Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Y

Yémen (suite)

Dès 1904, les zaydites parviennent à recréer le noyau d’un royaume cohérent au nord du pays, mais ils doivent attendre le démantèlement de l’Empire ottoman au traité de Sèvres, après la Première Guerre mondiale, pour voir l’indépendance du royaume reconnue sous le sceptre de l’imām (guide) zaydite Yaḥya al-Badr, en 1920. Celui-ci louvoie entre les puissances et maintient son pays hors de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi dans un isolement total, plus grand peut-être que celui du Tibet à la même époque. Ṣan‘ā’ adhère cependant à la Ligue arabe en 1945 et entre à l’O. N. U. en 1947.

Après l’assassinat de Yaḥyā en 1948, son fils Aḥmad lui succède comme chef spirituel et temporel absolu, mais les temps ont changé, et la force de renouveau et de modernisme, incarnée surtout par le Baath* et le nassérisme, précipite sa chute : il est assassiné en 1962 lors du coup d’État nationaliste et pronassérien du colonel ‘Abdallah al-Sallāl.

Une longue guerre civile s’ensuit jusqu’en 1970 : l’Égypte (R. A. U.) envoie un corps expéditionnaire au secours de la jeune république, et l’Arabie Saoudite, la Grande-Bretagne (depuis Aden) et les États-Unis arment les tribus royalistes et fournissent des mercenaires. La guerre entraîne une situation catastrophique pour le pays, et Le Caire commet nombre d’erreurs psychologiques, qui lui aliènent ses alliés. Après une tentative de conciliation à Erkowit, au Soudan, en octobre 1964 et une rencontre entre Nasser* et Fayṣāl* d’Arabie à Djedda le 24 août 1965, c’est à la conférence de Khartoum, en 1967, que l’Égypte accepte de retirer ses troupes du Yémen et que la république peut se doter d’un gouvernement dont est écarté Sallāl (nov. 1967) et sur lequel l’Arabie Saoudite continue d’exercer des pressions aussi vives que par le passé. La guerre endémique ne cesse de sévir au Yémen du Nord entre royalistes et républicains, et c’est la création d’un gouvernement « modéré », pour ne pas dire très à droite, qui permet au pays, depuis 1970, de connaître une paix relative, ponctuée par les exécutions de tous les opposants au régime.

Au sud du Yémen, l’évolution est très différente. Dès les années 50, une opposition s’organise face à la colonisation britannique, suscitée avant tout par les puissants syndicats de gauche d’Aden. En 1958, une répression féroce, exercée par l’armée britannique, s’abat sur les contestataires. L’année suivante, Londres décide la création d’une fédération, qui deviendra en 1962 la Fédération de l’Arabie du Sud ; les nationalistes considèrent celle-ci comme constituant un pacte avec les cheikhs féodaux locaux et destiné à perpétrer la domination britannique sur le pays, et ils la refusent. En octobre 1963, une insurrection armée éclate dans le Raḍfān (proche du Yémen du Nord), prenant un caractère de lutte de libération nationale de plus en plus évident sous l’égide du Front national de libération (F. N. L.), qui reçoit un soutien moral du Caire. En 1965, le Front proclame : « Le peuple arabe du Yémen (Sud et Nord) est une fraction de la nation arabe et tout le Yémen une partie intégrante de la patrie arabe. »

Cependant, une organisation armée rivale, le FLOSY (Front for the Liberation of Occupied South Yemen), est mise sur pied (janv. 1966) sous l’impulsion de bassistes inquiets devant le radicalisme marxiste des dirigeants du F. N. L. La Ligue arabe reconnaît dans le FLOSY le « seul représentant arabe du Yémen », et des heurts sanglants éclatent entre les deux fractions rivales. Affaibli par le départ des Égyptiens au nord, le FLOSY laisse la place au F. N. L., qui reçoit l’indépendance à Genève en novembre 1967. En 1968, un mouvement révolutionnaire « dur » écarte du pouvoir certains membres du F. N. L.

Cependant, dès 1969, l’Arabie Saoudite bombarde et harcèle le Yémen du Sud, devenu République démocratique et populaire du Yémen et qui soutient tous les révolutionnaires de la péninsule arabique, en particulier ceux du Ẓufār (Dhofar), au sud du sultanat d’Oman*, et ceux du « Front de libération » du golfe Arabique occupé.

En ce qui concerne les relations entre les deux Yémens, l’unité est à l’ordre du jour ; profondément ancrée dans la mentalité collective des Yéménites, elle figure dans tous les programmes politiques des dirigeants comme un premier pas vers une unité arabe plus large. Malgré des résultats sociaux et économiques remarquables, dans un contexte géo-politique particulièrement défavorable, la République démocratique du Yémen (Sud) se trouve quasiment boycottée par les pays de la Ligue arabe, inquiets de son radicalisme. Par ailleurs, la République arabe du Yémen (Nord) accorde un soutien actif aux opposants sud-yéménites (du FLOSY) et a mis longtemps à cesser de déclarer que l’élimination du « communisme » à Aden était l’un de ses objectifs. Le contexte est donc assez peu propice à une union pourtant désirée par tous, quoique les relations entre les deux régimes aillent en s’améliorant.

Y. T.

 G. W. Bury, The Turks in Yemen (Londres, 1915). / H. Scott, In the High Yemen (Londres, 1942). / J. H. Heyworth Dunne, Al-Yemen, a General Social, Political and Economical Survey (Le Caire, 1952). / M. S. El Attar, le Sous-développement économique et social du Yémen (Alger, 1965). / M. Elhabachi, l’Évolution politique, économique et sociale de l’Arabie du Sud (Aden et son protectorat) depuis 1937 (Thèse, Paris, 1966). / C. Fayein, Yémen (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1975).

Yémen (République arabe du)

En ar. al-Djumhūriyya al-‘Arabiyya al-Yamaniyya. État de l’Arabie.



L’État yéménite

L’unité du pays a été réalisée à l’époque islamique autour d’une branche modérée du chī‘isme*, les zaydites, dont les imāms dirigèrent le pays depuis 893 jusqu’à la conquête turque au xvie s., avant de fournir la dynastie qui s’établit au xxe s. sur les ruines de l’Empire ottoman. L’influence zaydite, centrée sur les hautes terres, a été le ciment d’un État resté de structure religieuse complexe. La secte ne compte guère en effet que 50 à 55 p. 100 de la population. Les sunnites, qui prédominent dans la plaine côtière, sont presque aussi nombreux. Une importante minorité ismaélienne existe dans le haut pays, où elle semble s’être développée essentiellement à partir du xviie s., en provenance de l’Inde. Dans une atmosphère de tolérance spirituelle relative, une importante minorité juive (60 000 personnes) a pu se maintenir jusqu’à la naissance de l’État d’Israël, qui entraîna son émigration en masse.