Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Whistler (James Abbott McNeill) (suite)

Les Nocturnes, par lesquels Whistler a voulu non représenter des paysages, mais seulement apporter « une certaine variation de couleurs », ont déchaîné l’opinion contre lui lors d’une première exposition particulière en 1874 (dont il avait, de façon inédite, combiné tout le décor). Il les expose encore à Londres en 1877 et engage une lutte contre les critiques, faisant un procès en diffamation à Ruskin*, qui l’a accusé de jeter « un pot de peinture à la tête du public ». Le procès crée une grosse émotion, les critiques se défendent mal, l’un a le malheur de dire : « Il faut vivre », et Whistler lui répond : « Je n’en vois pas la nécessité. » Un autre, Tom Taylor, du Times, refuse de penser qu’il s’agisse d’une « œuvre d’art sérieuse » : ce n’est pas complet, fini, ce n’est qu’une esquisse (sketch), « un peu plus près de la peinture qu’un papier peint délicatement teinté ». Mais Whistler gagne son procès sur le thème — alors révolutionnaire — que l’artiste a le droit de faire ce qu’il veut, même s’il n’est pas compris de la foule et des critiques. Enfin, dans The World, il revendique le droit d’appeler ses œuvres symphonies, arrangements, harmonies, nocturnes.

En 1879, Whistler, ruiné faute de pouvoir vendre ses Nocturnes, doit abandonner sa maison de Londres à ses créanciers. Il part en Italie, car la Fine Arts Society lui commande douze vues de Venise à l’eau-forte. Il reste plus d’un an, et rapporte quarante eaux-fortes qu’il expose en 1880. Ce sont de prodigieuses gravures impressionnistes, toutes en notations sommaires et expressives, qu’il a imprimées lui-même afin d’en moduler l’encrage. Aucun succès : on lui reproche encore de montrer « des esquisses, des ébauches, rien de fini » ; mais il a des admirateurs, notamment parmi les graveurs : son beau-frère l’Anglais Francis Seymour Haden (1818-1910), son futur biographe l’Américain Joseph Pennell (1857-1926) et, en France, Degas*.

Nouvelle exposition de cinquante et une de ses eaux-fortes en 1883. La salle est décorée en blanc et jaune ; le catalogue de l’exposition donne pour chaque pièce les opinions défavorables et favorables de la presse. La critique est encore contre lui, mais le public est pour, ainsi que les artistes : Lucien Pissarro admire ces « choses ravissantes avec quelques traits » — tandis que son père le met en garde contre l’affectation d’esthète qu’il croit voir dans l’économie même et la moelleuse finesse de ces œuvres. De 1884 à 1887, Wistler travaille dans son atelier de Fulham Road, qui devient un centre d’attraction.

Après avoir réuni ses réflexions esthétiques et ses controverses dans son célèbre The Gentle Art of Making Enemies (1890), il fait à partir de 1892 un nouveau séjour à Paris et y connaît le succès. Robert de Montesquiou le lance. Il proclame détester la gravure en couleurs, qui « gâte le dessin », et s’intéresse, comme Toulouse-Lautrec* et les nabis*, à la lithographie en couleurs vives à la manière japonaise. Mallarmé* le reçoit souvent rue de Rome et fait paraître Vers et prose (1893) avec une lithographie de lui. Le vieil Edmond de Goncourt s’étonne : « Les moindres croquetons lithographiques de Whistler se vendent 40 ou 50 francs » (1895). George Du Maurier, qui l’attaque depuis longtemps dans le Punch, est contraint, après un procès, de modifier certains passages de son roman Trilby (1894) comme « insultant Whistler », tandis que Henri de Régnier s’apprête à faire du grand artiste, sous le nom de Cyrille Buttelet, un des héros de son roman la Peur de l’amour. Il quitte Paris après la mort de sa femme, se fixe encore à Londres et y termine sa vie.

J. A.

 E. R. et J. Pennell, The Life of James McNeill Whistler (Londres, 1908, 2 vol. ; trad. fr. Whistler et son œuvre, Hachette, 1913) ; The Whistler Journal (Philadelphie, 1921). / D. Sutton, Nocturne, the Art of James McNeil Whistler (Londres, 1963). / R. Spencer, The Aesthetic Movement (Londres, 1972). / R. McMullen, Victorian Outsider, a Biography of J. A. M. Whistler (Londres, 1973). / S. Weintraub, Whistler (New York, 1974).

White (Patrick)

Écrivain australien (Londres 1912).


L’attribution, en 1973, du prix Nobel de littérature à Patrick White consacrait l’indépendance culturelle de l’Australie. Pendant longtemps, en littérature comme en politique, le sous-continent australien était resté une annexe de la Grande-Bretagne. Pénitencier, puis royaume du mouton et des mines, ce pays gigantesque garda longtemps lui-même le mépris des pionniers virils pour la littérature. De plus, une censure pointilleuse bridait l’expression littéraire. Les créateurs australiens sont peu nombreux, et la plupart d’entre eux ont traditionnellement recherché une consécration en Angleterre. La stature de Patrick White les éclipse, en même temps que paradoxalement il les révèle en faisant découvrir au monde la littérature australienne.

Patrick White est né à Londres au cours d’un voyage de ses parents « au vieux pays ». Sa famille s’était installée en Australie dès le début du xixe s., en Nouvelle-Galles du Sud. Il fait ses études secondaires en Angleterre, puis des études de lettres modernes (français, allemand) à l’université de Cambridge selon une tradition de la bourgeoisie australienne. Il publie des poèmes, des pièces de théâtre à Londres, et son premier roman — Happy Valley (Eden-Ville) — en 1939. Il fait la guerre dans les services de renseignements de la RAF. En 1941, il situe encore The Living and the Dead (les Vivants et les morts) à Londres. Ce n’est qu’après la guerre, en 1948, que White choisit l’Australie et revient à la terre familiale. Fuyant le « stérile cimetière intellectuel » de Londres, il trouve en Australie les paysages immenses que cherche inconsciemment son sens épique. D’œuvre en œuvre, on retrouvera chez White le même paysage, Sarsaparilla, le faubourg de Sydney, qui constitue un peu de son Yoknapatawpha faulknérien, et les mêmes thèmes, les mêmes symboles empruntés à l’affrontement d’une civilisation hâtive jetée sur une préhistoire encore vivante. Comme chez Faulkner*, la connivence d’un tempérament et d’un pays va faire de la chronique romanesque une épopée.