il a, par la simple lecture des partitions ou par l’audition des artistes de passage, découvert une littérature ultramontaine double : celle qui était suivie par le violon de Corelli, de Vivaldi, par les œuvres violonistiques d’Albinoni, de Marcello, celle également qui avait pour auteur Alessandro Scarlatti, l’un des plus illustres compositeurs à utiliser le da capo. Dès lors, Bach pénètre le secret de l’esthétique italienne, la couleur du chromatisme, l’équilibre qu’impliquent de constants éléments de symétrie dans le langage, la très heureuse architecture de la sonate à trois, la portée d’un récitatif descriptif, le monde du concerto grosso, etc. Et de cet apport, il s’enivre de telle façon qu’il en vient à assimiler de nombreuses pages italiennes conçues pour le violon, en les transcrivant pour l’instrument d’harmonie comme le clavecin ou l’orgue ; dans ses propres œuvres, il absorbe quantité d’éléments qui relèvent du vocabulaire ultramontain et qui viennent enrichir son texte.

Mais il est à croire que le seul voisinage de l’Italie ne suffit pas à expliquer Bach : sans la France, son message serait incomplet. Les écoles de Versailles et de Paris lui fournissent en effet deux ou trois constantes auxquelles il va rester toute sa vie attaché. Car s’il a exploité l’ouverture à l’italienne, il semble avoir constaté que l’ouverture à la française lui est supérieure, avec ses graves pointés et ses fugatos. On la trouve aussi bien dans l’œuvre de clavecin, l’œuvre d’orgue, les grands chœurs ou les suites d’orchestre.

S’il a exploité le concerto grosso ou le concerto pour soliste à l’italienne, il a subi fortement l’influence du concert à la française. En effet — comme tous les musiciens allemands nés au xviie s. —, Bach ne peut passer indifférent à côté de la suite de danses. Il y sera fidèle toute sa vie, et on en trouve des traces tant dans sa musique de clavecin que dans sa musique de violon ou de flûte. On peut même se demander si les confessions les plus intimes de Bach ne sont pas celles qui empruntent à la sarabande pour clavier son cadre officiel. Enfin, Bach, qui a pratiqué certains clavecinistes français, qui a recopié tout le Livre d’orgue de Nicolas de Grigny au début de son existence, semble avoir accepté toutes les lois de l’ornementation française et avoir par là transmis à la musique allemande tout un monde d’abord éphémère et improvisé, puis fixé par des règles intangibles, tout un monde qui doit habiller la mélodie ou la dissoudre sous une parure fantaisiste et lui permettre toujours de contraster avec une basse continue de système italien.

Le secret de Bach est d’avoir su assimiler tendance italienne et tendance française, et de les avoir adaptées avec un extraordinaire à-propos et un réalisme efficace au monde structuré et contrapuntique dont il était le grand mage.


Bach après Bach

On assure que Bach était, au moment de sa mort, moins connu que son fils Carl Philipp Emanuel. Il semble en effet que, durant toute la seconde moitié du xviiie s., l’œuvre de Bach ait été peu jouée. C’est pourtant Carl Philipp Emanuel qui prend la peine de regrouper en un recueil les quatre cents chorals des cantates qui proviennent des manuscrits paternels. C’est le célèbre baron Gottfried Van Swieten qui part à la découverte des originaux de Jean-Sébastien : il les met sous les yeux de Mozart en 1781, et ce geste entraînera une transformation dans l’esthétique pratiquée par Mozart, dont le génie est stimulé par la lecture des fugues du Cantor. Les premières éditions du Clavecin bien tempéré paraissent simultanément en Angleterre et en Allemagne au début du xixe s. Le pianiste Beethoven en fait son pain quotidien, et ces volumes auront désormais leur place sur les pupitres des virtuoses du clavier (Chopin, Schumann, Mendelssohn, Liszt). Beethoven, qui avait envisagé d’écrire une grande ouverture sur le nom de Bach, a été conquis, les dernières années de sa vie, par l’écriture fuguée du maître de Leipzig, et son admiration ne fait que croître à la lecture des manuscrits qui lui sont révélés. Un musicographe suisse a démontré récemment que les six derniers quatuors sont redevables de l’exploitation du thème musical formé par B. A. C. H. à l’état direct ou à l’état renversé. Il est bien évident que, lorsque Beethoven introduit le prélude et la fugue dans ses dernières sonates, il n’ignore aucunement sa dette envers Jean-Sébastien.

Grâce à Mendelssohn, le monde romantique se trouve en présence d’une partition dont on va fêter le centenaire (1829), la Passion selon saint Matthieu, et qui a été mise sous les yeux du jeune israélite converti au protestantisme par le vieux maître de chapelle K. F. Zelter. Désormais, Mendelssohn s’enflamme pour tout ce qui concerne Bach, et sait entraîner dans son sillon son fidèle ami Schumann. Ces deux musiciens n’auront de cesse de créer une grande société qui doit prendre à charge l’édition de l’œuvre du Cantor ; cette Bachgesellschaft publiera, de 1851 à 1900, un total de quarante-six volumes, qui vont forcer le monde musical à prendre conscience de l’extraordinaire message de cet Allemand du xviiie s. À l’imitation de Bach, Chopin écrira un cycle de préludes, pour piano, sans toutefois garder à la lettre le plan exact du Clavecin bien tempéré. Schumann insère dans son œuvre de clavier, sans qu’il soit très habile d’ailleurs à développer des fugues, de courts épisodes contrapuntiques qui sont autant d’hommages rendus au maître du contrapunctum. Liszt ne se contentera pas d’écrire un prélude et fugue sur le nom de Bach ; il reprend le thème de la cantate Weinen, klagen et en fait le soutien d’une série de variations étonnantes pour piano ou pour orgue. Comme Schumann, il incorpore le choral à sa musique de piano, et comme Beethoven, il recherche la synthèse entre le choral et l’esprit fugué dans la grande variation. Cette influence du choral, qui grandit, chez les romantiques, à la lecture des préludes de choral classiques de Bach, on la retrouve chez Franck, Brahms et Bruckner. La découverte de l’œuvre d’orgue de Bach assure, dans le dernier tiers du xixe s., la résurrection de l’orgue d’église et de concert grâce à Max Reger et Charles Marie Widor. Enfin, il ne faut pas oublier la place que tient le choral de Bach, son esprit, son écriture, dans toute l’œuvre de Wagner.