Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vienne (cercle de) (suite)

Parallèlement au problème de la vérifiabilité des énoncés et en liaison avec lui, il y a un problème de la définissabilité des termes scientifiques. Si tous les concepts figurant dans les propositions des disciplines empiriques sont définissables en termes des expressions figurant dans les énoncés protocolaires immédiatement vérifiables, toutes les propositions de ces disciplines devraient être vérifiables. Or, cette conséquence ne paraît pas réalisée. Cette difficulté, ainsi que celle qui est causée par les prédicats dispositionnels (du type « soluble dans l’eau ») conduisent Carnap à introduire et à approfondir la notion d’énoncé de réduction (réduction sentence). Grossièrement, la réductibilité signifie que l’éliminabilité du « défini » n’est pas toujours présente. La thèse physicaliste prend alors une forme atténuée : tous les concepts des sciences empiriques sont réductibles à ceux qui figurent dans les énoncés protocolaires.

Quoique ce programme de réduction des énoncés scientifiques à des énoncés formés de termes logiques et observationnels ait échoué, il faut reconnaître que les membres du cercle de Vienne ont accompli un effort louable en vue d’expliciter et de justifier la thèse empiriste traditionnelle selon laquelle tous les énoncés synthétiques reposent sur l’expérience.


Éthique

Les positivistes viennois rejettent l’idée d’un univers de valeurs transcendant aux individus et à leurs expériences : les assertions relatives à des entités de ce genre sont dénuées de sens. Schlick professe une variété d’utilitarisme (mehre deine Glückseligkeit), le bien-être (Glückseligkeit) étant conçu par lui comme étant l’état de plaisir qui accompagne toute activité à laquelle nous nous livrons pour elle-même et conformément à nos goûts et à nos capacités. Les autres positivistes viennois semblent avoir reconnu dans la morale une sorte de régulation du sentiment, mais il est clair que leur tentative pour formuler ou justifier les règles du sentiment ou de la vie émotionnelle manque de conviction.


Influence

Le cercle de Vienne a inauguré un mode de philosopher nouveau, caractérisé par les deux éléments suivants : l’application de la logique symbolique aux problèmes de théorie de la connaissance (à la manière de Russell) et l’abandon de la prétention habituelle de toute philosophie à se présenter comme un système clos de vérités définitives.

Quant au contenu, les principaux thèmes du positivisme logique ont été des dichotomies : analytique/synthétique, vrai en vertu du langage/vrai sur la base des observations, vérifiable/non vérifiable, propositions scientifiques/propositions métaphysiques, sciences formelles/sciences factuelles. Or, aucune de ces oppositions n’a tenu ; toutes ont été récusées par les philosophes et les logiciens. On s’accorde aussi à reconnaître que l’ambition du cercle de Vienne de construire un langage de la science excluant comme dénués de sens les concepts et les propositions métaphysiques et eux seuls n’a pas abouti. L’idée de la construction d’un tel langage serait même, selon Popper, un « pseudo-problème ». Liée à la construction de ce langage, la thèse du langage universel ou de la science unifiée n’a pas pu s’imposer non plus. Elle serait réfutée par la démonstration, par Tarski, du théorème suivant lequel un langage donné ne peut pas, s’il est consistant, contenir une définition de son propre prédicat de vérité ou, sur le plan de la syntaxe, par l’impossibilité de dériver dans un formalisme assez puissant et supposé consistant tous les théorèmes vrais dans son modèle standard (Gödel, 1931).

Ce serait dire que le positivisme logique du cercle de Vienne a vécu, et, dans un sens strict, cela est vrai. Pourtant il continue de vivre par l’impulsion qu’il a donnée au développement de l’empirisme contemporain et parce que la discussion se poursuit sur les problèmes que le cercle de Vienne a mis sur le tapis.

Le degré de pénétration du positivisme viennois a été variable selon les pays. En Allemagne, celui-ci n’a pas prévalu contre la philosophie de Heidegger. Du côté français, il s’est heurté au scepticisme de la philosophie universitaire, depuis longtemps perdue dans la contemplation de son propre nombril. Les rationalistes cartésiens, habitués à considérer que la logique est stérile (quand elle n’enfante pas des contradictions), méfiants vis-à-vis de l’expérience sensible et dépourvus de toute technique (en philosophie, le bon sens de l’honnête homme est censé suffire à tout !), jugèrent inutile de s’intéresser à un mouvement de pensée dont ils sous-estimaient l’importance. Il s’ajoute à cela que les polémiques antimétaphysiques des membres du cercle de Vienne, leur valant une réputation de scientisme, les desservirent d’une façon radicale auprès de gens qui connaissaient de la métaphysique autre chose que les abus les plus fâcheux de la spéculation germanique.

Au contraire, dans les pays anglo-saxons, la philosophie scientifique du cercle de Vienne a trouvé des continuateurs indépendants.

J. L.

 H. Feigl et W. Sellars (sous la dir. de), Readings in Philosophical Analysis (New York, 1949). / V. Kraft, Der Wiener Kreis, der Ursprung des Neupositivismus (Vienne, 1950). / H. Feigl et M. Brodbeck (sous la dir. de), Readings in the Philosophy of Science (New York, 1953). / A. J. Ayer, Logical Positivismus (Glencoe, Illinois, 1959). / P. A. Schilpp (sous la dir. de), The Philosophy of Rudolf Carnap (La Salle, Illinois, 1963). / P. Edwards (sous la dir. de), The Encyclopedia of Philosophy (New York, 1967 ; 8 vol.).

Vienne

Ch.-l. d’arrond. de l’Isère ; 28 753 hab. (environ 40 000 pour l’agglomération).


Sur la rive gauche de l’un des défilés les plus étroits du Rhône, Vienne est une très vieille cité, dont le rôle stratégique explique l’ancienneté. Bien que lui ayant préféré Lyon, les Romains en firent une ville importante. Après avoir été la résidence habituelle des rois burgondes, la ville devient au Moyen Âge une grande cité chrétienne. À partir de la Renaissance, malgré son site exceptionnel, elle est frappée d’un étiolement irréversible au profit de Lyon, mais poursuit cependant une activité propre : les eaux de la Gère animent des moulins, des foulons, des tanneries. Au xviiie s., l’Allemand Blumenstein y introduit la métallurgie. Ces activités héritées ont profondément marqué le tissu urbain, vétusté et dégradé dans le centre-ville, et prédéterminé la fonction industrielle actuelle. Le textile subsiste sous la forme traditionnelle de tissage de drap grossier à partir de déchets de laine, mais on assiste à la réorientation vers les fibres synthétiques et le tissage de qualité, et la confection est toujours active. De la tradition métallurgique sont nées diverses activités (emboutissage, chromonickelage), dont certaines sont assez élaborées : petit appareillage électrique (Calor), machines-outils, machines textiles. Sous l’influence de Romans, l’industrie de la chaussure remplace la tannerie. Comme d’autres centres du Rhône moyen, Vienne a été marquée par le développement des axes de circulation (R. N. 7, puis autoroute A 7). Ville usinière, elle se situe dans l’orbite lyonnaise, bénéficiant des retombées industrielles de la métropole rhodanienne, tout en s’efforçant de garder une relative autonomie. L’extension de l’agglomération, notamment vers le sud, ne fait que confirmer la vocation industrielle, que traduit la répartition des actifs : notamment 6 000 personnes dans les industries de transformation, contre 4 800 seulement dans les secteurs de la banque, du commerce et des services. Le noyau urbain, vétusté, asphyxié par la circulation, pose un grave problème de modernisation, alors que la périphérie s’urbanise (Sainte-Colombe et en direction des Roches-de-Condrieu). Mais la proximité de Lyon limite les possibilités d’expansion économique de la cité.

R. D.-C.