Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Yougoslavie (suite)

Le premier gouvernement est constitué en janvier 1919 avec un Serbe (Stojan Protić [1857-1923]) à sa tête, le Slovène Anton Korošec comme vice-président, le Croate Ante Trumbić aux Affaires étrangères. Sur le plan extérieur, le nouveau gouvernement doit régler le problème des traités de paix ; sur le plan intérieur, il s’attelle à l’unification du pays (système monétaire, etc.), à sa reconstruction et à la préparation de l’élection de l’Assemblée constituante. Les puissances alliées, qui ont fini par appuyer le démembrement de l’Autriche-Hongrie, ont eu un rôle important dans la formation du nouvel État comme de tous ceux de l’Europe centrale.

L’établissement des frontières lors de la conférence de la Paix de 1919 s’avère délicat. Cependant, le plus souvent, le tracé est favorable à la Yougoslavie : partage du Banat avec la Roumanie et la Hongrie, de la Bačka et de la Baranja avec la Hongrie, de la Macédoine avec la Grèce. Avec l’Italie, un accord direct intervient le 12 novembre 1920 (traité de Rapallo) : il attribue à l’Italie — qui renonce à la Dalmatie — certaines îles de la côte (Lastovo [Lagosta], Cres [Cherso]), la ville de Zadar (Zara), la vallée de la Soča (Isonzo) à l’ouest de la Slovénie, et l’Istrie. Du côté autrichien, un plébiscite en 1920 fait passer la Carinthie à l’Autriche.

Le nouvel État comprend une proportion notable de minorités non yougoslaves (20 p. 100) : 500 000 Allemands, un peu moins de Hongrois, d’Albanais, et aussi des Bulgares, des Roumains, etc., tandis que des Croates et des Slovènes se trouvent en Autriche, des Serbes, des Croates, des Slovènes en Hongrie, des Serbes en Roumanie, des Macédoniens en Bulgarie, des Slovènes en Italie. Les traités prévoient pour les minorités nouvellement incluses dans l’État yougoslave une garantie de leurs droits.


Alexandre Ier et le problème des nationalités

Le problème majeur de la Yougoslavie entre les deux guerres est la question des nationalités, en particulier celle de l’opposition entre Serbes et Croates, mais aussi celle du statut de la Macédoine, des musulmans, des Albanais, etc.

La première période (1919-1929) est caractérisée par l’implantation du parlementarisme. À l’Assemblée constituante élue en décembre 1920, les trois plus forts partis sont le parti radical serbe, le parti paysan croate et le parti communiste (né de l’unification des partis sociaux-démocrates en avril 1919 et qui prend ce nom au congrès de Vukovar en juin 1920).

Les partis croate, slovène et communiste s’étant abstenus, c’est une constitution centraliste (Constitution de Vidovan), selon les vœux serbes, qui est adoptée et proclamée le 28 juin 1921. De nombreux ministères se succèdent, le plus souvent radicaux (avec en particulier Nikola Pašić [1845-1926], le plus célèbre représentant du parti). La proclamation (obznana) de décembre 1920 et la loi d’août 1921 sur la protection de l’État entravent l’activité des groupes « subversifs » ; le parti communiste est ainsi interdit à partir de 1921 ; en décembre 1924, c’est le tour du parti paysan croate, que son chef, Stjepan Radić (1871-1928), lors d’un séjour à Moscou, a rattaché à l’« Internationale verte » ; Radić sera arrêté d’ailleurs à son retour. Cependant, une tentative de conciliation entre Croates et Serbes a lieu en 1925 : Radić est libéré et participe au gouvernement, mais pour une brève durée. L’opposition se développe de nouveau autour d’une coalition des paysans croates et des démocrates serbes, auxquels se joignent les démocrates indépendants du Serbe de Croatie Adam Pribićević.

Le 20 juin 1928, des députés croates, dont Stjepan Radić, sont assassinés en pleine séance de l’Assemblée nationale ; devant l’échec d’un gouvernement de coalition dirigé par Mgr Korošec et face à l’hostilité des Serbes à tout fédéralisme, Alexandre Ier Karadjordjević (roi depuis 1921) suspend la Constitution le 6 janvier 1929 : c’est le début de la dictature royale (1929-1934).

L’Assemblée est dissoute, les partis sont interdits, les communistes et de nombreux politiciens sont arrêtés : c’est ainsi que se déroulent le procès de Josip Broz Tito* à Zagreb en 1928, le jugement, puis l’acquittement de Vladimir Maček (1879-1964), nouveau président du parti paysan croate, en 1930. Alexandre recherche l’union par une voie nouvelle, mais qui demeure centraliste et autoritaire et ne satisfait pas les nationalités non serbes, tandis que la répression politique mécontentera les Serbes eux-mêmes.

En 1929, le nom du royaume est changé en Yougoslavie, tandis que le pays est divisé en neuf banovines, qui ne respectent pas vraiment les frontières historiques. En raison des difficultés économiques, le roi octroie une constitution en 1931 et essaie de donner vie à des partis yougoslaves, en particulier au parti national yougoslave, né en 1933.

Mais ces mesures sont insuffisantes, et l’opposition se développe : des Croates tels qu’Ante Pavelić (1889-1959), organisateur de la société secrète Ustaša (ou Oustacha), s’orientent vers une activité terroriste qui cherche des appuis à l’étranger (Italie, Hongrie, Bulgarie) ; d’autres interviennent auprès de la Société des Nations : un manifeste de l’opposition à Zagreb en 1932 réclame la démocratisation et la fin de l’hégémonie serbe. Vladimir Maček, Anton Korošec, Mehmed Spaho, le chef de l’Organisation musulmane, sont emprisonnés. Peut-être le roi envisage-t-il une réorientation de sa politique quand, lors de sa visite en France, il est assassine à Marseille le 9 octobre 1934, en même temps que le ministre français des Affaires étrangères, Louis Barthou.

Le fils d’Alexandre, Pierre II, étant âgé de onze ans, un conseil de régence est instituée, présidé par le prince Paul, cousin de l’ancien roi, avec l’assistance de deux corégents serbes. L’agitation continue (manifeste de l’opposition serbe, manifestations estudiantines). Maček est relâché ; les élections de 1935, cependant truquées, montrent la force de l’opposition ; un gouvernement de conciliation est essayé avec à sa tête Milan Stojadinović (1888-1961) et la participation de Mehmed Spaho et d’Anton Korošec. Un rassemblement politique regroupant les radicaux, le parti slovène et l’Organisation musulmane — la communauté radicale yougoslave — est même constitué en août 1935, mais pour une courte durée.