Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vision (suite)

Couleur et électrophysiologie

Sur la rétine de la Carpe, T. Tomita, entre 1963 et 1967, a pu mettre en évidence des potentiels de réponse des cônes — qui, ici encore, se répartissent en trois types, selon le schéma de Young — et de certaines cellules de relais — qui codent différemment la couleur, selon le schéma de Hering cette fois. Dans le corps genouillé du Macaque, De Valois a fait récemment tout un ensemble de recherches qui, dans ce relais situé à la base du cerveau, ont prouvé un codage à la Hering : certaines cellules répondent uniquement à la luminosité, avec une sensibilité spectrale qui rappelle l’efficacité photopique ; d’autres répondent de deux façons opposées, selon la longueur d’onde qui tombe sur la rétine, et fournissent donc les couples antagonistes bleu-jaune et vert-rouge. Il semble que ce codage utilise la fréquence spontanée des « spikes », émise au repos par les cellules du corps genouillé, comme une sorte de fréquence porteuse que module le signal depuis les cônes rétiniens, la diminution et l’accroissement de cette fréquence transportant des informations antagonistes, conformément à l’aspect subjectif de la couleur.

L’électrophysiologie, jointe aux expériences de comportement après dressage, permet de résoudre la question de savoir si tel animal voit les couleurs. Il faut faire attention dans le dressage ; ainsi, on peut très bien habituer un Chien à courir après une balle rouge et non après une balle bleue, mais cela ne prouve rien, car il se peut qu’il ne voie pas la couleur, mais perçoive la balle rouge comme étant d’un gris foncé et la balle bleue comme étant d’un gris clair, et les reconnaisse, un peu comme les bâtonnets dans l’effet Purkinje. Ce qui serait probant, ce serait de dresser le Chien à courir après une balle bleue, par exemple, et à rester immobile quand on lui jette une balle d’un gris quelconque dans une collection de balles allant du blanc au noir ; ce dressage est impossible, ce qui ne démontre pas l’absence de vision des couleurs, mais la laisse pressentir. Si l’expérience était concluante, encore faudrait-il être sûr que la balle bleue n’a pas une odeur que le Chien sentirait.

Chez les Vertébrés, la vision colorée est un luxe réservé à peu d’espèces : quelques Poissons (Vairon, Goujon, Cyprin...), quelques Batraciens (Grenouilles), certains Reptiles (Tortues, Lézards) et tous les Oiseaux diurnes. Ces derniers semblent même avoir une discrimination des couleurs plus fine que l’Homme, du moins pour ceux dont la rétine présente des gouttelettes huileuses colorées qui servent de filtres. Les Mammifères qui voient les couleurs sont rares : le Cheval et le Chat possèdent peut-être une vision colorée rudimentaire ; la hargne du Taureau contre le rouge est une fable ; s’il se jette sur la muleta, c’est qu’elle bouge ; une bonne vision des couleurs est réservée à quelques espèces arboricoles et frugivores (Écureuil, Primates). Si nous voyons les couleurs, c’est que nos ancêtres dans l’évolution devaient vivre dans les arbres et se nourrir de fruits.


Anomalies de la vision des couleurs

Chez l’Homme, l’anomalie la plus tranchée de la vision colorée est le dichromatisme, souvent nommé daltonisme en mémoire du chimiste Dalton*, qui décrivit son propre cas à la fin du xviiie s. Le monde des dichromates n’a que deux variables au lieu de trois, et, pour eux, toutes les couleurs possibles se trouvent déjà dans le spectre, par dispersion de la lumière blanche à travers un prisme. D’après la description faite par les rares sujets qui ont un œil normal et l’autre dichromate, ils voient avec leur œil anormal le spectre de deux couleurs, du jaune pour les grandes longueurs d’onde et du bleu pour les courtes, séparées par une bande grise dans le vert ; certains dichromates, les protanopes, voient le spectre raccourci dans les grandes longueurs d’onde et le rouge leur semble très sombre ; d’autres, les deutéranopes, voient le spectre d’une longueur normale. D’après les observations de Rushton, la fovéa des protanopes manquerait d’érythrolabe, et celle des deutéranopes de chlorolabe. Il existe une troisième variété de dichromates, les tritanopes, chez qui la fondamentale bleue est absente.

Ces anomalies sont congénitales et héréditaires ; chez les sujets masculins, elles sont assez fréquentes (1 p. 100 de protanopes, un peu plus de deutéranopes, 0,002 p. 100 de tritanopes) ; elles sont environ cent fois moins répandues chez les femmes à cause des lois de l’hérédité, qui sont les mêmes que pour l’hémophilie : le grand-père dichromate transmet le défaut à la moitié des fils de ses filles ; une femme ne présente d’anomalie que si celle-ci existe à la fois dans la lignée de son père et de sa mère.

Si la vision du dichromate différait simplement de celle d’un sujet normal, cela n’aurait aucune importance, mais, du fait de la perte d’une fondamentale, il y a un appauvrissement énorme du monde coloré : un sujet normal peut distinguer plus de 200 nuances différentes dans le spectre, tandis que le protanope en voit moins de 20 et le deutéranope moins de 30 ; si on délave de blanc ces couleurs spectrales, on peut obtenir plus de 15 000 nuances pour le sujet normal, tandis que rien ne change pour le dichromate, puisque toutes ses couleurs sont déjà dans le spectre. Encore s’agit-il ici d’échantillons de même luminosité : si l’on rabat avec du noir toutes ces nuances, on multiplie encore les possibilités. En plus de l’appauvrissement de son monde coloré, le dichromate souffre de confusions entre des couleurs qui semblent très différentes pour un normal ; ainsi, pour les protanopes et les deutéranopes, toutes les longueurs d’onde supérieures à 530 nm sont identiques comme couleurs ; le dichromate confondra donc le vert jaunâtre, le jaune, l’orangé et le rouge, et ne verra pas ses cerises mûres sur les feuilles ; le vert-bleu lui paraît gris, puis, vers les courtes longueurs d’onde, sa vision redevient à peu près normale.