Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Viêt-nam (suite)

Malgré l’essor culturel et l’expansion territoriale vers le sud, le Dai Viêt se trouve bientôt en proie à des troubles graves, qui ébranlent le pouvoir central : l’extension de l’espace oblige à une élongation des voies de communication entre la capitale et les garnisons frontalières, ce qui entraîne une plus grande autonomie des autorités locales. Ce phénomène engendre une dislocation de l’unité à partir des rivalités seigneuriales qui surgissent loin de la Cour.

D’autre part, une succession de révoltes des minorités ethniques contre les Kinhs, qui les spolient, et de jacqueries occasionnées par les propriétaires fonciers, qui cherchent à s’emparer des terres communales, entraîne le pays dans une grave crise socio-politique.


Les Nguyên et les Trinh

De puissantes familles seigneuriales voient leur influence grandir au détriment du clan dynastique Lê, décadent. L’édifice féodal a pour base un régime agraire de propriété privée coexistant avec l’institution pluriséculaire du communalisme : sur le plan juridique, tout le monde a la possibilité d’accéder à la propriété, mais, dans la pratique, une minorité de gros propriétaires terriens accapare une large part des meilleures terres communales avec la complicité des notables, ce qui entraîne une misère et un endettement du paysannat. Avec l’accroissement démographique, la crise agraire devient catastrophique : nombreux sont les paysans dépossédés, qui errent dans les campagnes en proie à la disette. En même temps, la bureaucratie mandarinale et la Cour s’enfoncent dans la corruption et la débauche. Cette situation amène une détérioration de l’autorité impériale et une série de soulèvements paysans.

En 1527, un clan seigneurial, celui des Mac, usurpe le pouvoir et chasse la dynastie légitime Lê. Une âpre lutte se déroule pour la reprise du trône, et deux descendants des légitimistes, Nguyên Hoang et Trinh Kiêm, se partagent le pays en fondant deux lignées seigneuriales.

Les seigneurs Trinh contrôlent le Nord, tandis que les Nguyên occupent le Sud de part et d’autre de la ligne fortifiée de Dông Hoi, établie dans la mince plaine du centre du Viêt-nam, aux alentours du 17e parallèle.

De 1627 à 1672, une guerre acharnée se déroule entre nordistes et sudistes, conflit entremêlé de révoltes paysannes et de rebellions de minorités ethniques.

La capitale du Nord, Thang Lon, est le siège impérial de la dynastie Lê, qui n’est plus qu’un jouet aux mains des Trinh, mais qui reste, selon les principes confucéens, détentrice du pouvoir légitime possédant le mandat céleste. La dynastie des Nguyên, établie enfin à Phu Xuân (actuel Huê) et qui ne lui cède en rien en magnificence, retarde la crise agraire par la colonisation des terres de l’ancien Fou-nan arrachées au Cambodge, mais la dépréciation monétaire, la concussion des fonctionnaires et l’appauvrissement des paysans, spoliés par les grands propriétaires malgré les mesures réformistes, entraînent une crise du régime.

À cette époque se crée une classe nouvelle de commerçants, engendrée par l’importance accrue de l’artisanat : des jonques abordent de Chine et du monde malayo-indonésien, des ateliers produisent des objets précieux (laques, joyaux, soieries), des manufactures battent monnaie.

Les premiers navires européens apparaissent sur les côtes du Dai Viêt, accompagnés d’agents commerciaux ainsi que des premières missions évangéliques portugaises et françaises, dont les projets d’établissement et de prosélytisme vont semer le trouble dès les premières prises de contact.


Le renouveau des Tây Son

Dans cette crise de régime de la société vietnamienne, aucun des deux clans féodaux ne parvient à l’hégémonie. Malgré l’opposition des autorités à toute évangélisation de la part des missions catholiques, les missionnaires parviennent à prendre pied au Dai Viêt. À la fois méfiants sur leurs intentions profondes et intéressés par leurs connaissances techniques (astronomie et artillerie), les seigneurs vietnamiens pratiquent un jeu de bascule, faisant alterner les faveurs avec les interdits. La société des Missions étrangères, fondée à Paris dans la seconde moitié du xviie s. après les rapports fournis sur le Dai Viêt par le père Alexandre de Rhodes (1591-1660), favorise un prosélytisme qui, aux yeux des mandarins, constitue un danger pour l’édifice social et moral. Des incidents ne tardent pas à se produire à partir de l’antagonisme entre christianisme et confucianisme du fait du caractère œcuménique du premier. Des persécutions se développent à l’encontre des catéchumènes et des catéchistes dans le nord du pays. Par contre, sous les Nguyên, la cour de Huê se montre plus tolérante et recherche l’alliance des missionnaires.

La France, évincée de l’Inde par la Grande-Bretagne, recherche des compensations territoriales et songe à des établissements commerciaux sur la côte du Dai Viêt (mission P. Poivre en 1749).

Outre ces intrusions étrangères, le Dai Viêt se trouve confronté à l’intérieur à une insurrection menée par Nguyên Huu Câu, lettré de talent, qui combat les Trinh avec pour devise « Prendre aux riches pour partager entre les pauvres ».

En 1773, trois frères originaires du village de Tây Son, Nguyên Nhac, Nguyên Lu et Nguyên Huê, prennent la tête d’un mouvement insurrectionnel dirigé contre les exactions du régent Truong Phuc Loan et rallient les masses rurales contre les tyranneaux nobiliaires et la bureaucratie mandarinale. Des provinces entières tombent aux mains des insurgés, et les Nguyên, débordés, sont soudainement attaqués par les nordistes Trinh, qui s’emparent de Phu Xuân, la capitale (1775).

Les frères insurgés, connus sous le nom de Tây Son, traitent avec les Trinh pour combattre les forces nguyên, qu’ils dispersent et acculent à la défaite (1783). Le prince Nguyên Anh (1762-1820), fils du dernier seigneur nguyên, tué par les Tây Son, se réfugie dans l’île de Phu Quôc et, en désespoir de cause, fait appel aux Siamois, qui dépêchent des troupes, escomptant pour leur engagement des avantages ultérieurs. Mais Nguyên Huê, le cadet des Tây Son et l’âme du mouvement, écrase les Siamois sur la rivière de My Tho (1785).

Les Tây Son, débarrassés des Nguyên, tournent leurs forces contre les Trinh. Aidé efficacement par la population, Nguyên Huê, qui se présente en restaurateur de la dynastie légitime Lê, atteint le fleuve Rouge et défait ses adversaires, mettant fin à la sécession.