Webern (Anton) (suite)
Lorsque Webern écrit pour l’orchestre, il évite tout empâtement symphonique par l’individualisation extrême des instruments. Ne craignant pas le sous-emploi instrumental, il obtient une clarté, une ténuité du tissu polyphonique qui naît de l’éparpillement des sons. Si son œuvre donne une impression de fragilité, celle-ci résulte moins de la brièveté des morceaux que de cette texture pointilliste. Le principe de la « Klangfarbenmelodie » (mélodie de timbres), hérité de Schönberg, est ici beaucoup mieux adapté aux exigences d’une esthétique, parce qu’à l’organisation des couleurs sonores Webern joint, par l’étude des registres, une organisation de l’espace musical.
Webern n’est pas un compositeur « révolutionnaire », à la manière d’un Varèse ou d’un Cage. Comme Schönberg et comme Berg, il est épris de tradition ; mais il va plus loin qu’eux dans l’exploration du monde atonal, qui succède, dans les œuvres viennoises du début de ce siècle, au système tonal hérité du classicisme. Il est le premier à comprendre que l’atonalisme ne peut coïncider avec les thèmes lyriques et les longs développements mélodiques hérités du romantisme, et que la polyphonie dissonante ne peut s’insérer dans le monde des formes classiques. Ce qu’il instaure, c’est le règne de la discontinuité. Les intervalles disjoints, les cellules mélodiques brisées par le silence ou l’espace, il les intègre à un contrepoint rigoureux, son unique type d’écriture. Certes, on le voit employer les procédés séculaires du canon, du mouvement contraire et du mouvement rétrograde, du Spiegelbild (miroir), et se référer aux archétypes de la forme sonate classique ou de la structure binaire baroque, mais c’est pour en donner une interprétation nouvelle ; mieux, Webern les reconstruit à un niveau d’abstraction plus élevé. C’est ce qui a permis de comparer son œuvre à celle d’un Klee ou d’un Mondrian.
Dans un commentaire des Variations pour orchestre, op. 30, Webern décrit son système de composition. « Le thème des Variations est conçu de manière périodique, mais il a un caractère « introductif ». L’œuvre entière correspond à la forme d’une « ouverture ». [...] Tout ce qui se passe dans ce morceau repose sur les deux motifs énoncés, aux première et deuxième mesures, par la contrebasse et le hautbois. Mais on peut réduire encore davantage, car le second motif est déjà rétrograde en lui-même : les deux derniers sons forment la rétrogradation des deux premiers. » Extrême condensation de la pensée et du discours, athématisme géométrique, référence lointaine (explicitée par les guillemets) aux modèles classiques : l’essentiel de Webern est là.
« En Webern, écrit Stravinski, nous saluons non seulement un grand compositeur, mais aussi un véritable héros. Condamné à une faillite totale, dans un monde sourd, voué à l’ignorance et à l’indifférence, il continua à tailler sans relâche ses éblouissants diamants [...]. »
L’influence posthume de Webern devait être aussi soudaine et décisive que sa carrière avait été grise et confidentielle. Clairement désigné par le jeune Pierre Boulez comme le plus important des Trois Viennois, Webern fut, pendant les quinze ou vingt années qui suivirent sa mort, le maître à penser de la jeune école sérielle.
Les œuvres principales de Webern
Pour orchestre
Passacaille, op. 1 (1908)
Six Pièces, op. 6 (1910)
Cinq Pièces, op. 10 (1911-1913)
Symphonie de chambre, op. 21 (1928)
Variations pour orchestre, op. 30 (1940)
Musique instrumentale et de chambre
Cinq Pièces pour quatuor à cordes, op. 5 (1909)
Six Bagatelles pour quatuor à cordes, op. 9 (1913)
Trio à cordes, op. 20 (1927)
Quatuor, op. 22 (1930)
Concerto pour neuf instruments, op. 24 (1934)
Variations pour piano, op. 27 (1936)
Quatuor à cordes, op. 28 (1938)
Cantates
Das Augenlicht, op. 26 (1935)
Première Cantate, op. 29 (1939)
Seconde Cantate, op. 31 (1941-1943)
Lieder
Op. 3 (1908), 4, 8, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 23, 25 (1935).
Transcriptions
Ricercare de l’Offrande Musicale de J. S. Bach ; Danses allemandes de Schubert ; Symphonie de chambre de Schönberg.
A. H.
➙ Sérielle (musique).
R. Leibowitz, Schönberg et son école (Janin, 1946) ; Introduction à la musique de douze sons (l’Arche, 1949). / A. Hodeir, la Musique depuis Debussy (P. U. F., 1961). / H. Moldenhauer et D. Irvine (sous la dir. de), Anton von Webern : Perspectives (Seattle, 1966). / C. Rostand, Anton Webern (Seghers, 1969).