White (Patrick) (suite)
En quelques romans, White va développer les thèmes et symboles d’une même immense crucifixion. Dès Eden-Ville, le thème de la souffrance s’imposait. Avec The Tree of Man (1955, l’Arbre d’homme), ses héros prennent une stature biblique. Ce sont des pionniers dans la brousse, harcelés par les plaies du feu, de l’inondation et de la sécheresse, et qui trouvent peu à peu dans l’affrontement du danger et la pénurie la force du dépassement de soi. Avec Voss (1957), White fait de l’exploration du continent australien le symbole d’une quête mystique. Voss, explorateur allemand, fascine ses compagnons, qu’il entraîne « vers les splendeurs gothiques de la mort ». De cette superbe catastrophe, il reste pourtant la légende exemplaire des conquérants de l’inutile : « Voss demeure dans ce pays. Sa légende sera écrite un jour par ceux qu’il a troublés. » En 1961, Riders in the Chariot (le Char des élus), probablement son œuvre la plus forte, pousse encore plus loin l’alliance si caractéristique de la fatalité biblique, de la comédie de mœurs et de l’allégorie spirituelle. Les quatre personnages du roman n’ont en commun qu’une vision du « char de feu d’Ézéchiel » qui les emporte, élus du Dieu terrible et ironique qui les brise pour les grandir. Tous les illuminés succombent au mirage spirituel. Seule la grosse Mrs. Godbold, par sa simplicité, résiste dans son faubourg de Sarsaparilla, qui sert aussi de cadre aux nouvelles de The Burnt Ones (les Échaudés, 1964), où se retrouve le thème du feu.
La même quête du Royaume revient dans The Solid Mandala (le Mystérieux Mandala, 1966), qui porte en épigraphe la phrase d’Eluard : « Il y a un autre monde, mais il se trouve dans celui-ci. » Le roman raconte la longue vie commune de deux jumeaux, dont l’un est intelligent mais stérile, l’autre demeuré mais capable de la perception de l’essentiel. The Vivisector (le Vivisecteur, 1970) reprend les mêmes thèmes autour d’une vieille fille illuminée : l’artiste est le vivisecteur qui, tel Dieu, perce le secret des choses en son acte de création.
L’ampleur épique de White peuple la brousse australienne de mystiques quotidiens, d’illuminés et de visionnaires. Mais, chez White, l’épopée s’inspire d’un amour exigeant de la vie qu’écœure le mode de vie moderne. Prophète du réarmement spirituel, satiriste indigné des médiocres et des pharisiens, White est un romancier à l’état brut, touffu et puissant, outrancier et naïf, paradoxal comme son pays, où les gratte-ciel côtoient l’âge de pierre. Son symbolisme chrétien, tiré de l’Ancien Testament, manque de charité : il exige que ses créatures se dépassent jusque dans la mort. Mais ce romancier du bout du monde a changé l’image de l’Australie en faisant de l’ancien pénitencier la nouvelle Jérusalem d’une exigence spirituelle oubliée sous d’autres tropiques.
J. C.
B. Argyle, Patrick White (Édimbourg, 1967). / G. A. Wilkes (sous la dir. de), Ten Essays on Patrick White (Londres, 1970).