Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Zaïre (suite)

Les sociétés, troisième puissance du Congo, étaient pour une part des sociétés de plantations, héritières des grandes compagnies concessionnaires liquidées après 1908. Nouvelle venue en 1911, la Société des huileries du Congo, filiale de la puissante Lever, reçut 750 000 ha (ramenés à 350 000 en 1938). Des colons planteurs s’installèrent aussi, surtout sur les hautes terres du Kivu. Mais les plus importantes sociétés furent les sociétés minières qui s’organisèrent pour l’exploitation du cuivre du Katanga (auj. Shaba), dont la richesse avait été révélée dès 1891 par le géologue Jules Cornet (1865-1929).

Les lignes de chemin de fer qui atteignirent le Katanga à partir de 1910 (Beira-Élisabethville ; Dar es-Salaam-Kigoma ; Port-Francqui-Élisabethville) et l’exploitation du charbon local permirent le démarrage d’une économie industrielle au Katanga, laquelle fut dominée par trois grandes sociétés : l’Union minière du Haut-Katanga (U. M. H. K.), créée en octobre 1906 par la Société générale de Belgique et le Comité spécial du Katanga ; Géomines et Sermikat, constituées en 1910-11 ; dans le Centre-Ouest, la Forminière, qui, réorganisée en 1906, associa la Couronne, la Société générale, Édouard Empain et Tiège pour l’exploitation des diamants du Kasaï.

La politique coloniale belge fut caractérisée par le paternalisme et l’alliance des trois pouvoirs. Des désaccords surgirent à propos du recrutement forcé de travailleurs entre 1920 et 1925, dénoncé par les missions, mais ils n’entamèrent guère l’armature. Un paternalisme autoritaire régit par ailleurs les relations entre Noirs et Blancs. Les avantages sociaux importants (logements, allocations familiales, foyers, sécurité sociale après 1945), un contrôle sanitaire efficace (le Congo belge possédait la meilleure infrastructure sanitaire de l’Afrique tropicale en 1958) furent accompagnés de contraintes (contrats de travail particuliers imposés aux Noirs ; cultures forcées) et de discriminations (ségrégation scolaire, ségrégation judiciaire, ségrégation de l’habitat).

Le développement économique fut, en fait, la préoccupation dominante des autorités. Favorisé par le plan du ministre des Colonies Louis Franck (1918-1924), il fut spectaculaire dans les années qui suivirent la Première Guerre mondiale, puis se ralentit considérablement avec la crise de 1930 ; l’emploi se réduisit de 70 p. 100 au Katanga de 1929 à 1933. Les cultures forcées, surtout celle du coton, et la remontée des cours mondiaux permirent la reprise dès avant la Seconde Guerre mondiale. Le conflit, le nouveau plan de développement élaboré en 1949 par le ministre Pierre Wigny, puis la guerre de Corée déterminèrent un boom économique. Le principal résultat pour les Noirs fut l’essor d’une catégorie sociale d’ouvriers et d’employés des sociétés, la plus nombreuse de l’Afrique noire (plus d’un million de salariés en 1952), et une rapide croissance des villes (Élisabethville : 185 000 hab. en 1957 ; Léopoldville : 370 000 hab. en 1957). Toutefois le rôle de cette main-d’œuvre, soigneusement encadrée, paraît avoir été beaucoup moins important dans l’apparition du nationalisme que celui de la petite bourgeoisie formée par les employés subalternes de l’Administration (commis de bureau, agents des postes ou de l’agriculture, aides-médecins, instituteurs) ou du commerce (comptables, gérants) et celui du clergé local.


Les crises de l’accession à l’indépendance

À vrai dire, un nationalisme moderne ne se manifesta pas avant 1956 au Congo belge. Après 1919, l’hostilité à la tutelle blanche s’était bien exprimée à travers le mouvement du « prophète » Simon Kimbangou (le kimbanguisme), mais cette hostilité, dont les résurgences antiblanches se retrouvèrent encore plus nettement après 1930 dans l’Église de Simon Mpadi (le kakisme), resta essentiellement religieuse, syncrétique et messianique.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certains responsables belges, inquiets devant les proclamations de la conférence de San Francisco, sentirent la nécessité d’une modification de leur politique au Congo : ainsi Pierre Ryckmans (1891-1959), gouverneur général de 1934 à 1946. Mais ils ne la conçurent que progressive et paternaliste, et se heurtèrent au double refus d’un colonat blanc irréductible et d’une « élite » noire peu formée et déçue.

Deux timides tentatives illustrèrent leur échec. L’une, qui reprenait en 1948 une ancienne initiative, créait un statut des « évolués » (immatriculation et carte de mérite civique) ; mais elle n’offrait aucun avantage réel et ne fit que renforcer la discrimination et la rancœur raciales. L’autre, en 1957, destinée à développer les « centres extra-coutumiers » urbains d’administration indigène, jusque-là en très petit nombre, se heurta à l’opposition de la bureaucratie administrative et de la population blanche sans intéresser les Noirs. Le blocage des carrières des auxiliaires africains aux grades inférieurs de l’Administration est lié à l’absence de tout enseignement supérieur jusqu’en 1954 (l’université catholique de Lovanium fut créée en 1954 ; l’université d’État d’Élisabethville, en 1956). En 1960, le Congo ne possédait qu’une vingtaine de diplômés d’enseignement supérieur, et l’accès difficile des Noirs à la propriété individuelle renforça l’amertume des « évolués ». Enfin, l’hostilité effrénée des Blancs au plan Van Bilsen, qui, en 1955, préconisa une émancipation du Congo en trente ans, exaspéra le mécontentement des masses noires, qui explosa en émeutes à Léopoldville en janvier 1959.

C’est au cours de ces années 1956-1959 que se constituèrent les forces politiques congolaises. Les deux principales furent d’abord l’Abako (Association des Bakongos, fondée en 1950), dirigée par Joseph Kasavubu (1917-1969), un ancien séminariste, qui exprimait le nationalisme tribal des populations entre Léopoldville et Matadi et jouissait de sympathies du côté de l’Église, et le Mouvement national congolais (M. N. C.) de Patrice Lumumba (1925-1961), un ancien comptable qui s’était formé grâce à des amicales urbaines.