Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vision (suite)

La vision binoculaire est fortement perturbée ou inexistante dans une maladie principalement, le strabisme, où la déviation permanente des axes visuels des deux yeux entraîne fréquemment une correspondance rétinienne anormale. Il existe également des troubles importants de la vision binoculaire dans les hétérophories (difficultés à centrer les deux axes visuels sur le même point) et dans l’aniséiconie (différence de taille entre les images rétiniennes de chaque œil, liée en général à une anisométropie).


Sens lumineux

C’est l’expression la plus élémentaire de la fonction visuelle ; il correspond à la faculté de percevoir le plus faible stimulus lumineux possible. Il varie suivant l’état d’adaptation de l’œil à l’obscurité. Sa mesure par l’adaptométrie permet de juger de la vision nocturne d’un sujet (courbe d’adaptation à l’obscurité). Les troubles de la vision crépusculaire ou nocturne, dits héméralopies, relèvent de causes variées : carences en vitamine A, affections congénitales, hérédodégénérescences tapeto-rétiniennes (rétinopathie pigmentaire), etc.


Vision des couleurs

Son étude est fondamentale pour dépister les dichromatismes (daltonismes) ; elle utilise un certain nombre de tests colorés (planches comportant des figures colorées, écheveaux de fils, etc.). Les troubles de la vision des couleurs, pour la plupart de nature héréditaire, interdisent l’accès à tous les postes de sécurité (lecture des signaux et voyants colorés) et ne sont plus accessibles à la thérapeutique.

J. K.

visionnaire (architecture)

Il existe bien des catégories d’artistes qui entendent imposer une vision intérieure hors du commun, depuis l’esprit supérieur, le prophète dénonçant les tares de son temps, jusqu’à l’illuminé ou l’illusionniste.


Entre l’imagination créatrice et sa finalité collective, les obstacles se chargent heureusement de distinguer le vrai, le beau et Futile. Plus la technique d’expression est complexe, soumise aux réalités matérielles et sociales, plus les conceptions visionnaires deviennent raisonnées. Aussi est-il peu fréquent pour un bâtisseur d’être un génie méconnu, un « artiste maudit ».

De tout temps, des hommes se sont détachés du quotidien pour proposer des solutions surnaturelles ou prospectives. Il existe même tout un impact visionnaire dans les compositions magico-religieuses antiques et médiévales, sanctuaires, palais ou jardins (v. construction) ; à cela près qu’il n’est pas encore question de rupture. Si l’homme, dans ses premières constructions, tente d’échapper à son cadre de vie, c’est pour communiquer avec le divin ; en cela surtout, sa démarche diffère de celle des visionnaires actuels.


Les bâtisseurs d’ordres cosmiques

C’est d’abord la traduction symbolique des mondes terrestre, aérien et aquatique ; le modelé en creux, caverne, hypogée, labyrinthe, image vaginale de la terre mère ; ou bien le signal érigé, menhir, phare ou beffroi, abusivement interprété comme une marque d’orgueil. Il faut voir au contraire dans l’obélisque un rayon solaire, dans la tour de Babel un trait d’union avec le ciel, marquant la convergence des points cardinaux ou lové en hélice comme la foudre et le tourbillon. Ces schémas étoiles, circulaires ou spirales ordonnent jusqu’aux jardins, cadres d’évocations mythologiques, jusqu’aux palais et aux villes, à l’image du cosmos. Irrationnelle à l’origine, l’architecture s’épure cependant à la lumière d’un ésotérisme opératif pour devenir au Moyen Âge une abstraite géométrie, à la recherche tantôt de volumes clos aux mystérieux cheminements, tantôt d’une organisation réticulaire de prismes lumineux. Opacité ou transparence : deux pôles entre lesquels les baroques sauront établir de judicieuses synthèses, après que le monde médiéval a succombé aux tendances antagonistes, qui imagineront à leur profit des cités idéales, des systèmes de gouvernement.


La recherche du paradis perdu

Dans cette voie, l’humanisme italien a joué un rôle éminent, mais non exclusif. La cité de la Sforzinda, projetée par le Filarete (Antonio Averlino, 1400 - v. 1469), ou la Cité du soleil du moine Tommaso Campanella (1568-1639) ont leurs homologues en pays nordiques, où de telles conceptions étaient bien faites pour tenter les imaginatifs. En France, un des cas les plus typiques est celui de Maulnes, en Tonnerrois (Yonne, 1566), château pentagonal ordonné autour d’un escalier-puits. Thomas* More est l’auteur de la célèbre Utopia (1516), origine des systèmes appelés à fleurir avec l’influence des philosophes, puis lors des bouleversements sociaux liés au machinisme. Les projets de l’architecte Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) pour les salines de Chaux (Arc-et-Senans, Doubs, 1775-1779) ou le village de Mauperthuis (Seine-et-Marne, 1780) dérivent de théories idéalistes, comme les phalanstères (v. Fourier [Charles]) et autres cités sociales du xixe s. qui prétendent supprimer les contraintes de la révolution industrielle. Aujourd’hui encore, l’utopie urbaine exerce sa tyrannique influence ; et des tentatives « volontaristes » comme Chandigarh* ou Brasília* font souhaiter l’avènement d’un urbanisme* scientifique.

Les visionnaires de la Renaissance ont utilisé bien d’autres voies pour s’imposer. Le texte imprimé, son illustration surtout ont fourni des modèles aux organisateurs de réjouissances ; et singulièrement l’Hypnerotomachia Poliphili (Discours du songe de Poliphile), œuvre initiatique publiée en 1499 par Francesco Colonna (1433-1527) et qui connaîtra un prodigieux succès. Le jeu, cette nécessaire rupture de la réalité quotidienne, ce dérivé — au mysticisme près — des anciennes fêtes sacrées, va demander à l’Antiquité des thèmes d’évasion, en attendant d’en trouver d’autres en pays exotiques. L’art du théâtre et celui des jardins* vont, à leur tour, rechercher dans l’irrationnel un complémentaire équilibre à la rigidité classique du cadre de vie, quitte à faire parfois basculer l’architecture dans la virtualité du palais enchanté. Pour ce faire, les méthodes varient, au mépris souvent de toute construction, aboutissant à une composition minérale avec Palladio* et ses continuateurs ou organique dans le cas de certaines inventions « baroques » (bâtisses en forme d’alphabet...). Après 1750, avec le retour à l’antique, ces architectures « préfigurées » auront grand succès dans les cénacles friands d’ésotérisme, de macabre étrusco-égyptien ; mais elles changeront d’échelle sous l’influence du graveur vénitien Piranèse*. L’importance de l’estampe comme source d’inspiration visionnaire se vérifie ici en liaison avec le souci de flatter une clientèle affairiste et mégalomane.