Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Voltaire (François Marie Arouet, dit) (suite)

L’ironie du « conteur »

Elle est intacte dans les romans et les contes « philosophiques », parce qu’ils n’ont pas été écrits pour le progrès de la réflexion ou de la discussion, mais pour le plaisir, en marge des autres œuvres. Voltaire y a mis sa pensée telle qu’il la vivait au plus intime de son être ; elle s’y exprime dans le jaillissement, apparemment libre, de la fantaisie. Ce qui est ailleurs argument polémique est ici humeur et bouffonne invention. La technique du récit, le sujet des Contes, leur intention ont changé selon les circonstances de la rédaction : Micromégas est plus optimiste, Candide plus grinçant, l’Ingénu plus dramatique, l’Histoire de Jenni plus émue ; ils sont l’écho des préoccupations intellectuelles de Voltaire et de sa vie à divers moments, mais dans tous il s’est mis lui-même, totalement, assumant ses contradictions (car il est à la fois Candide et Pangloss) et les dépassant (car il n’est ni Pangloss ni Candide), répondant aux questions du monde qui l’écrase par une interrogation socratique sur ses expériences les plus profondes : car l’ironie y est elle-même objet d’ironie ; elle enveloppe le naïf, dont les étonnements font ressortir l’absurdité des hommes et la ridiculisent. Elle vise non plus seulement les préjugés et la sottise, mais l’homme en général, être misérable et fragile, borné dans ses connaissances et dans son existence, sujet aux passions et à l’erreur, qui ne peut pas considérer sa condition sans éclater de rire. Ce rire n’anéantit pas ses espérances ni la grandeur de ses réussites, mais signale leur relativité (voyez Micromégas). La finitude et la mort frappent d’ironie toute existence humaine : en épousant l’ironie du destin, en ironisant avec les dieux, l’homme échappe au ridicule, s’accorde à lui-même et à sa condition, et se donne le droit d’être grand selon sa propre norme.

L’ironie de Voltaire est libération de l’esprit et du cœur. Ce que sa pensée peut avoir de rhétorique, de tendancieux, de court quand elle s’exprime dans des tragédies, des discours en vers ou même dans des dialogues, est brûlé au feu de l’ironie. Il n’est dupe d’aucune imposture, d’aucune gravité ; il s’évade par le rire et rétablit le sérieux et le sentimental sans s’y engluer. Il ne court pas le risque de tourner à vide, de tomber dans le nihilisme intellectuel et moral du « hideux sourire » : nullement dérobade d’un esprit égoïste qui ricanerait de tout et ne voudrait jamais s’engager, l’ironie voltairienne est appel au courage et à la liberté ; elle est généreuse.

H. C.

 G. Desnoiresterres, Voltaire et la société française au xviiie siècle (Didier, 1867-1877 ; 8 vol.). / G. Lanson, Voltaire (Hachette, 1906 ; nouv. éd. revue par R. Pomeau, 1960). / J. R. Carré, Consistance de Voltaire. Le philosophe (Boivin, 1938). / R. Naves, le Goût de Voltaire (Garnier, 1938) ; Voltaire, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1942). / N. L. Torrey, The Spirit of Voltaire (New York, 1938 ; nouv. éd., 1968). / I. O. Wade, Voltaire and Mme du Châtelet. An Essay of the Intellectual Activity at Cirey (Princeton, 1941) ; Studies on Voltaire (Princeton, 1947 ; nouv. éd., New York, 1967) ; The Search for a New Voltaire (Philadelphie, 1958) ; Voltaire and Candide (Princeton, 1959 ; nouv. éd., 1972) ; The Intellectual Development of Voltaire (Princeton, 1969). / R. Pomeau, Voltaire par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1955) ; la Religion de Voltaire (Nizet, 1956) ; Politique de Voltaire (A. Colin, coll. « U », 1963). / F. Diaz, Voltaire storico (Turin, 1958). / P. M. Conlon, Voltaire’s Literary Career from 1728 to 1750 (Droz, Genève, 1961). / R. Mauzi, l’Idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au xviiie s. (A. Colin, 1961). / R. S. Ridgway, la Propagande philosophique dans les tragédies de Voltaire (Droz, Genève, 1961). / R. A. Brooks, Voltaire and Leibniz (Droz, Genève, 1964). / J. Ehrard, l’Idée de nature en France dans la première moitié du xviiie s. (S. E. V. P. E. N., 1964 ; 2 vol.). / J. Orieux, Voltaire ou la Royauté de l’esprit (Flammarion, 1966). / J. Van den Heuvel, Voltaire dans ses contes. De « Micromégas » à « l’Ingénu » (A. Colin, 1967). / T. Besterman, Voltaire (Londres, 1969).
On peut également consulter les Studies on Voltaire and the Eighteenth Century (Genève, puis Banbury, 1955 et suiv.), collection qui comporte actuellement plus de cent volumes et à laquelle appartiennent plusieurs des ouvrages cités ci-dessus.

Volterra (Vito)

Mathématicien italien (Ancône 1860 - Rome 1940).


Regardé comme une des gloires mathématiques de l’Italie, titulaire de 1900 à 1931 de la chaire de physique mathématique à l’Université de Rome, où il succéda à E. Beltrami (1835-1900), sénateur du royaume dès 1905, Volterra se posa dès le début en adversaire décidé du régime fasciste, votant systématiquement, à chaque occasion, contre les lois proposées par le Duce. Lors de l’introduction des lois raciales en Italie, il fut chassé de l’Université et de l’Académie nationale dei Lincei. Le pape Pie XI l’inscrivit alors aussitôt parmi les membres de l’Académie pontificale des sciences.

L’œuvre scientifique de ce mathématicien a englobé les domaines les plus divers. Volterra s’est notamment consacré à l’optique des milieux biréfringents, à l’étude du mouvement des corps solides contenant des liquides libres — étude qui a trouvé une application dans le problème du déplacement des pôles terrestres —, à l’intégration des équations aux dérivées partielles qui intéressent la mécanique des milieux continus à deux et à trois dimensions. On lui doit, en particulier, la découverte des cônes caractéristiques pour les équations de type hyperbolique, représentant des phénomènes ondulatoires, et l’introduction de la méthode des images, permettant de schématiser les effets de réflexion sur des parois rigides de ces phénomènes ondulatoires. Mais les travaux auxquels son nom restera attaché sont ceux sur l’analyse fonctionnelle, dont il fut l’un des créateurs et qui trouva de fécondes applications dans de nombreux domaines de la biologie et de la physique. Dans cette discipline, Volterra appliqua pour la première fois les ressources de l’analyse à certains problèmes, comme la lutte pour la vie et l’évolution des populations. Imaginant en présence deux espèces biologiques qui se disputent une même nourriture, il a déterminé leur accroissement ou leur diminution à l’aide du calcul des probabilités, parvenant pour la fluctuation du nombre des individus à des lois quantitatives en plein accord avec les données statistiques fournies par des recherches de laboratoires sur les insectes et les protozoaires. C’est alors qu’il posa les principes d’une dynamique démographique qui présente des analogies avec celle des systèmes matériels. Dans le même ordre d’idées, il étudia la croissance des organismes et l’hérédité mendélienne, pour lesquelles on ne pensait pas alors utiliser les mathématiques. De même, il tenta une analyse des facteurs de la mortalité. Mais il s’est surtout intéressé à de nombreux problèmes d’analyse et de physique mathématique, où il ouvrit des voies fécondes, notamment dans le domaine des équations intégrales et des équations intégro-différentielles, analogues aux équations intégrales, mais contenant en outre la dérivée de la fonction inconnue. Il entreprit l’étude systématique des fonctions, dont l’argument est soit une courbe, soit une fonction ordinaire. Il donna aux premières le nom de fonctions de lignes. Jacques Hadamard désigna les secondes comme fonctionnelles. C’est l’étude générale de ces nouvelles fonctions qui fut le premier objet de l’analyse fonctionnelle. Enfin, Volterra a publié des notices biographiques sur les principaux mathématiciens italiens : Eugenio Beltrami, Enrico Betti (1823-1892), Francesco Brioschi (1824-1897), Felice Casorati (1835-1890). Il dirigea aussi le Nuovo Cimento. (Acad. des sc., 1917.)

J. D. et J. I.