Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vision (suite)

Aux fortes lumières, cette pupille se ferme, jusqu’à 2 mm de diamètre, ce qui réduit la lumière dans le carré du rapport des diamètres, soit ici 25. En outre, l’adaptation joue, et les bâtonnets cessent de travailler et passent la place aux cônes, qui peuvent aller très loin dans le sens des fortes lumières, jusqu’à 10 milliards de fois le seuil des bâtonnets. La marge de fonctionnement du récepteur visuel est donc extraordinairement étendue.

Un mode curieux de protection des cônes et d’amélioration de leur individualité (protection contre les lumières parasites latérales) a été découvert en 1933 par deux physiciens anglais, W. S. Stiles et Crawford : les lumières qui entrent par le bord de la pupille sont beaucoup moins efficaces sur les cônes que celles qui passent par le centre, ce qui signifie que les rayons atteignant la rétine un peu obliquement agissent moins que ceux qui sont dirigés suivant l’axe du cône, qui, en gros, pointe vers le centre de la pupille. On explique cet effet par le rôle de guide d’ondes diélectrique que joue la partie conique où se trouvent les pigments dans le cône, ce qui tend à concentrer la lumière suivant l’axe.

Chez certains animaux, le diamètre de la pupille est fixe, la protection pupillaire n’existe pas, et d’autres mécanismes y suppléent. Ainsi, on trouve des Poissons chez qui les cônes et les bâtonnets se déplacent d’avant en arrière pour se mettre à l’abri de filaments absorbants issus de l’épithélium pigmentaire : les cônes avancent en adaptation diurne, et les bâtonnets en adaptation nocturne.


Vision des couleurs

Si on étale avec un prisme les radiations dont se compose la lumière blanche, celle du Soleil par exemple, on voit une succession continue de vives couleurs*, où Newton* (1675) distingua sept nuances différentes, par analogie avec les notes de la gamme, mais son « indigo » n’a guère d’individualité. Dans la liste suivante, on a placé entre les couleurs du spectre les limites moyennes telles que les voit un sujet normal (en nanomètres) : violet - 450 - bleu - 500 - vert - 570 - jaune - 590 - orangé - 610 - rouge. Le violet et le rouge se terminent aux extrémités du spectre visible par une large bande unitonale.

De tout temps, les Hommes se sont intéressés à la couleur ; les anciens Grecs y voyaient un mélange de lumière et d’obscurité, et c’est vrai en ce sens qu’un objet rouge est lumineux dans les grandes longueurs d’onde qu’il diffuse et noir dans les courtes qu’il absorbe. L’expérience millénaire des teinturiers avait appris aussi qu’on peut reproduire à peu près toutes les teintes en mélangeant trois couleurs principales, le rouge, le bleu et le jaune. On pensait que c’est dans la nature même de la lumière que résidait l’origine de cette triade, et c’est le mérite de Thomas Young (1801) [v. couleur] d’avoir affirmé que ce trichromatisme était rétinien, donc physiologique et non physique. Pendant cinquante ans, Young resta incompris. Helmholtz*, après quelque hésitation, adopta la théorie de Young, et son immense autorité la fit triompher. Il expliqua en particulier la différence entre les mélanges sous-tractifs des couleurs des peintres sur leur palette et les mélanges additifs de lumières des physiciens et des pointillistes comme Seurat*. Les fondamentales, qui n’excitent qu’un seul des trois mécanismes trichromatiques, doivent être le rouge, le vert et le bleu (le jaune est une addition de rouge et de vert, comme le lecteur pourra le vérifier en regardant de tout près un écran de télévision couleurs).

L’interprétation la plus simple de la théorie de Young consiste à postuler trois types de cônes rétiniens, imbibés de pigments visuels différents. Les vives couleurs du spectre correspondraient à l’excitation beaucoup plus forte d’un type de cônes que des deux autres. Au contraire, la lumière blanche exciterait également les trois types.

Pendant longtemps, cette théorie se heurta à deux graves objections. En premier lieu on pouvait se demander pourquoi, dans l’excitation simultanée de plusieurs fondamentales, les luminosités s’ajoutent-elles alors que l’élément coloré se soustrait, jusqu’à s’annuler pour le blanc ? Ensuite, le jaune apparaît subjectivement comme aussi simple que le rouge ou le bleu, et, dans le mélange additif de rouge et de vert, on ne perçoit pas du tout un rouge verdâtre, mais du jaune. Aussi, Ewald Hering (1834-1918) avait-il proposé en 1872 une autre théorie, dite « des couples antagonistes » : il supposait trois substances dans la rétine, chacune pouvant subir sous l’action de la lumière deux changements opposés ; d’où les trois couples noir-blanc, bleu-jaune et vert-rouge.

En réalité, Young et Hering avaient raison tous deux, mais à des niveaux différents. Dans la rétine, c’est Young qui triomphe : les recherches de William Albert Hugh Rushton, poursuivies entre 1955 et 1965 par l’examen ophtalmoscopique de la lumière réfléchie sur la fovéa humaine, avaient permis de mettre en évidence deux pigments, l’un appelé chlorolabe, dont l’absorption maximale se situait vers 540 et qui correspondait à la fondamentale verte, l’autre nommé érythrolabe, à maximum entre 580 et 590, pour la fondamentale rouge. La troisième fondamentale (bleue) n’avait pu être décelée par cette difficile méthode : il faut d’ailleurs remarquer que la fovéa est presque dichromatique, la fondamentale bleue y étant peu représentée ; elle est dans toute la rétine beaucoup moins abondante que les deux autres. Une méthode plus directe a été inaugurée par Marks en 1963 par examen direct (au microscope complété par un spectrophotomètre) d’une rétine de Cyprin doré, Poisson à gros cônes et qui voit les couleurs. Marks a montré que l’absorption maximale se situait statistiquement dans trois zones spectrales séparées, centrées sur 455, 530 et 625 nm. Il n’existe pas de cône composite contenant un mélange de pigments. C’est la preuve directe de la théorie de Young au niveau de la rétine. Ces résultats ont été confirmés sur les Singes. Il ne reste plus qu’à extraire les trois pigments, comme on a fait pour la rhodopsine des bâtonnets, mais, jusqu’ici, les essais ont été infructueux. On est donc réduit à des hypothèses sur la nature de ces pigments ; il est probable qu’ils sont, eux aussi, apparentés à la vitamine A, car une carence de cette substance affecte également la vision colorée.