Babeuf (François Noël, dit Gracchus) (suite)
Lazare Carnot veut une répression impitoyable. Les détenus sont transférés au siège de la Haute Cour, à Vendôme : c’est que, parmi eux, se trouve un député. Voyage sinistre : les inculpés sont enfermés dans des cages de fer, que la femme et le fils de Buonarroti suivent à pied (26-27 avr. 1796). Le procès s’ouvre fin février 1797 ; il dure trois mois. Le 26 mai, Babeuf et Darthé sont condamnés à mort. Ils essaient vainement de se suicider à l’aide d’un couteau que leur a fait passer le fils de Babeuf ; le lendemain, ils sont conduits à l’échafaud.
Buonarroti, condamné à une peine de détention qu’il accomplit, en partie, à l’île Pelée de Cherbourg, puis à l’île d’Oléron, publiera, en 1828, à Bruxelles, l’Histoire de la conspiration de l’Égalité, dite de Babeuf, qui établit un lien entre le babouvisme et la nouvelle génération révolutionnaire, Blanqui notamment et ses disciples. Il s’y mêle la volonté d’assurer la révolution par une dictature provisoire, le désir de développer l’éducation populaire, l’acceptation d’un ascétisme fondé sur un certain pessimisme économique.
Un million vingt-quatre millions
« Je distingue deux partis diamétralement opposés, en système et en plan d’administration publique. Des circonstances font varier la force de l’un et de l’autre. C’est là tout seul ce qui explique les avantages alternatifs que chacun d’eux remporte.
« Je crois assez que tous deux veulent la République mais chacun le veut à sa manière. L’un la veut bourgeoise et aristocratique. L’autre entend l’avoir faite et qu’elle demeure toute populaire et démocratique. L’un veut la République d’un million qui fut toujours l’ennemi, le dominateur, l’exacteur, l’oppresseur, la sangsue des vingt-quatre autres, du million qui se délecte depuis des siècles dans l’oisiveté, aux dépens de nos sueurs et de nos travaux. L’autre parti veut la République pour ces vingt-quatre derniers millions qui en ont fondé les bases, qui les ont cimentées de leur sang, nourrissent, soutiennent, pourvoient la patrie de tous ses besoins, la défendent et meurent pour sa sûreté et sa gloire.
« Le premier parti veut, dans la République, le patriciat et la plèbe ; il y veut un petit nombre de privilégiés et de maîtres gorgés de superfluités et de délices, le grand nombre réduit à la situation des hilotes et des esclaves ; le second parti veut l’égalité des droits, l’égalité dans les livres, mais encore l’honnête aisance, la suffisance légalement garantie, de tous ses besoins physiques, de tous les avantages sociaux en rétribution juste et indispensable de la part de travail que chacun vient fournir à la tâche commune. » (Janv. 1795.)
Neuf millions — quinze millions
« Il faut respecter la propriété ? Mais si, sur 24 millions d’hommes, il s’en trouve 15 qui n’aient aucune espèce de propriété, parce que les 9 millions restant n’ont point assez respecté leurs droits pour leur assurer même les moyens de conserver l’existence, il faut donc que les quinze millions se décident à périr de faim pour l’amour des neuf ? Ils ne s’y décideront pas très volontiers sans doute et, probablement, il vaudrait mieux que la classe opulente s’exécute envers eux de bonne grâce que d’attendre leur désespoir. » (Fin de 1789.)
G. L.
M. Dommanget, Pages choisies de Babeuf (A. Colin, 1935) ; Sur Babeuf et la conspiration des égaux (Maspero, 1970). / Babeuf et les problèmes du babouvisme (Colloque international de Stockholm, Éd. sociales, 1964). / J. Maitron, « Gracchus Babeuf » dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, 1re partie, t. I (Éd. ouvrières, 1964).