Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Babel (Issaak Emmanouilovitch) (suite)

Artiste scrupuleux et exigeant, Babel a renouvelé le genre de la nouvelle par l’extrême concision expressive d’un style dont la fonction est moins de développer un récit que de faire éclater un contraste. Son sens du dialogue le pousse vers le théâtre et le cinéma, pour lesquels il fait revivre le héros des Odesskie Rasskazy, Benia Krik, dans une nouvelle cinématographique du même nom (portée à l’écran en 1926) et dans la pièce Zakat (le Couchant, jouée en 1928). Une seconde pièce, Maria (jouée en 1935), peint avec un mélange de compassion et de cruauté réaliste les efforts déployés par une famille aristocratique pour s’adapter à la révolution. Touché par l’évolution qui mène la littérature soviétique du lyrisme à l’épopée et de l’expressionnisme des années 20 au réalisme socialiste, il entreprend en 1931 un roman sur la collectivisation, Bolchaïa Krinitsa (village où se situe l’action), dont il n’est resté qu’un chapitre. Mais cette évolution fait violence à la vision ouverte, dramatique, contradictoire du réel qui a trouvé dans ses nouvelles une expression adéquate. Celles qu’il écrit après 1925, d’une écriture plus sobre, prolongent les cycles des années 20, notamment le cycle autobiographique ; mais Babel ne parvient pas à renouveler son inspiration. Encore fêté au Congrès des écrivains de 1934, envoyé en 1935 à Paris au Congrès des intellectuels pour la défense de la culture, il écrit de moins en moins et se sent de plus en plus isolé. Arrêté le 15 mars 1939, il disparaît deux ans plus tard. Il a été réhabilité en 1954.

M. A.

 I. E. Babel, Articles et documents (en russe, Moscou, 1928) ; Œuvres choisies (présentées par I. Ehrenbourg [en russe, Moscou, 1957 ; nouv. éd., 1966]). / M. Drozda, « Babel », in Babel, Leonov, Solženicyn (Prague, 1966). / J. Stora-Sandor, Isaac Babel, l’homme et l’œuvre (Klincksieck, 1968).

Babeuf (François Noël, dit Gracchus)

Révolutionnaire et socialiste français (Saint-Quentin 1760 - Vendôme 1797).



Les origines du communisme de Babeuf

Son père, cavalier au régiment Dauphin-Étranger, déserte et passe au service de l’Autriche ; rentré en France (1755) grâce à une amnistie (1752), il devient commis aux Fermes et épouse une servante illettrée : « Je suis né sans fortune ou plutôt au sein d’une pauvreté absolue », dira plus tard leur fils. François Noël est successivement saute-ruisseau chez un commissaire à terrier, laquais au château de Damery, chez M. de Bracquemont, dont, en 1782, il épouse une femme de chambre, commis chez un notaire de Flixecourt, puis chez un arpenteur de Noyon (1783). En 1784, établi à son compte commissaire à terrier à Roye, il emploie plusieurs clercs ; mais, trois ans plus tard, il est dans la gêne.

Ces années obscures sont des années de formation. Il lit Rousseau (Discours sur l’origine de l’inégalité, les Confessions, Du contrat social) ; Mably, à qui, sans doute, il empruntera la formule « d’égalité parfaite » ; le Code de la nature, de Morelly (alors attribué à Diderot). Mais la source de ce qui sera, plus tard, son communisme n’est pas purement livresque. Il observe la vie rurale, où les traditions communautaires des pays d’openfield sont battues en brèche par la formation de grandes fermes qui annoncent le capitalisme ; il s’inquiète de ce que ceux qui, pour subsister, en sont réduits à leurs salaires puissent ne pas être considérés comme partie intégrante de la nation. Il songe déjà à la création de fermes collectives plutôt qu’à un partage des terres, qui aboutirait à un émiettement.


Babeuf et la révolution de 1789

Partisan dès 1787 d’une réforme fiscale, Babeuf en précise les modalités dans le Cadastre perpétuel (1790), qui a peu de succès. Il réclame une « loi agraire » qui, confisquant les domaines seigneuriaux et partageant les communaux, combinerait la propriété commune de la terre et l’exploitation individuelle. Fondateur d’une feuille éphémère, le Correspondant picard (1790-1791), il est élu en septembre 1792 au Conseil général de la Somme et devient administrateur du district de Montdidier. Son programme est plus hardi que celui de Robespierre ou celui des hébertistes. Mais il entend, dans sa propagande, agir avec prudence. Il est condamné par contumace pour faux dans une affaire concernant une vente de biens nationaux ; mais le jugement est cassé.

Venu à Paris, Babeuf est plusieurs fois inquiété pour son action. Il applaudit à la chute de Robespierre. Devant les interventions du Comité de salut public dans le domaine économique, il en vient à préciser, notamment dans le Tribun du peuple, fondé par lui, qu’une administration commune des richesses est possible : n’est-elle pas appliquée « aux douze cent mille hommes de nos douze armées » ? « Ce gouvernement est le seul dont il peut résulter un bonheur universel, inaltérable, sans mélange, le bonheur commun, but de la société. » Arrêté en février 1795, détenu à la prison d’Arras, il semble y avoir subi l’influence de l’éditeur de l’Égalité, R.-F. Lebois, lui aussi prisonnier.

La loi agraire ne suffit pas. Elle ne durerait pas. Il faut que tous soient à la fois producteurs et consommateurs, chacun envoyant au magasin commun le produit de son travail ; les agents de distribution remettront à chacun sa part de la richesse produite. Ainsi se précise le « babouvisme » ; ses adeptes sont nombreux au club du Panthéon, qui réunit jusqu’à deux mille personnes, mais qui est fermé le 28 février 1796 par le Directoire.


La conjuration des Égaux

Pendant l’hiver 1795-1796, alors que la misère du peuple devient intolérable, Babeuf brusque les choses. Avec plusieurs jacobins (dont Jean-Baptiste Drouet [1763-1824], l’ancien maître de poste de Sainte-Menehould, alors député aux Cinq-Cents, et Robert Lindet [1746-1825], ancien membre du Comité de salut public), avec aussi quelques communistes convaincus, dont Philippe Buonarroti (1761-1837), il forme la « conjuration des Égaux ». Les conjurés comptent sur des complicités dans la police, dans l’armée, peut-être au sein du Directoire. En mars 1796, un « Comité insurrecteur » est désigné, dont font partie, entre autres, Babeuf, Buonarroti, Augustin Darthé (1769-1797), Sylvain Maréchal (1750-1803). Les chefs pensent que, pendant une certaine période, une dictature sera nécessaire, sans élection populaire. Le 11 avril 1796, des affiches placardées dans Paris, « Analyse de la doctrine de Babeuf », appellent à la révolte. Le soulèvement doit éclater le 11 mai. Mais le 16 avril les Conseils décrètent la peine de mort contre « ceux qui provoqueraient le pillage des propriétés sous le nom de loi agraire ». Une unité de police considérée comme douteuse est dissoute. L’un des conjurés, le capitaine Grisel, dénonce le complot. Le 10 mai, Babeuf, Buonarroti et quatre anciens Conventionnels sont arrêtés.