Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bach (suite)

La Messe en « si » mineur, dont l’unité est encore discutée, groupe avant tout un premier recueil réunissant le Kyrie et le Gloria (adressés en 1733 au Grand Électeur pour recevoir le titre de compositeur de la Cour), ainsi que des morceaux isolés comme le Credo, le Sanctus et l’Agnus Dei. Si Bach fait ici ou là des emprunts à ses cantates (Gratias agimus, Agnus Dei), il écrit en général des chœurs à cinq voix, bien que la partition s’enrichisse d’un chœur à six voix (Sanctus) et d’un double chœur (Osanna in excelsis, huit voix). Ces chœurs relèvent soit d’une conception polyphonique pure, en ce sens qu’ils doivent encore à Palestrina et à la fugue, soit d’une esthétique concertante (Gloria in excelsis, Cum Sancto Spiritu). S’il y en a qui, sur une basse ostinato, cultivent encore le système du cantus firmus grégorien (Credo I), Bach, se faisant plus dramatique, cherche à peindre dans un ensemble absolument unique la confession, la crucifixion et la résurrection. Les plus sublimes combinaisons vocales ou instrumentales pour solistes alternent avec ces grandes masses chorales, et l’œuvre se développe comme une vaste fresque dont on doute qu’elle ait été écrite pour être interprétée en son intégralité au culte.

La tâche principale de Bach n’était point d’écrire des fragments de messes sur paroles latines, mais bien des cantates qui devaient être chantées tous les dimanches au culte sous forme de commentaires à l’Évangile du jour. Il est trois sortes de cantates en lesquelles il excella toute sa vie, et dont la forme dépendait souvent des circonstances dans lesquelles il se trouvait et des éléments dont il disposait. Les unes ont été écrites pour voix seule avec accompagnement concertant toujours fondé sur l’orgue et le clavecin. L’œuvre se déroule alors comme un vaste poème vocal en lequel alternent récitatifs, ariosi et airs, souvent da capo (Ich habe genug). La voix peut dialoguer avec un instrument à cordes ou à vent. Visiblement, Bach a utilisé ce procédé lorsqu’il était privé du concours de ses choristes. Les tient-il bien en main et peut-il les préparer à temps, il commente un texte de Salomon Franck ou de Picander, en mêlant avec habileté sinfonias, récitatifs, chœurs, arias, chorals. La cantate comporte alors deux parties encadrant la récitation de l’Évangile. Elle donne matière à de vastes développements parfois, notamment dans le chœur initial, et une place assez grande peut être faite au concert des instruments solistes, qui dialoguent avec les voix. Certaines de ces cantates se terminent par l’harmonisation du choral, ou par un choral concertant avec l’orchestre.

Un autre type de cantate correspond à une série de variations écrites sur le choral. Il faut y voir une sorte de partita vocale où le thème de choral est traité de manière fuguée, ou en cantus firmus archaïque, donnant vie soit à des duos, des trios, soit à de simples harmonisations. Bien souvent, Bach s’est fait le propre librettiste de ses cantates et, dans tous les cas, ces textes visaient à emprunter plusieurs versets aux Écritures saintes et à les paraphraser en utilisant d’autres versets d’esprit piétiste, souvent remplis de symboles ou d’images d’un caractère littéraire bien discutable. On ignore le chiffre exact des cantates qu’il a écrites le long de sa vie. Il en reste aujourd’hui cent quatre-vingt-seize, destinées aux cinquante et un dimanches de l’année liturgique.

S’il vient à agrandir le champ de ses recherches dans le domaine de la cantate, Bach aboutit à une manière d’oratorio qui peut conter soit la résurrection du Christ, soit sa Passion. Il emprunte son texte à saint Jean ou à saint Matthieu, et demande à des poètes contemporains d’enrichir les évangélistes de versets qui porteront à méditation. Deux de ces Passions demeurent : celle selon saint Jean (1723) et celle selon saint Matthieu (1729), qui comportent des caractères communs, mais qui ont chacune leur individualité. Dans la première, par exemple, la voix du Christ est soutenue par l’orgue, dans la seconde, par le quatuor à cordes. Bach distribue l’histoire de la Passion avec ses différents commentaires poétiques et douloureux entre des grands chœurs de quatre à huit voix, un récitatif permanent qui narre l’histoire et qui est confié au ténor, à des ariosi qui évoquent certaines images du texte, à des airs à l’italienne qui interrompent l’action et engendrent la réflexion du chrétien, à des chorals qui soutiennent sa prière. Il y a plus de chœurs descriptifs et déchirants, plus de douleur humaine dans saint Jean, plus d’austère grandeur dans saint Matthieu. Dans ses cantates comme dans ses Passions, Bach demeure le grand spécialiste du chœur fugué et il excelle à marier ces puissantes vagues chorales à l’instrument orchestral dont il dispose et que colorent, dans les cantates, flûtes, hautbois, cors et trompettes, dans les Passions, flûtes et hautbois, viole de gambe, luth.

Il est bon d’ajouter ici que Bach a écrit plusieurs cantates profanes, les unes pour voix seule (Cantate nuptiale), les autres pour chœur (Cantate d’Eole, Cantate de Phébus et Pan). Ici et là, le compositeur sait avec art mélanger l’esthétique italienne à l’esthétique allemande.

Parmi les cantates les plus célèbres signées de J.-S. Bach, citons l’Actus tragicus, la Cantate pour tous les temps, la Cantate de Pâques, la Cantate de la Réformation C’est un rempart que notre Dieu, la Cantate des vierges folles et des vierges sages, ces deux dernières cantates étant des cantates-chorals, avec variations.


L’esthétique de Bach

En présence d’une telle œuvre, on est en droit de se demander quelle est la part du génie personnel, quelle est celle des sources qui ont été à même d’alimenter ce dernier. Dès son très jeune âge, Bach a entendu chanter, jouer des instruments et parler de musique : ce fut là sa nourriture quotidienne. Il écrira dans un style fugué, comme il respire. Certes, dans ce mécanisme, il faut un entraînement, et l’on devine celui-ci quand on passe des symphonies à trois voix aux grands chœurs fugués ou au ricercar à six voix de l’Offrande musicale, sans parler de l’Art de la fugue. Ce contrepoint, il est bien l’expression suprême du génie germanique tel que Bach l’a surpris chez Schütz, Froberger, Pachelbel et Buxtehude. Et lorsqu’à ce contrepoint se mêle l’esprit du choral, ou plutôt lorsque le choral vient susciter le contrepoint, on assiste à une synthèse parfaite entre l’exploitation du cantique spirituel et celle des lignes polyphoniques qui en seront le commentaire. Ici, Bach n’a pas à apprendre : il ne fait que continuer l’élan donné par ses prédécesseurs, stimulé qu’il est par l’approche quotidienne de l’instrument polyphonique par excellence, l’orgue.